Vous êtes ici

Abo

Bienne

Des mois d’attente

Des milliers de résidents sont tenus de renouveler leur permis de séjour au moins tous les deux ans. Mais, souvent, le nouveau document n’arrive qu’après l’échéance de l’ancien, compliquant le quotidien.

Les délais de traitement des dossiers sont beaucoup plus longs à Bienne qu’à Berne. Archives Peter Samuel Jaggi

Par Mengia Spahr / Traduction Marcel Gasser

A l’heure actuelle, 5581personnes ont besoin, pour résider en ville de Bienne, d’un permis de séjour qui n’est valable qu’une année ou deux ans. Là où le bât blesse, c’est que les personnes concernées doivent souvent attendre la prolongation de ce document durant des mois. Dans l’intervalle, ce retard précipite certaines d’entre elles dans une situation qui ressemble à celle des sans-papiers. Avant l’échéance de leur permis de séjour, les étrangers qui en bénéficient reçoivent du Secrétariat d’Etat à la migration (SEM) un formulaire intitulé «Avis de fin de validité – Demande de prolongation», qu’ils doivent remplir, compléter avec tous les documents requis et remettre aux Services des habitants et services spéciaux de la ville de Bienne (SHS), au plus tard deux semaines avant l’échéance du permis.

«Si le SEM ne calcule que deux semaines pour traiter une demande, c’est implicitement qu’il s’agit là d’une démarche administrative toute simple», déclare Martin Jenni, qui ne souhaite pas figurer dans le journal sous son vrai nom. Pour des raisons professionnelles, il est parfaitement au courant de ces procédures. Son épouse et les enfants de celle-ci disposent d’un permis B. «Nous avons déménagé à Bienne il y a quelques années et nous avons toujours soumis aux autorités, dans les plus brefs délais, les documents complets nécessaires à la prolongation du permis, notamment à l’été 2020», affirme-t-il. Mais son épouse et les enfants ont attendu durant trois mois et demi. «Le permis de séjour était échu depuis longtemps, et il a fallu réitérer plusieurs fois notre demande avant que la prolongation n’arrive», poursuit-il.

La fille de son épouse a eu peur qu’en l’absence d’autorisation de séjour valable elle ne puisse conclure un contrat d’apprentissage. Il est certes toujours possible de réclamer auprès des SHS un document attestant que «la procédure est en cours»: il sera utile en cas de contrôle des personnes. Mais, par exemple, il ne permet pas de quitter le territoire suisse. Et l’épouse de Martin Jenni s’est vu refuser l’achat d’une carte SIM prépayée.
Anne-Sophie Hirsbrunner, co-directrice du service des affaires sociales de l’Eglise catholique de Bienne, sait fort bien ce que peut signifier l’absence d’un permis valable. «Même si l’on a fait tout ce qu’il fallait, il est difficile de trouver un emploi ou de signer un contrat de location. Les promesses de travail deviennent caduques, on ne peut pas obtenir d’abonnement demi-tarif, ni même réclamer une réduction de prime», explique-t-elle.

Accès impossible

Sur leur site web, les SHS indiquent que «les retards pris dans l’octroi et la prolongation des titres de séjour pour les étrangers sont dus à la situation actuelle en lien avec le coronavirus». Mais des comptes-rendus montrent que les retards et les difficultés de communication étaient à l’ordre du jour bien avant la pandémie. «Il est souvent très difficile d’atteindre quelqu’un, et les réponses se font attendre», poursuit Anne-Sophie Hirsbrunner. Du coup, les requérants ne savent même pas s’ils ont bien transmis tous les documents nécessaires. Souvent, c’est après avoir réclamé plusieurs fois de suite qu’ils ont fini par apprendre qu’il fallait ajouter telle ou telle pièce à leur demande.

Les milieux politiques biennois dénoncent la situation qui prévaut actuellement aux SHS. Dans la séance du Conseil de ville d’octobre 2020, des parlementaires ont adressé au Conseil municipal une interpellation urgente dans laquelle ils exigent des explications sur «les retards systématiques des SHS dans la prolongation des permis de séjour». L’une des premières signataires est la conseillère de ville socialiste Anna Tanner, également présidente de l’Organisation faîtière des institutions sociales de Bienne et des environs (OIS). Elle affirme recevoir, depuis des années, de nombreux échos relatifs à des dysfonctionnements au sein des SHS, dont les problèmes de management et de ressources sont attestés par divers spécialistes.

La gauche n’est pas la seule à monter au créneau: Sandra Gurtner-Oesch (Vert’Libéraux) et Natasha Pittet (PRR) ont également signé l’interpellation. «Je sais par des collègues avocats que ces retards existent et que les personnes impactées, par exemple, ne peuvent pas rendre visite à leurs proches malades à l’étranger», déclare Natasha Pittet, pour qui il importe que les services de la Ville fonctionnent correctement pour tout le monde.

Les signataires de l’interpellation ont reçu du Conseil municipal une réponse jugée insuffisante, «car dénuée de toute information concrète sur la raison de tels retards». Ainsi, les signataires auraient voulu savoir combien de personnes, en un mois, ont demandé une prolongation de leur autorisation de séjour avant l’expiration de leur permis. Ils ont reçu la réponse suivante: «Le chiffre demandé n’a pas pu être établi, car le temps à disposition pour cette recherche était trop court, et la charge de travail pour l’obtenir aurait été excessivement élevée».

En février de cette année, les signataires sont donc revenus à la charge, cette fois par le biais d’une motion urgente. Ils exigent notamment que les SHS de Bienne dressent un inventaire des demandes de prolongation de permis de séjour qui leur ont été adressées, et qu’ils prennent des mesures immédiates pour les traiter dans des délais raisonnables. Il conviendrait également que les personnes impactées par ces retards reçoivent d’office le document attestant que la procédure est en cours, sans avoir à le demander.

Plus de personnel à Berne

Outre Bienne, dans le canton, seules les villes de Berne et de Thoune se chargent de faire appliquer elles-mêmes la loi sur les étrangers. Dans toutes les autres communes, cette affaire est du ressort cantonal. Alexander Ott, co-directeur de l’inspection de la police et chef de la police des étrangers en ville de Berne, affirme que les cas simples «sont réglés dans un délai d’un jour», ce qui représente 80% du volume global des demandes. Lorsque des documents doivent être exigés, le traitement du dossier prend alors entre 5 et 20 jours ouvrables.

Dans les réponses apportées par le Conseil municipal à l’interpellation du mois d’octobre, on apprenait qu’en octobre 2020, chaque employé du département de la migration en ville de Berne avait eu 73 dossiers à traiter, tandis qu’à Bienne ce chiffre s’élevait à 173. Même si les tâches et les processus ne sont pas répartis de la même manière, rendant difficile une comparaison directe entre les services des deux villes, il semble évident que celui de Berne dispose de meilleures ressources en personnel que celui de Bienne.

«Oui, il y a un problème de ressources au département de la migration», reconnaît Beat Feurer, conseiller municipal biennois, en charge des Affaires sociales et de la sécurité, dont dépend le contrôle des habitants. Il rappelle qu’avec l’introduction en 2019 de la révision de la législation fédérale sur les étrangers, les services de la migration doivent faire face à une charge de travail énorme. «A Berne, pour répondre à ces modifications législatives, on a créé des emplois supplémentaires. A Bienne, on a renoncé à le faire, d’une part parce qu’on avait déjà augmenté la dotation en personnel en 2017, d’autre part parce qu’on avait procédé en 2019 à des améliorations informatiques qui, espérait-on, accéléreraient les procédures et permettraient de rattraper les retards, ce qui s’est avéré un leurre», explique Beat Feurer.

Mesures d’urgence prises

«A Bienne, pour arriver au même niveau de dotation qu’à Berne, nous avons besoin de 300 pourcents d’emploi supplémentaires», poursuit-il, déplorant que la situation, déjà urgente en 2019, se soit rapidement dégradée en raison de nombreuses défections inattendues au sein du personnel. Mais alors pourquoi n’avoir rien entrepris avant que les parlementaires ne tirent la sonnette d’alarme? «Des mesures d’urgence ont fait l’objet d’un débat l’année passée déjà, et depuis le 1er janvier de cette année nous avons créé provisoirement 2,7 postes», précise Beat Feurer. La mesure a permis de stabiliser la situation: selon ses informations, 60% des demandes de prolongation de permis peuvent actuellement être honorées dans les délais. Il confirme que le service de la migration ne traite que des dossiers complets. «Beaucoup de demandes se sont enlisées faute d’être complètes. Et ce n’est pas à nous d’envoyer des rappels: ce sont les requérants qui veulent obtenir quelque chose de nous, et non l’inverse», clarifie-t-il.

Quant au reproche selon lequel le service est injoignable par téléphone, il reconnaît que ça le met aussi en rogne. «Mais il faut comprendre que, l’année passée, quand la pile des dossiers a pris des proportions démesurées, il a fallu limiter de toute urgence l’accessibilité des services. Durant des heures fixes, les employés peuvent ainsi se consacrer exclusivement aux dossiers, sans être constamment dérangés par des appels téléphoniques», conclut-il.

Mots clés: Bienne, Asile, Migration

Articles correspondant: Région »