Vous êtes ici

Abo

Bienne

Comme un avant-goût de «No Future»

La Biennoise de 16 ans Marion Evalet s’est illustrée au concours 2015 du Fumetto international de Lucerne. Le thème «Après demain» a inspiré la jeune dessinatrice

Marion Evalet exhibe des esquisses, base de ses mangas. En attendant le retour des planches exposées à Lucerne. Photo ©: Peter Samuel Jaggi

Yves-André Donzé

«Depuis qu’ils sont entrés dans ma vie, ils ne m’ont plus quittée», raconte Marion Evalet, 16 ans, de Bienne. Elle parle des mangas, ces bandes dessinées japonaises qu’elle affectionne pour leur grande liberté d’expression. Et c’est justement cette liberté et cette maturité du trait qui a séduit le jury  2015 du concours organisé par le Fumetto – Festival International de la BD de Lucerne. Le thème imposé de «Après demain» a bien inspiré la jeune fille. Qui s’est retrouvée dans le «top 45» des 1031 dessinateurs inscrits. Marion Evalet a participé au concours dans la catégorie des 15/18 ans. Elle compte bien faire de sa passion, un métier. Plus tard. «Il faut d’abord que j’aille me chercher un bagage au gymnase avant d’entreprendre une formation en art», pose la jeune fille qui goûte le fait que tout lui est ouvert.

Temps suspendu

«Des histoires? J’en ai plein la tête à raconter. C’est leur mise en forme qui est importante», déclare d’emblée Marion Evalet. «C’est son contexte qui donne du sens à l’histoire», insiste-t-elle. Cela n’empêche pas les gros plans. Son héroïne du concours porte un masque en gros plan et lève la main comme pour effacer le temps. Elle dit son profond désarroi devant l’état de la planète. L’auteure raconte ce qui arriverait à l’homme, s’il continue de détruire son environnement. On peut voir surgir une sacrée nostalgie dans ce monde post-climatique.

Nostalgie de la nature de sa prime enfance à la campagne. Celle des cours de dessin, de peinture,  dans une sorte d’académie pour enfants nommée Colorista, à Bienne. Elle y développait une créativité devenant toujours plus féconde, fabriquant des marionnettes avec lesquelles elle participait à des spectacles au Théâtre de poche. Aujourd’hui encore elle fait du théâtre, à l’Atelier 6/15. Cela fait dix ans qu’elle en fait. Mais c’est dessiner qui lui plaît par-dessus tout.

Une histoire de 24 pages

Créer des histoires en bandes dessinées pour elle, c’est comme une pièce de théâtre, c’est mettre en scène des personnages à faire pâlir «second life». «J’’aime créer un monde, une personnalité, à mes personnages», dit-elle, pas geek pour un sou. Elle se met alors à raconter la trame d’une histoire de 24 pages qu’elle présente comme travail de fin d’année. Plus d’un millier d’heures de travail. A l’oral, elle débite son récit en séquences comme en BD. C’est l’histoire d’un garçon qui ne sait pas comment faire pour aborder les autres. Qui habite dans une petite maison avec sa maman. «Il ne se sent pas très important. Il dit qu’il est le personnage secondaire de sa propre histoire», raconte Marion Evalet. C’est l’hiver. Le garçon rencontre une jeune fille énergique qui glisse devant lui. Elle tombe. Il lui demande si tout va bien. L’histoire montre comment la jeune fille peut faire sortir le jeune homme de sa coquille.  «La fille lui démontre, en une série d’anecdotes dans lesquelles elle entraîne le garçon vers les autres, que s’il ne se sent guère le héros de sa propre histoire, il peut devenir le héros de quelqu’un d’autre», résume la dessinatrice de mangas.

Dans la maison de Marion Evalet, une tête en papier mâché vous toise d’un air goguenard. Au mur, un fac-similé de document  ancien exhibe un Manpower de Léonard de Vinci.
Il prend avant l’heure la mesure de l’homme. Comme dans une case circulaire de  bande dessinée contemporaine.

Du manga à la violence réelle

Japon 

«Les Japonais ont un autre mode de vie. Et les personnages sont dans d’autres dimensions. On dirait qu’ils sont dans plusieurs réalités à la fois, qu’ils évoluent dans une réalité qui n’en est pas vraiment une. Visuellement, c’est très dynamique», s’enthousiasme Marion Evalet en précisant que les personnages ne sont pas pour autant des abstractions pures. Pour dessiner une main, par exemple, elle a parfois recours à sa sœur complice de ses esquisses.

Charlie hebdo 

Evoquant l’attentat de Paris, Marion Evalet évalue: «Ce qu’il s’est passé à la rédaction de Charlie Hebdo c’est juste l’horreur. Je ne sais pas pourquoi on empêche les gens de parler avec des dessins.  Bon. On peut ne pas être d’accord avec les dessins. On peut ne pas comprendre ce qu’ils dessinaient, mais de là  à se rendre jusqu’à l’endroit où ils travaillaient pour les tuer… Il ne faut pas prendre un dessin au premier degré. On rigole ou on ignore.»

Articles correspondant: Région »