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Bêtise humaine

Bovins victimes de nos déchets

La pratique nauséabonde du littering en rase campagne tue le bétail.

L’affiche de l’Union suisse des paysans est volontairement davantage humoristique qu’accusatrice.

Texte et photos
Blaise Droz

«Je suis fâché et j’estime qu’il est temps de dire les choses avec fermeté. Les gens qui se permettent de jeter leurs détritus par la fenêtre de leur voiture sont des inconscients qui ne respectent rien. C’est choquant et pour les agriculteurs, c’est lourd de conséquences.»

L’homme qui s’exprime ainsi est le vétérinaire Pascal Furer, de la Clinique vétérinaire du Vieux-Château, à Saint-Imier. Il est particulièrement agacé contre cette forme abjecte de littering qui consiste à se débarrasser de ses déchets depuis sa voiture en rase campagne dans les champs et forêts qui bordent les routes. Et pour trouver quelqu’un d’encore plus remonté que lui, il ne faut pas chercher très loin.

 Les agriculteurs dont des terres avoisinent les routes sont trop souvent victimes de ces pratiques. Malgré leurs efforts pour inspecter et nettoyer leurs champs avant de les faucher, ils ne peuvent pas tout voir lorsque l’herbe est haute. Alors, les faucheuses déchiquettent les canettes, font éclater les bouteilles de verre et mettent en pièces toute forme de déchets dont les débris se dissimulent sournoisement dans le fourrage. Les vaches qui les avalent subissent des blessures internes, généralement au niveau du bonnet, le premier compartiment de l’estomac des ruminants. Quand la paroi de l’estomac est traversée par un débris coupant, l’animal fait une péritonite à l’issue souvent fatale.

Uniquement chez les clients de la clinique vétérinaire de Saint-Imier, il faut compter annuellement une cinquantaine de vaches blessées de cette façon, dont 10% ne peuvent pas être sauvées.

Canette de bière déchiquetée par une faucheuse.

 

Vétérinaires démunis
Les vétérinaires sont en effet plutôt démunis avec ce type de pathologies accidentelles. Lorsqu’il s’agit de métaux ferreux, ils font ingérer à la vache un fort aimant enfermé dans une enveloppe de plastique ajourée. Les clous et autres débris sont captés par l’aimant et neutralisés par ce simple objet qui reste à vie dans l’estomac des bovins. En revanche, pour le verre des bouteilles et l’aluminium des canettes, il n’y a guère de solution économiquement acceptable et lorsque le vétérinaire doit constater l’échec du traitement, l’agriculteur subit une perte.

«Le lait est souvent déjà en partie tari et la viande n’est pas commercialisable à cause du traitement aux antibiotiques. Il faut euthanasier l’animal et le faire incinérer au centre de Lyss», explique le vétérinaire.

Pendant le seul mois de mai, deux de ses clients ont dû faire abattre une bête avec une perte sèche qui avoisine les 3000 fr. La perte a même été plus lourde dans un de ces deux cas. En effet, l’agriculteur des Reussilles Mathias Lerch a perdu une génisse portante.

«Après huit mois et demi de gestation, le vêlage était proche quand la génisse a montré des symptômes alarmants. Le vétérinaire Pascal Furer a dû venir plusieurs fois et tenter un traitement aux antibiotiques mais il n’y a rien eu à faire. La bête a été euthanasiée et autopsiée pour confirmer l’origine du mal avant d’être incinérée avec son veau qui aurait été parfaitement sain. Au total, les frais d’élevage, de traitement et d’incinération représentent un montant de 3400 fr.»

Est-ce que les inconscients qui balancent leurs déchets par les fenêtres de leur voiture se rendent compte du mal qu’ils font en plus de l’aspect visuel choquant qu’ils laissent derrière eux? Sans même parler de la dégradation extrêmement lente de ce qu’ils jettent là où personne n’ira le ramasser comme par exemple en forêt.

Pascal Furer présente un aimant à placer dans le tube digestif des vaches.

 

En augmentation
Le vétérinaire Furer en doute un peu. «Cela n’évolue en tout cas pas dans le bon sens. Depuis dix ans que j’exerce à Saint-Imier, j’assiste à l’augmentation de ce phénomène qui s’est encore largement accéléré durant les trois à quatre dernières années.»

À ce rythme, notre pays sera bientôt aussi sale que des nations démunies ou désorganisées qui n’ont pas de système de voirie efficace. Un comble, sachant qu’ici les bouteilles en verre et les canettes en aluminium sont récupérées gratuitement lorsqu’elles sont triées. Quant à savoir qui sont les auteurs de cette forme de délinquance, on a vite fait de pointer les jeunes et tout spécialement ceux qui sont d’origine étrangère. Il est en effet possible que des mauvaises habitudes prises ailleurs se répètent ici.

Pourtant, les catégories de boissons dont les contenants sont répandus au bord des routes sont variées. Sur ses terres, Mathias Lerch ramasse surtout des canettes de célèbres sodas et boissons énergisantes, mais à un endroit précis, c’est une bouteille d’un litre de vin rouge qui est régulièrement retrouvée. Le comble est qu’il trouve même des bouteilles d’une marque de bière dont le nom et l’étiquette évoquent la vie à la ferme!

De manière générale, les bières traditionnelles appréciées des «vieux Suisses» font largement partie de l’inventaire et rendent peu évident le profilage des coupables.

Christine Bühler, de Tavannes, est vice-présidente de l’Union suisse des paysans. L’USP a édité une affiche (voir photo) qui demande sur fond de dessin humoristique de respecter les agriculteurs et leur bétail. «Nous avons voulu que ces affiches ne soient ni trop moralisatrices ni accusatrices, mais qu’elles initient une saine prise de conscience. Cela dit, pour moi, les gens qui jettent leurs déchets n’importe où témoignent de leur grand manque de respect. Ils estiment que c’est aux autres de ramasser ce qu’ils abandonnent n’importe où.»

Que fait la police?
Ce manque de respect mérite-t-il sanction? De plus en plus, les personnes victimes de leurs actes le pensent, mais jeter ses déchets par la fenêtre de sa voiture en roulant de nuit sur une route moyennement fréquentée est un acte totalement discret. Le risque de se faire pincer est particulièrement mince et de surcroît la sanction pénalement encourue n’est guère dissuasive.

Porte-parole de la police cantonale bernoise, Christoph Gnägi indique que pour un acte isolé comme l’abandon d’un volume de déchet allant jusqu’à un sac à ordures de 60 litres, le contrevenant ne risque qu’une amende d’ordre échelonnée entre 40 et 300 fr. Seules des pratiques de littering répétées et prouvées peuvent conduire le coupable devant un juge.

Christoph Gnägi insiste sur la difficulté de prendre un indélicat sur le fait mais cela s’est néanmoins déjà produit. En outre, une infraction contre la LCR peut également être retenue. En revanche, les services de police n’ont connaissance d’aucune plainte qui aurait été déposée par un propriétaire après qu’une vache eut souffert de l’ingestion d’un déchet.

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