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Jura bernois

Changement, mais dans la continuité

L’historien Pierre-Yves Moeschler est le nouveau président du Centre jurassien d’archives et de recherches économiques (CEJARE). Il succède à Patrick Linder. Le point sur cette institution unique, qui conserve près de 80 fonds d’archives, à l’heure du passage de témoin.

Le nouveau président du CEJARE Pierre-Yves Moeschler (au centre), en train de feuilleter d’anciennes photos, en compagnie de Patrick Linder (à gauche) et de Joël Jornod, directeur de l’institution.

 

Par Philippe Oudot photos Stéphane Gerber

Après 12 années passées à la présidence du CEJARE, Patrick Linder a estimé qu’il était temps de passer la main. Hier, à l’occasion du passage de témoin à Pierre-Yves Moeschler organisé dans les locaux du centre, à Saint-Imier, il a dressé un petit bilan de ses années passées à la tête de «cette institution chère à mon cœur», et dont il avait rejoint le comité quelques années plus tôt.

Fondé en 2002 par des gens de la région passionnés d’histoire et d’économie, le CEJAREest une institution unique en son genre (voir encadré). Après des débuts dans des locaux mal adaptés – «notre premier fonds était en effet entreposé dans un abri antiatomique!», le CEJAREa pu prendre ses quartiers au centre de Saint-Imier, disposant enfin de locaux professionnels, «ce qui a contribué à renforcer sa notoriété et sa crédibilité», a souligné Patrick Linder. Aujourd’hui, l’institution conserve près de 80 fonds d’archives, qui permettent de documenter la vie, le fonctionnement et le savoir-faire de nombreuses entreprises et institutions.

Une mine d’informations
Comme l’a souligné le président sortant, le CEJAREcompte parmi les principales institutions régionales. Au fil des ans, ce centre de conservation, de préservation et de mise en valeur du patrimoine économique régional s’est vu confier un nombre impressionnant de documents qui permettent d’analyser et de mieux comprendre le développement industriel de la région, a-t-il relevé: «Cette mine d’informations est un véritable trésor!»

Si nombre de fonds ont été confiés à l’institution directement par les entreprises, cela s’est fait parfois aussi dans des conditions très rocambolesques. Par exemple par un coup de fil à la veille d’un déménagement, juste avant que les archives ne passent à la poubelle…

L’homme providentiel
Après s’être beaucoup investi pour faire rayonner ce centre, Patrick Linder s’est réjoui de pouvoir remettre le bâton de président à Pierre-Yves Moeschler, «un homme providentiel doté d’une grande expérience et un fin connaisseur de la région, de son histoire et de ses institutions culturelles. C’est la personne idéale pour présider le CEJARE!»

Bilan extraordinaire
Pierre-Yves Moeschler a quant à lui qualifié d’«extraordinaire» le bilan de cette institution. «J’en veux pour preuve le livre ‹L’industrie en images› publié l’an dernier. Cet ouvrage d’envergure montre qu’au 19e siècle, le Jura bernois était déjà une des régions les plus industrielles de Suisse et qu’il l’est aujourd’hui encore.»

Il a aussi rappelé que l’histoire était une composante essentielle de l’identité régionale et qu’elle n’était pas que celle de quelques grands personnages, mais aussi celle de monsieur et de madame Tout-le-monde. Atitre d’exemple, Pierre-Yves Moeschler a présenté une photo retrouvée dans ses archives familiales: on y voit un groupe d’ouvriers, dont son grand-père, rassemblés devant la Tavannes Machines en compagnie du directeur Theodor Schwob: ils prennent la pose avec le tout premier exemplaire du Gyromatic, le fameux tour automatique qui sera exporté dans le monde entier.

En toute humilité
Al’heure de succéder à Patrick Linder, il s’est dit impressionné par la qualité du travail effectué jusqu’ici par cette institution, soulignant l’impor-tance de garder la mémoire de l’existence des entreprises. «Je suis prêt à poursuivre cette mission en toute humilité.»

Et de rappeler que si le Jura bernois est le berceau du CEJARE, celui-ci déploie aussi ses activités dans les cantons du Jura et de Neuchâtel, dont le tissu économique est très semblable. Il en va de même pour la ville de Bienne, «centre économique du Jura bernois depuis le début de la révolution industrielle».

 

 

Une institution au service de la recherche et de la mémoire collective

Le Centre jurassien d’archives et de recherches économiques a été fondé en 2002 et est basé à Saint-Imier. Il a pour vocation de préserver et de mettre en valeur le patrimoine et le savoir-faire économiques et industriels de l’Arc jurassien. En particulier du Jura bernois, mais aussi du Jura et de Bienne. Un espace dont la structure socio-économique et le tissu industriels sont très proches. Les archives qui sont conservées proviennent aussi bien de grandes sociétés d’envergure nationale que de PME, de syndicats, d’associations économiques ou de particuliers. Ces archives sont ensuite mises à la disposition de chercheurs, des collectivités et du grand public.

Parmi les quelque 80 fonds d’archives privés que le CEJAREa sauvegardés depuis sa fondation, on trouve, entre autres, des entreprises comme Aubry Frères, Schäublin, la Boillat, Tavannes Machines, Wahli, les Usines Stella, Henri Girod, la Fabrique Huot, Tornos, Bechler et Pétermann, ou encore les archives du chronométrier Frank Vaucher. La Fabrique d’ébauches de Sonceboz, ancêtre de Sonceboz SA, et J. Kurth, cordonnerie puis chaîne de magasins de chaussures basée à La Neuveville, font partie des principaux fonds recueillis récemment.

Dans son action, le CEJAREse veut proactif. Voilà pourquoi la sauvegarde des archives d’entreprises s’accompagne d’une véritable démarche de recherche active de fonds cachés, disparus ou oubliés dans des caves ou des greniers. Ce travail de prospection est une des marques de fabrique du centre. L’entier de ces tâches constitue le volet de service public du CEJARE.

Centre de prestations
En plus de son travail de préservation et de mise en valeur, le CEJAREfonctionne aussi comme un centre de prestations et propose ses compétences en matière d’archivage aux entreprises pour l’organisation de leurs archives et la réalisation de classements ou d’inventaires sur place. Il peut ainsi établir un état des lieux et estimer l’intérêt historique des archives. L’institution propose par exemple de les trier, les classer, les inventorier pour permettre à l’entreprise de les valoriser. Comme l’a relevé Patrick Linder, les entreprises, notamment dans l’horlogerie, sont très sensibles à leur histoire et l’utilisent dans leur marketing. «Cela leur donne une légitimité historique qui renforce leur crédibilité, leur positionnement et leur légitimité.»

Un ouvrage d’envergure
Après des années de recherches, le CEJARE a publié l’an dernier un pavé sur l’histoire industrielle de la région (voir Le JdJ du 7 novembre 2019) intitulé «L’industrie en images. Un système technologique et industriel dans le Jura bernois, XIXe-XXIe siècle». Ecrit par Pierre-Yves Donzé et Joël Jornod, respectivement ancien et actuel responsables du CEJARE, cet ouvrage de quelque 500 pages, qui compte plus de 800 illustrations, rappelle notamment que l’horlogerie est à la base du développement industriel du Jura bernois. On trouvait en effet des ateliers d’horlogerie dans quasi tous les villages. Mais très rapidement, on a vu l’émergence d’industries de soutien, avec le développement des machines-outils qui ont permis de produire plus et mieux.

Gros succès
Hier, Patrick Linder et Joël Jornod ont rappelé que la production de cet ouvrage avait constitué un véritable défi. Il a fallu en effet des années de recherches pour rassembler les documents les plus pertinents. Au final, la réalisation de cet ouvrage a occupé une bonne partie des activités du CEJARE l’an dernier. Mais comme l’a souligné Patrick Linder, le jeu en valait la chandelle, car ce pavé, publié à 1500exemplaires, est un véritable succès d’édition: «Preuve en est qu’à Noël, le livre était déjà épuisé!», s’est réjoui le président sortant.

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