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Pierre Alain Schnegg

Capitaine Tempête

Mardi, le Grand Conseil élira le directeur de la Santé à la présidence du gouvernement. Une tâche supplémentaire pour celui qui doit déjà gérer la crise du Covid-19 sur le plan sanitaire. L’occasion d’un tour d’horizon.

Pour le magistrat, on ne s’est pas encore rendu compte, jusqu’ici, qu’on vivait déjà une crise économique... archives

 

Par Pierre-Alain Brenzikofer et Philippe Oudot

Mardi, lors de l’ouverture de la session du Grand Conseil, Pierre Alain Schnegg sera élu président du gouvernement. Une casquette de plus pour un magistrat qui, Covid-19 oblige, abat déjà un travail titanesque sur le front. Avec un déconfinement cependant progressif, peut-on en déduire qu’il aura moins de mains à serrer, moins de manifestations à visiter? A moins qu’il ne s’agisse, vu le contexte, d’un tout autre rôle…

« Je ne sais pas si j’aurai moins de travail, sourit l’interpellé. Tout ce que je puis vous dire, c’est que l’agenda est déjà bien rempli. Ce sera différent, certes, mais il conviendra surtout de garder les pieds sur terre. Si on analyse les douze derniers mois, on constatera que le canton a bien fonctionné jusqu’à fin février. Mais après, tout s’est accéléré. Toujours est-il qu’on pourra à nouveau se retrouver à 300 et que le nombre de personnes contaminées diminue de jour en jour. Finalement, nous avons bien appris de cette crise. Ce qui nous permettra de mieux affronter une éventuelle deuxième vague.»

Après cette période où l’exécutif gouvernait par ordonnances interposées, doit-il s’attendre à un retour de manivelle dès l’ouverture de la session? Le magistrat note que du jour au lendemain, c’est tout un système qui a été mis à l’arrêt. Dans un tel contexte, il fallait bien prendre des décisions rapidement pour que la population soit soignée, pour qu’on se préoccupe des homes et des crèches, etc.

«Dans un mode de fonctionnement normal, cette rapidité n’est pas possible, constate Pierre Alain Schnegg. Il est d’ailleurs souhaitable que le parlement reprenne la main. Forcément, il y aura des critiques. Mais on est toujours plus intelligent après…»

Le magistrat soutient en tout cas qu’il n’y avait pas d’alternative à la prise de mesures fermes. Il cite l’exemple du Tessin, qui misait sur 75 lits de soins intensifs avec respirateurs: «A l’échelle bernoise, cela en ferait 300 que nous n’avons jamais utilisés. Nous aurions pu aller jusqu’à 250. Mais alors, n’oublions pas qu’il faut énormément de soignants autour de chaque lit de ce type.»

Dans ce contexte de crise, le frein au déficit doit-il être contourné? Tel n’est en tout cas pas l’avis d’une petite majorité de la commission des Finances. Celui de Pierre Alain Schnegg a le mérite de la limpidité: «Quand on se trouve face à une crise, on règle la crise et, pour ce faire, on prend les mesures nécessaires. Il s’agira d’être parcimonieux et de ne pas pénaliser la population bernoise par des programmes d’économies ou des hausses d’impôts. Nous avons dépensé de l’argent, la Confédération aussi. Mais devons-nous pour autant pénaliser les quatre années qui suivent? Je n’en suis pas convaincu. On ne va pas tout absorber en quatre ans. Après, il faudra tirer un trait et retrouver la normalité pour se préparer à la crise suivante...»

Une autre crise...
Pour le conseiller d’Etat, nous ne faisons d’ailleurs que sortir de la partie sanitaire de la crise. Sera-ce la plus facile à régler? Sans vouloir jouer les devins, il imagine que le virus pourrait avoir un impact extrêmement fort sur l’économie. «Alors, vaut-il la peine de se brider davantage?

Quant à savoir si le canton a les moyens d’éviter cette crise financière, Pierre Alain Schnegg rétorque que l’Etat ne peut pas l’éviter ou l’empêcher. Par contre, il peut prendre des mesures pour aider à sortir de l’ornière, à surmonter cette mauvaise passe: «Reste que les 10 milliards de budget du canton, cela pourrait être une paille. Aujourd’hui, la Suisse compte 15 000 chômeurs complets et 1,5 million de personnes au chômage partiel, soit le tiers de la main-d’œuvre.»

Tout cela pour en déduire que jusqu’ici, on ne s’est pas vraiment rendu compte qu’on vivait déjà une crise économique: «Mais comme on ne pouvait rien faire, rien dépenser, pas réserver de vacances, on n’avait pas de creux dans son budget, ce qui risque d’arriver maintenant. Allez ! cette crise peut aussi se terminer très vite. Nous bénéficions d’une économie forte et nous saurons rebondir.»

Soutien à l’économie
Et le futur président de citer l’exemple du canton de Berne, qui a pris en charge les salaires des personnes chargées de la recherche et du développement dans les entreprises durant la crise. « Elles ont ainsi pu poursuivre leurs travaux, ce qui constituera un avantage indéniable à l’heure de la reprise. Comme quoi, il faut avoir confiance, aussi. »

Reste à savoir si le conseiller d’Etat, dont le dicastère gère l’aide sociale, s’attend à une explosion à ce niveau. «Hausse en tout cas il y aura. Ceux qui en bénéficient déjà auront d’autant plus de peine à en sortir. Quant aux chômeurs en fin de droit, tout dépendra de la reprise. Si elle est lente, ils se retrouveront, eux aussi, à l’aide sociale. Mon but est de constituer un filet pour la population. Dans ce canton, nous travaillons en tout cas pour que le volet intégration de l’aide sociale soit le plus efficient possible. Je dirais enfin qu’en temps de crise, il conviendra d’abord d’engager sur place avant d’aller chercher ailleurs de la main-d’œuvre…»

 

«En période de crise, on gère la crise, on ne fait pas de la politique gauche-droite! On doit résoudre au mieux les problèmes pour garantir la sécurité sanitaire»

En tant que directeur de la Santé, vous avez été très sollicité ces trois derniers mois. Comment avez-vous vécu cette période?
Il y a eu des moments difficiles, surtout au début. Les nouvelles infections et hospitalisations augmentaient constamment et nos simulations sur 15 jours étaient inquiétantes: arriverions-nous à maîtriser la situation? Nos capacités hospitalières seraient-elles suffisantes? Mais nous avons vite vu que la courbe se stabilisait et qu’on allait tenir le coup. Il y a eu toutefois des décisions très difficiles à prendre, en particulier l’interdiction des visites dans les EMS. Ce genre de mesures est facile à expliquer de manière globale, mais c’est beaucoup plus délicat à faire passer individuellement auprès des aînés: on s’adresse à des personnes qui se sentent souvent seules dans leur home et qui n’y sont pas toutes venues de gaîté de cœur. Ce sont des décisions qui font mal.

Et comment le Conseil exécutif a-t-il vécu cette situation?
La collaboration a très bien fonctionné. Les Directions moins sollicitées ont mis des ressources à disposition de celles qui l’étaient davantage. Nous avons dû apprendre à travailler différemment, car les ordonnances ont été prises à très court terme, alors qu’il faut normalement un à deux ans pour élaborer de tels projets.

La crise du coronavirus a-t-elle exacerbé les différences de sensibilité au sein du gouvernement, ou au contraire, les a-t-elle lissées?
En période de crise, on gère la crise, on ne fait pas de la politique gauche-droite! On doit résoudre au mieux les problèmes pour garantir la sécurité sanitaire de la population et s’assurer qu’elle puisse être soignée. Nous avons parfois certaines différences de sensibilité, mais nous avons toujours trouvé rapidement des solutions consensuelles. Nous avons formé une véritable équipe, dont je qualifierais le fonctionnement d’exemplaire.

Peut-on dire que le canton de Berne était bien préparé face à la crise?
On peut toujours s’améliorer, et nous tirerons un bilan de notre action et reverrons notre organisation, mais globalement, le canton était plutôt bien préparé, tant au niveau des directions que de l’organe de conduite. Je vous rappelle que cette crise est très particulière, et qu’elle a touché le monde entier quasi en même temps. Il y a bien eu une pénurie de masques, mais qui, en décembre, aurait pu imaginer une telle pandémie? Jusque-là, les canaux d’approvisionnement fonctionnaient bien, on passait commande et on recevait la marchandise quelques jours plus tard. Et d’un seul coup, tout le monde s’est rué sur ces masques, d’où cette pénurie.

Le coronavirus a été la première priorité du gouvernement. Cela s’est-il faut au détriment des autres dossiers?
Non, en tout cas pas pour ceux qui sont prioritaires. Nous avons pu avancer comme prévu en ce qui concerne la loi sur les prestataires dans l’aide sociale, ainsi que dans le dossier des personnes handicapées. Nous avons aussi pu revoir l’arsenal juridique nécessaire pour réviser la loi sur l’asile. Les nouveaux partenaires prendront ainsi leur job en juillet, comme prévu. Certains dossiers moins prioritaires ont peut-être pris un peu de retard, mais nous avons fait au mieux.

Le gouvernement a engagé de grosses dépenses pour lutter contre la pandémie. Pour quel montant?
Selon nos projections, entre 400 et 500mios de francs, dont 270 mios rien que pour les hôpitaux. A cela s’ajoutent notamment 60 mios pour des approvisionnements, 13 mios pour les crèches et l’accueil extrafamilial et 35mios pour soutenir l’économie.

Selon H+, la faîtière des hôpitaux, la pandémie leur a fait perdre entre deux et trois milliards de francs. Qui doit payer la facture?
Il va falloir trouver des solutions constructives entre tous les partenaires, sous peine de voir notre système sanitaire sortir exsangue de la crise, et personne n’y a intérêt. ABerne, le canton s’est engagé à couvrir le manque à gagner des hôpitaux sur la base des prestations ambulatoires et stationnaires facturées à la LAMal entre 2019 et 2020. Si un hôpital a facturé pour 20mios et qu’il n’en a que 15 cette année, nous compenserons la différence, déduction faite des autres aides comme le chômage partiel, et des dépenses qui n’ont pas été engagées, pour l’achat de prothèses, par exemple. Mais ce n’est qu’une partie des pertes des hôpitaux. Il y a eu en effet beaucoup moins d’accidents durant la période de confinement, si bien qu’ils ont eu un manque à gagner, car ils ont moins pu facturer à l’assurance accidents. A cela s’ajoutent d’autres prestations normalement facturées aux assurances privées.

Alors, qui paiera quoi?
Il est clair que les cantons doivent prendre en charge une partie, car ils sont responsables de l’approvisionnement en soins. Mais la Confédération devrait aussi participer, en vertu de l’adage «qui commande paie», car c’est bien le Conseil fédéral qui a interdit les interventions non urgentes.

Et les caisses-maladie?
A mon avis, elles n’ont pas à payer pour des prestations qui n’ont pas été effectuées. Par contre, elles pourraient être mises à contribution en augmentant les tarifs Tarmed de 5 ou 10% en 2020. Elles participeraient ainsi aux coûts engendrés par le Covid pour les patients non Covid. Tout le système de santé en profiterait un peu. Cela pourrait se faire très vite si toutes les parties se mettent d’accord. On peut aussi attendre des caisses qu’elles prennent en charge le coût des tests contre le Covid, et cela sans franchise. Et qu’elles en fassent de même lorsqu’un vaccin sera disponible. Elles disposent en effet de réserves excédentaires qui se chiffrent en milliards. Si on ne peut pas en disposer dans une crise aussi exceptionnelle que celle que nous vivons, alors autant renoncer à ces réserves...

Comme tous les hôpitaux, celui du Jura bernois (HJB) a souffert de la crise du coronavirus. L’entrée du privé Swiss Medical Network (SMN) dans son capital a-t-elle changé les choses?
L’HJB a sans doute pu profiter de l’expérience de SMN, qui a beaucoup travaillé avec le Covid dans plusieurs cantons. Mais cela ne change rien en ce qui concerne la perte d’exploitation LAMal que le canton entend assumer pour tous les hôpitaux, publics comme privés.

Les pertes attendues pour l’HJB pourraient-elles remettre en cause la potentielle prise de la majorité du capital de l’HJB par SMN?
Ce n’est pas à moi de répondre, mais j’imagine que non, car cette crise est temporaire et elle ne devrait sans doute pas remettre en question les objectifs à long terme qu’avaient l’HJBet SMN. Cela pourrait peut-être occasionner un peu de retard. En tout cas, cette crise a démontré que contrairement à ce que prétendent de grands spécialistes, qui imaginent un avenir avec 12 grands hôpitaux pour toute la Suisse, le paysage hospitalier bernois, avec une bonne couverture géographique, a permis de faire face à l’épidémie.

La crise du coronavirus pourrait-elle pousser le gouvernement à favoriser l’entrée de privés dans le capital d’autres hôpitaux bernois?
Nous n’avons pas de tels plans, chaque hôpital étant un cas particulier. La mission du canton est d’assurer une bonne couverture en soins de base et les hôpitaux doivent pouvoir appuyer les autres prestataires – homes, soins à domicile, médecins de famille, etc. Il faut aussi revoir régulièrement l’offre et la faire évoluer, car la médecine change. Cela dit, personnellement, j’estime que le canton n’est pas le meilleur propriétaire. C’était peut-être le cas autrefois, mais plus aujourd’hui.

Après la douloureuse expérience du Campus de la Haute Ecole spécialisée, à Bienne et le retard pris, que faire pour éviter un tel scénario pour le projet de nouveau centre hospitalier de Bienne?
C’est à Bienne et à la région d’aller de l’avant. Mais j’espère qu’on comprenne qu’il faut construire un bâtiment fonctionnel, et pas un monument pour les 25 prochaines générations! La médecine évolue, et les besoins d’aujourd’hui ne sont pas forcément ceux de demain. Investissons pour une durée limitée et si dans 30 ans, on peut encore utiliser le bâtiment, tant mieux. Mais si, à ce moment-là, il ne répond plus aux besoins, on peut le raser et le reconstruire.

 

Moutier: «Tout le monde connaît notre position!»

Egalement président de la Délégation du Conseil exécutif pour les affaires jurassiennes, Pierre Alain Schnegg suit de très près tout ce qui s’y rapporte.

On sait désormais que le deuxième vote de Moutier aura lieu en 2021. Mais quand? Vous penchez pour février et les autonomistes pour mai. Au fait, qu’est-ce que ça change?
Nous avons eu récemment une séance de la Tripartite et nous reparlerons de cela en septembre. Le canton de Berne fera part de ses remarques relatives au registre électoral avant la pause d’été. Pour ce qui est d’une date, l’évolution du dossier Covid-19 n’empêche plus les manifestations politiques. Et si nous avons parlé d’un vote en février, c’est pour donner confiance à la population. Cette date permet de s’appuyer tout à la fois sur le registre électoral et celui des impôts pour éviter les fraudes autant que possible. Si la population est de la sorte rassurée, elle pourra accepter le résultat, qu’il aille dans un sens ou dans l’autre. Encore une fois, depuis le mois d’avril, la situation s’est améliorée sur le front du Covid-19. Je ne vois dès lors pas pourquoi il faudrait attendre jusqu’en mai 2021.

Toujours par rapport à cette votation, êtes-vous satisfait des règles établies jusqu’ici?
Nous avons trouvé de bonnes solutions sur la quasi-totalité des points en suspens. Chaque partie a compris que le vote devait se dérouler de la manière la plus propre qui soit, de manière à ce que les recours puissent être facilement rejetés. Après tout, il s’agit-là de la dernière chance de procéder à un vote. Il faut la saisir, car il n’y en aura pas d’autre.

Avec toutes ces règles et ces restrictions, le Conseil exécutif pourra-t-il encore donner son point de vue?
Certainement. Mais aujourd’hui, tout est dit. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire de se répéter. Et il est logique que Berne désire que Moutier reste bernoise, comme il est logique que le Jura aspire à ce qu’elle devienne jurassienne. Qui pourrait être choqué par ça?

Au fait, la crise du coronavirus aurait-elle fait apparaître d’autres priorités au sein de la population?
Elle les a hiérarchisées ou pour le moins rééchelonnées. Il faut prendre acte que nous avons eu beaucoup de chance dans le canton, qui a été bien protégé par rapport au Tessin et à la France, par exemple. N’oublions pas que chaque malade du Covid-19 est passé par une phase particulièrement pénible. Et qu’une personne intubée a besoin de très longues semaines pour se remettre. Oui, certains ont vécu une expérience traumatisante qui laissera des traces durant de longues années.

Dans un contexte plus régional, la révision de la loi sur le statut particulier est-elle suffisante?
Elle va dans le bon sens. Le canton a fait un pas en direction de la région. Mais, il en va de cette loi comme de tous les textes législatifs: il faut les réviser à intervalles réguliers pour déceler s’ils sont toujours d’actualité. Pour ce qui est du statut particulier, les premières prises de position sont plutôt positives.

Et le Conseil du Jura bernois? N’est-il pas trop passif?
Le gouvernement est en relation directe avec lui. Il serait donc malvenu de dire que le CJB se montre passif. Nous nous rencontrons régulièrement. Bien sûr, il y a aussi Jura bernois.Bienne, l’association des maires. Personnellement, je ne suis pas certain que l’empilage constitue un gage de visibilité. Le plus important est de comprendre que le Jura bernois forme une région différente. Mais ce dernier doit aussi comprendre que le canton n’est pas formé de deux entités. Tout est question de nuances et la loi en tient bien compte.

La nouvelle association Jura bernois.Bienne?
Je salue tout particulièrement le lien avec Bienne, véritable pôle urbain du Jura bernois. Le contester mènerait à des situations inextricables. Et si Bienne devait être séparé du Jura bernois, il faudrait souhaiter bonne chance aux francophones de la ville! La remarque vaut également pour le Jura bernois. Une région privée de pôle urbain n’en est par vraiment une. Même l’Oberland peut s’appuyer sur Thoune, au risque de déplaire à ses plus petites vallées. Le tout consiste à être complémentaire et faire un pas en direction de l’autre. Jura bernois.Bienne s’y attelle et c’est une excellente chose. J’admets que la position d’un maire, au front tous les jours, lui permet d’être plus actif qu’un membre du CJB, cénacle qui se réunit dix fois par an. Ce qui peut expliquer un déficit de visibilité…

 

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