Deux formes de résistance

par Bernard Schindler

Les Lamineries Matthey SA et l’entreprise Auchlin SA, spécialisée dans le polissage, ont en commun une longue histoire locale, une spécialisation très poussée, une quasi-impossibilité de reconversion àd’autres productions, uneclientèle exclusivement industrielle et aucun cas de Covid-19 avéré parmi l’effectif. D’emblée, toutes deux ont eu la même exclamation à propos des conséquences de la pandémie en cours: «Rolex!». Le géant a en effet stoppé sa production, dont les deux entreprises neuvevilloises sont sous-traitantes. Ces dernières ont réagi de manière spécifique dans leur adaptation à la crise actuelle.

Les laminoirs tournent
Les Lamineries Matthey sont intégrées à Notz Metal AG mais gardent une large autonomie à l’interne. Directeur en titre, Jürg Haefli et son adjoint Claude Biselli ont répondu à notre appel téléphonique. L’entreprise continue sa production, annonce faite sur son site internet. Un chômage très partiel a été introduit parmi la soixantaine de collaborateurs, pour ceux qui en avaient besoin. Deux conditions essentielles doivent être réunies pour continuer laproduction: pouvoir respecter les règles concernant laproximité à l’interne, d’une part, et, d’autre part, garder un volume de commandessuffisant.
Dans les ateliers, les incidents de laminage peuvent être violents. Les laminoirs sont donc entourés d’une enceinte de sécurité et d’une cabine pour l’opérateur: le problème de proximité est donc résolu d’office. De plus, dans les bureaux, la communication se fait à distance et le seul lieu, ou presque, de conflit potentiel se situe autour de la machine à café! Quant au volume de commandes, la chance de l’entreprise tient à la diversité des métaux non ferreux laminés, une part majeure étant du «sur-mesure», selon la demande des clients répartis dans 35 pays.
Il en résulte des contrats durables qui permettent de moduler souplement la production en jouant sur les stocks. Autre élément d’équilibre: la diversité des clients. Actuellement, l’horlogerie est en baisse mais le médical compense en partie et l’Asie est en reprise. Les dirigeants sont convaincus de suivre la meilleure voie possible pour traverser la crise et n’ont pas de craintes particulières quant à l’avenir. Mais là, les décisions fondamentales dépendent, de toute manière, de Notz Metal AG.

Polissage à l’arrêt
Décision claire et nette. Auchlin SA a fermé l’entreprise au soir du vendredi 20 mars et jusqu’à nouvel avis, selon une annonce de son site internet. Les quatorze employés sont donc au chômage. Directrice, Catherine Frioud Auchlin en a commenté les raisons. De par la nature même de la production, haut de gamme, et de la configuration des lieux, le minimum de deux mètres de distance ne peut pas être respecté dans l’atelier, et la dépendance de l’entreprise vis-à-vis de l’horlogerie est plus forte que celle des Lamineries Matthey, par exemple. Et dans l’horlogerie, 80% des clients ont fermé, Rolex en tête.
La petite taille de l’entreprise implique un contact direct et quotidien entre employés et direction. Celle-ci a donc informé soigneusement des raisons de sa décision et a invité le personnel à s’exprimer, au travers du groupe WhatsApp de l’usine, si nécessaire. Pour les employés, la tendance à la compréhension et à la résignation au moindre mal était d’actualité.
«Toutes mes nuits ne sont pas tranquilles!» tient à préciser la directrice. Certes, une reconversion fondamentale est impensable, «on ne peut pas s’inventer un autre métier!», mais, après 75 ans d’activité, l’entreprise est saine, les charges fixes modestes et la crainte du lendemain applicable au seul court terme. Les réserves ne sont pas à bout et les banques ont déjà proposé des facilités à leurs clients sûrs. La date de reprise du travail n’est pas raisonnablement prévisible, elle dépendra de celle de l’horlogerie et, avant tout, de l’évolution des prescriptions fédérales qui combattent l’épidémie.