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Politique régionale

Dans les communes, on siège par passion

En marge des élections fédérales, plusieurs communes renouvèlent leur personnel. Et il y a pas mal de mouvement, cette année. Qu’est-ce qui motive les citoyen(ne)s à s’engager? Quelle part prend l’incitation financière? Tour d’horizon de la problématique.

Le salaire annuel brut des maires présente des disparités. Si celui-ci correspond parfois à la taille de la commune, c’est loin d’être une règle, étant donné que chacune d’elles fixe et vote ses propres chiffres. JdJ

Par Dan Steiner

Il n’y a pas que les Fédérales, dans la vie. Au vu de l’actualité récente, il est permis d’en douter. Car fin de la belle saison rime habituellement avec élections. Mais communales, cette fois.

Cette année, les localités de Courtelary, de Plateau de Diesse ou encore de Sonceboz-Sombeval ont toutes vu un conseiller communal – ou municipal, c’est selon – donner sa démission de l’exécutif. Pour la fin de l’année en cours ou avec effet immédiat.

A Saules, ce sont même deux hommes, élus ou réélus en fin d’année passée pour une nouvelle législature, qu’il a fallu et faudra remplacer. A Orvin, Péry-La Heutte ou Petit-Val, le départ d’une personne du Conseil est différente, cette dernière ayant déménagé ou est en passe de le faire.

«Ils méritent d’êtremieux rémunérés»
Tant l’association de communes Jura.bernois Bienne (Jb.B) que Virginie Heyer ignorent si cette somme de retraits prématurés dans la région cette année est exceptionnelle ou non. Mais elle a en tout cas récemment fait réagir la députée-maire de Perrefitte, qui a questionné la Direction cantonale de la justice, des affaires communales et des affaires ecclésiastiques. «La fonction de maire ou de conseiller, bien qu’enrichissante, est extrêmement accaparante. De nombreux élus abandonnent en cours de route», lui avait-elle adressé.

Eh bien au contraire d’autres cantons celui de l’ours ne tient pas de statistiques. D’ailleurs, dans sa réponse (Le JdJ du 19 septembre), le Conseil exécutif estime qu’il est préférable de s’intéresser aux raisons de ces défections plutôt qu’aux chiffres. Selon lui, la situation bernoise est similaire aux autres crémeries et la Berne cantonale n’entend pas s’atteler à ce problème directement.

Satisfaite de cette réponse, Madame la députée? Pas vraiment. «Quand on demande comment faire pour aider les communes, on nous répond: ‹Fusionnez!» soupire celle qui est également présidente de Jb.B depuis sa création (lire aussi La recette miracle: la fusion?).

Elle n’en restera pas là, Virginie Heyer. «Cela me choque moins quand un membre d’un exécutif quitte son poste en fin plutôt qu’en milieu de législature. Mais les raisons sont similaires, c’est un cumul de choses: l’ampleur de la tâche, qui n’est pas toujours prise en considération ou envisagée au moment de s’engager; concilier cette charge avec la vie privée et professionnelle; et le manque de reconnaissance et la hausse des problèmes à gérer. Ça peut miner une personne.»

Pour Renaud, «l’argent ne fait pas le bonheur, mais ça aide bien pour faire les commissions». Et avec commissions, le chanteur ne sous-entendait certainement pas les nombreux comités dont font partie les élues et élus. Pour cela, ils sont toutefois bel et bien payés. Enfin, bien... Peu de communes (maires et conseillères et conseillers) répondent par l’affirmative. Mais ce n’est pas nouveau.

Car si elle ne constitue pratiquement jamais une source de motivation, la seule variable classable est le salaire annuel brut. A La Neuveville, en tout cas, la rémunération des membres de l’exécutif est bel et bien un sujet de discussion. Et même de délibération puisque le législatif, sur recommandation favorable du Conseil municipal, a récemment chargé ce dernier d’étudier des revalorisations.

«L’idée est qu’on a toujours plus de peine à trouver des gens qui acceptent de se mettre à disposition. C’est un peu le chacun pour soi», explique Jean-Pierre Latscha, coauteur du postulat en question, accepté à l’unanimité par le Conseil général. «Bon, le texte vient d’Aurèle Schleppy, mais j’ai accepté d’amener mon expérience.»

Car le membre du Forum neuvevillois (FOR) a passé deux ans à l’exécutif de sa ville, en 2007 et 2008. «Nous pensons que ses membres méritent d’être mieux rémunérés.»

Trois francs par habitant
Aussi subjectif qu’il puisse être, le chiffre du salaire annuel fixe par habitant montre par exemple que, à Sonceboz, le maire ne deviendra pas riche alors qu’il dirige tout de même une commune de 2'000 habitants. Une hausse de ses appointements a-t-elle déjà été évoquée?«Jamais», répond René Rimaz. «Au contraire, lorsque je récoltais des signatures pour me présenter, certaines personnes m’ont prévenu:‹Tu veilleras à ce que les vacations n’augmentent pas!› Les gens ne se rendent pas compte...» soupire celui qui avait déjà écoulé deux mandats à l’exécutif.

Pas mieux loti à Courtelary avec ses 500 fr. mensuels, Benjamin Rindlisbacher avoue que «ça fait bizarre, parfois. A l’inverse, si des citoyens font une remarque, on peut leur rétorquer qu’on travaille pour eux pour quelques francs de l’heure. Peut-être qu’ils révisent alors leur jugement...»

Si le salaire annuel représente un montant fixe, le revenu peut augmenter, parfois sensiblement, si l’on y inclut les jetons de présence, les vacations et d’autres frais. «Les jetons de présence à 50 fr., ça peut paraître intéressant, mais cela rémunère parfois des séances de trois ou quatre heures», note Fabien Vorpe, le maire de Tavannes. Tout ce temps passé à la commune, vous ne l’utilisez pas ailleurs.» D’autant, si l’on peut dire, quand on est indépendant, comme dans son cas.

La passion du bénévolat
On parle bien là d’une commune qui rétribue son maire à hauteur de 30'000 fr. Plus «haut» dans le classement, on ne retrouve que Saint-Imier, commune qui utilise le tableau des traitements du canton de Berne, et La Neuveville.

Mais la fonction demande des sacrifices certains. «En semaine, mes journées s’étalent de 7h à 21 voire 22h. J’essaie de libérer mes vendredis soirs et le week-end, mais ces derniers servent parfois à rattraper la lecture de rapports, par exemple», tempère Patrick Tanner. Pour son homologue neuvevillois, Roland Matti, son 30% théorique à la mairie finit par déborder largement, lui qui est gérant du restaurant et du camping de Prêles. «Ma semaine, elle commence lundi matin et se termine dimanche soir...»

Evidemment, ce temps est pris quelque part: sur le travail, mais aussi les loisirs, la famille et l’engagement dans les sociétés. «Pour la vie familiale, cela coûte cher», abonde Henri Burkhalter, à Sorvilier. Maire de la plus petite commune du Jura bernois avec celle de La Scheulte, celui de Rebévelier, Michael Amstutz, avoue avoir été contraint de réduire son engagement dans les pompiers.

De l’avis général, on l’aura déjà lu entre les lignes et compris, l’aspect financier est secondaire. Pour les communes du bas de l’échelle, la fonction de membre de l’exécutif – maire, conseillère et conseiller – pourrait être mieux rémunérée. «Si je compte tout le temps que j’y passe, c’est le job le moins bien payé que j’aie fait», rigole Michel Schaer, maire de Saules depuis 1998, après avoir œuvré au Conseil durant un peu moins qu’une décennie.

Dix ans, c’est la durée qu’aura passé Yanick Christen à la tête de Roches après son retrait, à la fin de l’année. «Vu les responsabilités, les disponibilités nécessaires ou les dérangements, les revenus ne sont pas du tout en adéquation avec ces fonctions. Les personnes s’engagent pour  rendre service à la population. Et ce qui les démotive à s’engager, c’est que, pour les communes, tout devient plus compliqué.»

Bénévolat: le mot qui revient largement le plus souvent. Juste avant passion et collectivité. Aide à la collectivité s’entend. «Je pourrais être payé 50'000 fr., ça ne me changerait rien. Pour moi, c’est un hobby», assure Roland Matti. Pour Jean Aebi, fraîchement réélu tacitement pour un second mandat à Corcelles, «certains paieraient même pour le faire», sourit-il.

Le rôle social de la mairie
Ce n’est pas Yvan Kohler et Michel Leuenberger qui diront le contraire, eux qui règnent en maîtres – mais loin d’être absolus – sur Romont respectivement Belprahon depuis 1992 et 1993. «Mais on ne court pas après un record», sourient-ils. Il est vrai qu’il faut aller le chercher, Edwin Zeiter, président de la commune haut-valaisanne de Bister – une trentaine d’âmes – depuis... 1976.

«Et puis pour moi, qui ai travaillé durant 35 ans au Swatch Group et qui ai toujours eu des contacts avec d’autres caisses de compensation, partir à la retraite provoque tout à coup un vide», avoue Yvan Kohler. «Je garde ainsi des contacts avec les gens. C’est le rôle social de la mairie. Et on me qualifie un peu de paratonnerre entre le Conseil et la population», se marre-t-il.

Nommé en 1980 comme conseiller, il n’est pas rassasié, comme en témoigne le fait qu’il se représente pour un énième mandat, en décembre. «Je suis né là, j’ai toujours vécu ici, je suis bourgeois d’ici.»

Michel Leuenberger, lui, avait déjà sévi 12 ans à l’exécutif avant de faire une pause forcée de huit ans, règlement communal limitant à trois législatures oblige. «Ce sont les mêmes personnes qui l’avaient instauré qui l’ont abrogé», se rappelle-t-il. Depuis le temps, son salaire de maire a été augmenté. «Mais je ne l’ai jamais revendiqué. Les conseillers m’ont souvent dit: ‹On pourrait te donner un petit peu plus.› On m’enlèverait quelque chose? Eh bien voilà...»

Autonomie communale
Directeur de Jb.B, André Rothenbühler assure que l’association de communes ne pourrait pas avoir d’influence sur les rémunérations. «Au mieux peut-on les comparer pour voir si les différences avec les cantons voisins sont trop grandes.»

Un salaire selon le nombre d’habitants? «Fixer ce dernier reste une prérogative communale», poursuit André Rothenbühler. Il semble bien que la passion restera le maître mot des actuels et futurs quasi-bénévoles de nos communes pour un moment.


* Relevée, pour la quasi-totalité, au 31 décembre 2018.
** Comme pour les conseillères et conseillers municipaux ou communaux, ce chiffre n’inclut pas les jetons de présence, les vacations ou les défraiements.
*** Dans plusieurs communes, la ou le vice-maire touche un salaire un peu plus élevé.

Jean-Claude Vaucher, vice-maire de Renan: «Nous, ici, on paie pour travailler...»
A Renan et Villeret, le maire reçoit un salaire fixe de 12'000 fr. par année. Ses conseillères et conseillers? Zéro avant jetons, remboursement de frais et autres. «Nous, ici, on paie pour travailler.» Jean-Claude Vaucher fait partie de l’exécutif de Renan depuis une quinzaine d’années. Il rigole, bien entendu. «Dans une petite commune comme la nôtre, il y a peu de marge de manœuvre. Mais c’est vrai que 50 fr. pour une séance de deux heures et demie, ce n’est pas un salaire très valorisant...»

De l’avis général, les membres des Conseil ont de plus en plus à apprendre. «Mais plus on suit de cours, moins on a de latitude», se désole Henri Burkhalter, maire de Sorvilier. La cause: davantage de réglementations; la conséquence: une difficulté accrue pour faire «bouger les choses».

Après une pause de deux législatures, Marc Scheidegger a réintégré le Conseil communal de Saules. A la fin de l’année, il le quittera une nouvelle fois, pour des raisons personnelles. Evidemment pas à cause de la faible valorisation financière du poste. «On fait vite deux ou trois heures par-ci par-là. Et, même si les tarifs ont un peu augmenté, le rapport ne joue pas du tout...»



«Les gens ne réalisent pas»
Son collègue du début de l’année à la mi-août, Joachim Stalder n’aura pas fait de vieux os à l’exécutif de Saules. Un peu poussé dans le dos par un membre de sa famille, l’enseignant a accepté l’année passée de se jeter à l’eau. En plus, il reprenait le dicastère des Ecoles. «Finalement, j’ai senti que ce n’était pas pour moi. Je ne voulais ni continuer pour faire plaisir ni donner des excuses pour ne pas être là. Autant jouer franc jeu», explique celui qui est devenu papa pour la troisième fois. Une charge importante en plus, avoue-t-il.

«Si l’on assiste à toutes les séances où l’on est convoqué, ça en fait plusieurs par semaine. Et si on veut être correctement préparé et pouvoir répondre au citoyen, c’est une tâche lourde. Non, ce n’était pas vraiment mon truc. Je continue à siéger dans la commission scolaire, à Reconvilier, mais je préférais m’engager dans une société, par exemple, faire du bénévolat.»

Manuel Moser non plus n’aime pas faire les choses à moitié. Problème, depuis qu’il a intégré le Conseil communal de Plateau de Diesse, en 2018, son emploi de temps a doublé. «Je suis en effet à la tête de deux entreprises. Il y a deux ans, une seule marchait bien. Cela fait 13 ans que j’habite dans la commune et je voulais faire quelque chose pour elle. J’avais du temps libre pour concilier ces deux activités.»

Depuis, sa deuxième boîte a pris de l’ampleur. Heureusement pour lui, malheureusement pour la collectivité. «On est payé correctement pour ce qu’on fait, sans plus. Mais le temps me manque», explique-t-il. Lui aussi s’en ira à la fin de l’année. «C’est dommage, car il faut entre six mois et un an pour se mettre dans le bain. Les gens ne réalisent pas ce que cela représente.»

La recette miracle: la fusion?
L’encouragement des fusions, c’est un peu le dada du canton. On le retrouve comme projet à l’état brut ou via la modification d’une ordonnance sur la péréquation financière et la compensation des charges, par exemple. Mais Berne n’est pas le seul Etat à les préconiser. Trois communes qui se marient, ça fait effectivement plus qu’un maire et quelques conseillers à trouver, non?

Niveau organisationnel, le directeur de Jb.B, André Rothenbühler, estime qu’une harmonisation des dates des législatures pourrait déjà aider au fonctionnement en réseau des communes. Et les fusions? Pour Marc Scheidegger, conseiller à Saules pendant une quinzaine d’années mais démissionnaire pour le 31 décembre, «on est au point où il faut en arriver là. Ça devient trop lourd.»

Maire de La Neuveville, Roland Matti redoute, lui, une trop grande centralisation. «Nous sommes loin de Courtelary, de Moutier. Une fusion avec Le Landeron, outre l’écueil de la différence cantonale, serait la plus valable. De grandes entités, je ne suis pas sûr que cela fonctionne si bien. Mais le problème est qu’on n’écoute jamais ceux qui sont à la base...» soupire-t-il. Donc les communes.

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