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Bienne

Au nez et à la barbe de la Ville

Un couple de Macédoniens a perçu indûment un quart de million de francs de l’aide sociale. Alors que le mari déclarait son revenu, les services sociaux n’ont rien remarqué durant sept ans.

Thomas Michel a été l’artisan de la restructuration des Affaires sociales. Photo:Archives Matthias Käser

La semaine passée, un couple de Macédoniens a été jugé et déclaré coupable de fraude à l’aide sociale par le Tribunal régional Jura bernois-Seeland. Entre 2005 et 2012, il avait indûment perçu plus d’un quart de millions de francs de l’assistance sociale, au nez et à la barbe du département biennois concerné.

Au procès, l’escroquerie a surtout mis en lumière les invraisemblables manquements de l’administration qui ont facilité cette dérive. Le couple en question n’est apparu ni sournois, ni particulièrement ingénieux. Il n’en a pas moins grugé les services sociaux avec une facilité déconcertante. Nettoyeur de wagons aux CFF, le mari a déclaré son revenu tout à fait normalement. Son activité professionnelle était donc connue de l’AVS, du Service des impôts et de l’Office régional de placement. Mais l’homme n’en a rien dit au Département des affaires sociales, où personne n’a eu l’idée de demander l’attestation fiscale qui aurait immédiatement mis au jour la tromperie.

Renforcer les contrôles
Au tribunal, les déclarations d’anciens employés des affaires sociales ont révélé que le contrôle de ce dossier a tout simplement été négligé. «Lorsque je l’ai repris, plusieurs documents manquaient», a déclaré un collaborateur. Les prestations n’en ont pas moins continué d’être versées. Cette grave négligence s’explique en partie par les fluctuations de personnel qui ont touché les Affaires sociales (plus de 20% en 2015). En sept ans, le couple de Macédoniens a eu affaire à six employés différents.

Du strict point de vue juridique, le tribunal n’a rien pu retenir contre le Département des affaires sociales. Mais il a fait remarquer que les employés concernés auraient pu faire preuve d’un minimum de prudence. Le moins qu’on puisse dire, a ajouté Sonja Koch, qui présidait les débats, c’est que la Ville «n’a pas rendu les choses très difficiles à ces deux fraudeurs». Un avis partagé par Thomas Michel, qui dirige les affaires sociales de la Ville aujourd’hui. Il a réorganisé les services et introduit de nouveaux mécanismes, ce qui lui fait dire qu’aujourd’hui «ça ne pourrait plus se reproduire».

Un cas comme celui-ci serait rapidement découvert, «car les services sociaux contrôlent systématiquement toutes les données du Service des contributions, du contrôle des habitants et de la caisse de compensation, une vérification qui n’a pas toujours été effectuée entre 2005 et 2012, par manque d’effectifs». A cette époque, certains dossiers pouvaient fort bien n’être examinés par personne durant deux ans, «ce qui est inconcevable à l’heure actuelle», conclut Thomas Michel.

Effet dissuasif
Pourtant, ce n’est pas la fraude jugée la semaine passée qui a débouché sur une restructuration du département. Des carences dans les processus avaient déjà été relevées en 2013 dans une analyse mandatée par la Ville et le canton et visant à réduire le taux d’aide sociale à Bienne. Ces carences sont ensuite réapparues lors de l’enquête administrative menée contre Beat Feurer (UDC), directeur de l’Action sociale et de la sécurité. Elles ont d’ailleurs provoqué le départ de la personne qui précédait Thomas Michel à la tête du département et celui du secrétaire de direction de Beat Feurer.

Dès son entrée en fonction, à l’été 2015, Thomas Michel a mis en place les réorganisations qui s’imposaient, et en 2016 le Conseil de ville a approuvé la création de 14 nouveaux postes à plein temps, et un organe interne de révision a été instauré. Depuis lors tous ces postes sont pourvus, et grâce à cette réorganisation la fluctuation a régressé (13,5% en 2016, 9,5 % en 2017).

Malgré l’ajustement des processus et le renforcement des contrôles externes et internes, on ne découvre pas plus d’abus aujourd’hui qu’il y a quelques années. «Les cas suspects ont certes augmenté, mais pas les jugements», précise Thomas Michel. Le recours aux détectives s’est intensifié, ce qui a permis d’éviter des fraudes, mais aussi de vérifier sur le terrain que certains soupçons n’avaient pas lieu d’être.

En 2017, la Ville n’a dénoncé que 14 cas de fraude à l’aide sociale, un chiffre modeste qui s’explique par l’effet dissuasif des mesures mises en place. En effet, les bénéficiaires d’aide sociale se savent contrôlés. Et ils savent aussi que, depuis l’application en 2016 des lois nées de l’initiative pour le renvoi des étrangers criminels, la fraude à l’aide sociale peut déboucher sur l’expulsion. «Il y a fort à parier que ce couple de Macédoniens ne prendrait plus un tel risque aujourd’hui», conclut Thomas Michel.

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