Vous êtes ici

Abo

Paysans au fil des saisons (12)

De père en fils

La transmission d’un domaine agricole est une affaire au long cours. Jérôme Abplanalp reprendra, seul, la ferme des Fontenettes d’ici cinq ans. En attendant, il la cogère et travaille principalement en tant que bûcheron.

Trois générations réunies du côté de l’écurie où se trouvent les vaches préférées des plus jeunes avec, de gauche à droite, Jérôme, Michel, Céline, Maël (1 an et demi), Steacy (8 ans et demi) et Loris (6 ans).
  • Dossier

Texte et photos Nicole Hager

>Terre d’industrie, mais aussi de paysannerie, le Jura bernois ne compte pas moins de 560 exploitations agricoles. Sept jours sur sept, sous le soleil comme sous la pluie, des hommes et des femmes s’activent pour faire tourner ces fermes. Tout au long de l’année, Le Journal du Jura est parti à leur rencontre. L’occasion de vous dévoiler, les contours d’un métier aussi essentiel que tributaire de la nature. Consacré à la transmission d’une ferme, ce dernier chapitre se veut porteur d’espoir. S’il existe encore des candidats prêts à reprendre des exploitations, l’avenir de notre agriculture est assuré. En tout cas à moyen terme.

L’exploitation des Fontenettes ne permettant pas de dégager deux salaires, il a fallu trouver un compromis. Bien qu’il ait racheté la ferme au 1er janvier 2015 et la moitié de l’inventaire (machines et bétail), Jérôme Abplanalp n’en est pas encore le principal exploitant. C’est Michel, son père, qui occupe le poste, Jérôme étant, à son âge, plus à même de trouver un revenu accessoire, d’autant qu’il peut faire valoir deux CFC, un premier de bûcheron et un second d’agriculteur. Le jeune trentenaire cumule donc les emplois et s’en accommode en attendant de pouvoir reprendre, seul, la direction du domaine familial. Ce sera chose faite en 2024, quand son père atteindra l’âge de la retraite.

Agriculteur et pendulaire
La transmission d’une ferme n’est pas une simple affaire administrative et financière. L’acte implique des choix de vie, des choix de société aussi. La perpétuation du patrimoine agricole est en jeu.

A Cormoret, la transmission du domaine des Abplanalp est déjà bien entamée. Une communauté de générations a été créée. Depuis, rien n’a radicalement changé dans la vie du père et du fils, si ce n’est leur lieu de résidence. Avec sa famille, Jérôme a emménagé à la ferme des Fontenettes, bâtie sur les contreforts du Chasseral, tandis que ses parents sont descendus s’installer au village, dans un logement mieux adapté à la mobilité réduite d’Ariane, la grand-maman de Steacy, Loris et Maël. «Je suis devenu un pendulaire», résume Michel avec son sens de la répartie habituel. «Le matin, je monte à la ferme pour traire les vaches, je descends déjeuner. Puis, je remonte, je descends dîner, et ainsi de suite.»

Chacun sa race de vaches
En semaine, père et fils se retrouvent à travailler ensemble le soir à l’écurie ainsi que le samedi. Ils se partagent les dimanches et les jours fériés. Leur domaine, qui produit du lait de fromagerie et un peu de céréales pour l’affouragement, compte actuellement 48 têtes de bétail, dont 25 vaches de toutes les races ou presque. Le grand-père préfère les brunes, plus rustiques. La jeune génération privilégie les Red Holstein et les Holstein. En été, une centaine de porcs sont engraissés. «Ils arrivent en pesant entre 20 et 25 kilos et repartent, 90 jours plus tard, en avoisinant les 100 kilos», explique Jérôme Abplanalp.

Et l’avenir ?
Quand il se retrouvera seul à la tête du domaine, d’ici cinq ans, le jeune homme ne pense pas procéder à une révolution. «J’aimerais continuer la traite et peut-être changer une chose ou l’autre en fonction des évolutions et des réformes agricoles à venir.» La ferme transmise est en bonne santé agronomique et économique, selon la Segeca, une fiduciaire spécialisée, qui soutient les agriculteurs lors des processus de transfert d’exploitation. Encore faut-il que le prix du lait de fromagerie se maintienne et que le domaine de 25 hectares puisse s’agrandir. «Mais les terres agricoles sont extrêmement recherchées, donc rares», observe Michel Abplanalp. D’autres contraintes pourraient poser des difficultés et peser sur l’avenir, comme une pression sur le prix des produits, de nouvelles exigences pour la garde des animaux ou encore sur l’emploi de pesticides. «Nous n’avons pas l’âme bio et travaillons en conventionnel. Nous utilisons ces produits avec parcimonie, ce qui nous permet d’obtenir de bons rendements sur nos terres», assurent père et fils.

Les deux hommes partagent à peu près les mêmes visions de leur métier. «Mon père me donne des conseils et je fais à ma façon», convient Jérôme. Son père admet: «L’un comme l’autre, nous devons faire des concessions. Mes mandats dans différents comités ou au Conseil municipal m’ont appris à ne pas prendre des décisions seul mais à m’en référer à l’avis d’autres personnes.»

Changement de génération
Jérôme représente la 5egénération d’Abplanalp à se succéder, depuis 1910, à la ferme des Fontenettes. La suivante pousse déjà au portillon. Steacy se verrait bien à la tête d’une ferme «pleine de chevaux», alors que son frère Loris rêve de conduire des tracteurs. Leur grand-père les couve du regard. A bientôt 60ans, Michel Abplanalp évoque le moment où lui-même a succédé à son père à la tête de la ferme familiale. «Il ne m’a pas demandé mon avis. J’étais le seul de ses quatre fils à m’intéresser à la ferme. Quand j’ai eu 20 ans, mon père a décidé de travailler à l’extérieur et je me suis retrouvé à gérer une ferme.»

Une génération plus tard, les questions à régler en amont de la remise d’un domaine agricole sont plus nombreuses. Chaque transmission demande une solution spécifique à l’exploitation, qui convient tant aux cédants qu’aux repreneurs. Même dans le cas d’une transmission interne à la famille. Au-delà des aspects d’ordre économique - l’investissement de base nécessaire à la relève et le souci pour le propriétaire de bénéficier de suffisamment d’argent à sa retraite -, se dégage l’importance des aspects relationnels des personnes impliquées dans une telle démarche au long cours. Se préparer, prévoir, négocier, concrétiser et, finalement, se retirer : le renouvellement de génération se prolongera sur neuf années chez les Abplanalp.

Articles correspondant: Région »