Digne d’un marathonien

Michael Bassin

La toute première remonte à 1979. La dernière à décembre 2018. Faites les comptes: Jean-René Carnal aura officié en qualité de président des assemblées municipales de Reconvilier durant 40 ans! A la louche, cela représente près d’une centaine de séances. Et ce fidèle parmi les fidèles n’en aura manqué qu’une seule. «Je ne me souviens plus du motif, mais il devait être sérieux», sourit-il.

Cette extraordinaire longévité a commencé tout simplement. «Je terminais une législature au Conseil municipal, et la place de président des assemblées s’ouvrait. Ma fonction au sein de l’exécutif me prenait beaucoup d’énergie. Ainsi, c’était l’occasion de continuer à me mettre au service de la collectivité.»

Jean-René Carnal s’est rapidement senti à sa place. Et ses concitoyens l’ont visiblement apprécié puisque, mémoire de président, il n’a jamais été combattu. Sa fonction, il l’a appréhendée comme celle d’un facilitateur de dialogue. «Mon objectif a toujours été que chacun puisse s’exprimer, mais sans que cela déborde.» Son style? «Conduire l’assemblée de manière détendue, avec si possible une pointe d’humour.»

Les débats ont du chien!

Assumer cette tâche n’était pas trop chronophage. Toutefois, pour être au clair avec les points de l’ordre du jour, il participait à la séance de l’exécutif précédant l’assemblée. L’ancien règlement lui aurait même permis d’assister à toutes les réunions du Conseil, avec voix consultative. Mais il n’a pas jugé nécessaire d’utiliser cette prérogative.

De mauvais souvenirs des assemblées, il n’en a pas gardés. Par contre, il a conservé quelques anecdotes. «Les discussions autour de la taxe des chiens étaient généralement un moment héroïque. Ce fut certainement le sujet le plus débattu», rigole-t-il. «Un jour, alors que les échanges duraient autour des déjections canines, j’avais conclu en rappelant qu’on parlait bel et bien d’une taxe et non pas de la vie privée des chiens.»

Jean-René Carnal n’a non plus pas oublié le jour où il a fait pencher la balance. «Cela concernait la taxe des eaux. Deux formules de calcul avaient été mises au vote et avaient récolté le même nombre de voix. J’ai tranché en faveur de la nouvelle proposition. Par la suite, j’ai été nommé président de la commission non-permanente chargée de concrétiser ce dossier...»

Pour certains citoyens, les assemblées municipales s’apparentent à ce qu’il y a de plus pur dans l’expression démocratique. D’autres n’y voient qu’un simulacre, dans la mesure où l’issue du vote dépend de la capacité à un groupe de mobiliser ses partisans. Jean-René Carnal, lui, tient à ce mode de législatif. «Certes la proportion d’ayants droit qui assistent aux assemblées est faible. N’empêche que la possibilité de participer est donnée à tout le monde», observe-t-il. «Et pour une localité de moyenne importance, une assemblée est justifiée. Pour un Conseil général, il faut vraiment disposer d’une certaine taille critique.»

Attaché à «son» village

Enfant de Tavannes, Jean-René Carnal a établi domicile depuis 53 ans à Reconvilier, commune où il a été maître secondaire avant d’œuvrer pour l’Office de recherche pédagogique de la DIP. «C’est un village où il fait bon vivre, même si la vie communautaire n’est plus ce qu’elle était. Cela dit, dans mon quartier, où une jeune génération s’est installée, les contacts sont plus nourris qu’un temps. Il existe par exemple une fête de la rue. J’étais sceptique au début, mais cela se révèle être un moment fort intéressant!», applaudit celui qui fêtera ses 81ans le mois prochain.

La démultiplication des casquettes

Un record Quatre décennies de présidence, c’est rudement solide. Mais est-ce un record pour Reconvilier? Affirmatif. Depuis 1898 –première année durant laquelle l’assemblée est dirigée par un président et non plus par le maire–, Jean-René Carnal détient la palme de la longévité devant Albert Nussbaumer. Ce dernier a mené les débats durant 36 ans, de 1911 à 1946. Depuis 2019, le premier citoyen se nomme Germain Beucler.

Un engagement Avant de présider les assemblées, Jean-René Carnal avait siégé au sein de l’exécutif local durant quatre ans. «Je suis davantage un homme de législatif», glisse celui qui est membre du parti radical depuis 1974 et qui a été membre du conseil de la Fédération des communes du Jura bernois. Quant à mener une carrière politique à plus haut échelon, il ne l’a jamais souhaité quand bien même il a figuré une fois sur une liste pour le Grand Conseil.

Cela dit, son engagement au sein d’organismes régionaux est impressionnant. N’a-t-il pas été membre du comité de la Chambre d’économie publique du Jura bernois, de l’Office du tourisme ou de l’Association régionale Jura-Bienne? Sans oublier son dada, la culture, où il a déployé son énergie dans une foule d’entités: Commission de littérature de langue française du canton, Association jurassienne d’animation culturelle, Ciné-Club de la Vallée. Sans oublier la co-présidence de l’Université populaire jurassienne.

Sa motivation pour l’univers culturel et patrimonial de la région demeure intacte, puisque le citoyen de Reconvilier est toujours secrétaire-caissier de la fondation du Banneret Wisard, à Grandval, et de la fondation de l’abbatiale de Bellelay.

Une voix Jean-René Carnal, c’est un visage incontournable de la région. Et une voix mémorable. De par son timbre grave et chaleureux, mais aussi parce qu’elle a résonné sur les ondes de RJB entre 1994 à 2017 pour une émission littéraire. Jean-René Carnal racontait chaque semaine aux auditeurs une nouvelle ou une portion d’un livre. Cette passion des mots et de l’écriture n’a d’ailleurs pas quitté ce grand admirateur de Balzac et de Maupassant notamment. Il apprécie les «nouveaux», comme Joël Dicker ou Michel Bussi, mais relit aussi volontiers des bouquins achetés il y a 60ans. «J’y trouve d’ailleurs un certain plaisir, même si certains vieillissent», observe-t-il. mba