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Moutier

Bâtir sur la lointaine île d'Haïti

Prévôtois sans attaches, Andrea Joray vit en Haïti. De retour en Suisse depuis six mois, ce double national italo-suisse, avec permis de conduire espagnol et de séjour haïtien a vécu l'enfer du séisme en 2010. Portrait

Andrea Joray, un citoyen du monde

Pierre-Yves Theurillat
Le 12 janvier 2010, un violent séisme ravageait Haïti. Un témoin prévôtois, Andrea Joray, qui roulait à moto dans sa ville d’adoption de Cayes, à 150 km de l’épicentre situé à Leogâne, se souvient de ce moment indicible: «Les amortisseurs ont commencé à taper durant plusieurs secondes de manière bizarre et j’ai eu la plus grande peine à garder la moto sur la route, sans comprendre. A Port-au-Prince et Leogâne, les routes avaient tenu, mais pour les maisons, construites chichement, c’était la catastrophe absolue. Des cadavres éparpillés partout. Terrible, mais on s’habitue à ces images-là. Le plus dur, c’était cette odeur de mort, persistante durant plusieurs semaines dans la capitale, qui s’imprègne sur les habits. Très peu de dégâts dans ma ville, heureusement!».

De retour depuis six mois dans une Suisse routinière pour laquelle il ne trouve plus guère d’attaches, ce citoyen du monde, double national italo-suisse, avec permis de conduire espagnol et de séjour haïtien, vit dans l’île depuis 8 ans. Versé d’abord dans l’humanitaire et bossant pour des ONG, tour à tour chef de projet dans l’immense bidonville de Cité Soleil ou logisticien pour Terre des Hommes, lui, le passionné du bâtiment, combine les qualités d’un maçon et d’un aventurier. «Plutôt moyen dans les langues, par contre. Je dois avoir un 4 ou 4,5 de moyenne», sourit-il, alors qu’il cumule quand même de bonnes bases dans six langues, dont le pittoresque créole. «Ma vie est un système D, je détestais l’école! »

L’école de la vie
Mais là encore, il donne un panorama de sa terre et nouvelle patrie bouleversant d’images, de précisions, de connaissances politiques, économiques, religieuses et sociales sur le pays, qui fait démentir ce propos de cancre. Sur place, il possède deux terrains, dont un devrait accueillir un complexe hôtelier de 6000m2 si lui et un associé suisse parviennent à le financer à hauteur d’environ 600 000 dollars. En attendant l’aboutissement de ce projet auquel il croit, conçu sur la base de containers, des structures habitables modulables, il construit sa maison pièce par pièce, quatre murs autour d’une tente au départ, avec une plaque de tôle en guise de porte. «Je vis une vie normale et ne recherche pas la richesse. Elle est dans le climat et le paysage, qui sont fantastiques, et dans la culture et la mentalité des gens d’Haïti. Niveau nourriture, tu t’en tires avec 50 dollars par semaine.»

Paradisiaque
Au lieu-dit de «La Chèvre », aux limites des communes de Perrefitte et de Moutier, dans les hauteurs de la montagne, à 1100 mètres, il dit grelotter et se réjouir de repartir fin mars, avec à la clé peut-être le démarrage de son projet, fixé sur deux à trois ans. Il y sera le gérant, depuis une colline qui surplombe la mer, à 30 minutes d’un futur aéroport en construction également. Net constat: «Depuis mon retour en Suisse, maux de dos, de ménisque, grippe, je n’avais plus connu ça depuis 8 ans, même si je me suis quand même ramassé la dengue, une maladie véhiculée par les moustiques» Le paradis, donc? «On ne montre que le côté négatif d’Haïti. Certes, il y a la corruption, de grandes difficultés au pays, sans compter les inondations, les ouragans, la pauvreté, mais il y a la classe moyenne et haute, qui sont bien présentes aussi», explique l’observateur.

Perle des antilles
«Auparavant, Haïti était considéré comme la perle des Antilles, donc arrêtons d’en dire du mal!», raconte Andrea Joray.   Plages superbes, poissons, langoustes, fruits. D’ailleurs, notre interlocuteur travaille un temps dans la fourniture de nourriture réfrigérée, mais trouvera forte concurrence avec une boîte mêlant le même commerce à celui de la cocaïne: «Le Haïtien fume peu et boit peu mais le pays est un transit entre Colombie, Jamaïque et les Etats-Unis, pour ce genre de marché. Transportée par mer, il en flottait des sacs non loin.», s’amuse-t-il.

Pays défriché jusqu’à plus possible où le monde animal se fait rare, à part nombre de mygales, où christianisme, vaudou et …bizness  se mélangent: «Des incapables montent quatre murs et appellent ça école, où ils se mettent à professer. L’Eglise là-bas aussi est un bizness. Ca dérange parce que l’attitude religieuse est excessive!»
«Bon nombre d’Haïtiens préféraient l’époque Duvalier – certes, il a fait des choses horribles – car il y avait sécurité, propreté et tout le monde avait de quoi manger. Actuellement, c’est le désordre encore, la transition de la dictature à la démocratie a été trop rapide. Il faudrait être plus strict et deux générations pour rétablir l’équilibre», explique Andrea Joray. Et qu’en est-il du président actuel, alors que Duvalier et Aristide vivent librement dans la nature haïtienne? «Martelly était d’abord un chanteur très apprécié. C’est le roi du compas, musique assez proche du zouk, pas le plus mauvais. Il s’investit dans le social et l’agriculture». Mais lui, Andrea Joray, fait-il un peu de musique, comme son père André, dans les années 60, qui jouait avec feu l’artiste Roger Tissot dans le groupe Galaxy? «Non, j’ai essayé l’harmonica à 20 ans, sans plus», dit-il.
L’harmonica. Une soirée sur la plage avec un feu de bois. De quoi gommer un peu les malheurs de ce pays. De quoi rêver de vivre comme lui, en bâtisseur. 

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