Vous êtes ici

Abo

Société

Du provisoire qui dure

Décriant les conditions des réfugiés déboutés au centre de Boujean, une Biennoise demande de mieux s’occuper des enfants et de mettre à profit les adultes. Difficilement applicable, selon les autorités.

Les familles de réfugiés déboutés s’inquiètent pour leurs enfants. Résidant au centre de Boujean depuis plus d’un an, Naïma Chouaf souhaiterait un espace séparé pour les familles et les hommes seuls. Archives

Par Maeva Pleines

Des séjours qui se prolongent sur plus d’une année, un sentiment d’insécurité et une absence totale de perspective d’avenir: Sylviane Zulauf Catalfamo tire la sonnette d’alarme sur la situation des requérants d’asile déboutés en Suisse. «La nouvelle loi d’asile prévoyait de régler rapidement les demandes, de renvoyer les déboutés et de faciliter l’intégration des personnes admises», présentait la présidente de la commission migration du Conseil du synode jurassien dans un article du magazine Réformés du mois de mars. Elle recherche donc des soutiens financiers ou d’engagement personnel pour améliorer les conditions des migrants stationnés au centre de Boujean, à Bienne. «On ne peut tout de même pas laisser ces gens crever lentement dans des containers», justifie-t-elle au Journal du Jura.

Résidant depuis plus d’une année dans ces chambres spartiates avec son mari et ses deux filles, Naïma Chouaf confirme que la cohabitation est difficile entre les familles et les nombreux hommes seuls dans ce lieu qui loge plus d’une centaine de réfugiés. «Je n’ose pas laisser mes filles seules depuis que j’ai vu un adolescent baisser son pantalon devant elles. Dehors, on repère souvent l’odeur du shit. Et la nuit, la police doit régulièrement intervenir pour des querelles, souvent entre des jeunes hommes. Heureusement, la présence de Sécuritas nous rassure un peu.» Cette migrante déboutée précise que certaines personnes sont là depuis des années. «Ils deviennent désespérés et donc imprévisibles. Le réfugié qui a tenté de s’immoler l’année passée à Berne en est la preuve. Il résidait ici et je le connaissais.»

Les enfants paient le prix
Cette Marocaine a été refusée en Suisse car elle pourrait théoriquement rentrer dans son pays. «Le problème c’est que mon mari irakien ne peut, lui, pas rentrer dans son pays et n’est pas non plus accepté dans le mien. J’ai donc décidé de rester ici afin de ne pas déchirer notre famille et affronter l’incertitude de se retrouver un jour ou non», explique Naïma Chouaf.

Mais le choix de demeurer dans le centre de Boujean n’est pas sans prix. «Les conditions sont mauvaises ici. On a l’impression de vivre dans une prison à ciel ouvert, car nous devons signer tous les jours pour prouver notre présence. Tout le monde partage la même cuisine et la machine à laver. L’hygiène n’est donc pas optimale. Sans compter qu’il fait trop froid en hiver et trop chaud en été dans les containers. Et il n’y a aucun espace de jeu pour les enfants, alors qu’ils sont une vingtaine ici», déplore-t-elle.

Pour aller à l’école, les trajets sont longs, et surtout coûteux. «L’entreprise ORS aide en les finançant un peu, mais pas suffisamment», soupire Naïma Chouaf. Le prestataire privé a en effet remporté l’appel d’offres grâce à leurs prestations peu onéreuses. En outre, Hannes Schade, le coresponsable de la communication et des affaires juridiques du canton de Berne souligne que l’accès aux écoles publiques est garanti aux enfants, mais pas le service des écoles à journée continue. Il ajoute que les mesures de lutte contre le Covid-19 ont réduit les possibilités pour les enfants. «Les activités dans le centre ont été réduites au minimum. Une réserve de jouets reste toutefois disponible pour s’occuper en petits groupes. Par ailleurs, les résidents sont régulièrement en contact avec du personnel soignant pour savoir comment ils se sentent. Le personnel employé est particulièrement sensibilisé aux questions relatives à la violence dans la famille et au stress psychologique chez les enfants et les adolescents. Si nécessaire, une aide spécialisée est demandée immédiatement», ajoute le représentant cantonal.

Un traitement rationnel
En tant que famille, les Chouaf (quatre personnes) reçoivent 26francs par jour pour la nourriture, le lavage, les soins, les déplacements et les loisirs. Les célibataires reçoivent 8francs par jour. «C’est pour cette raison qu’il faut de l’aide extérieure», intervient Sylvie Zulauf Catalfumo. Cette membre de l’association «Tous les êtres humains» rappelle que les réfugiés déboutés n’ont pas le droit de travailler. Elle souligne également que le temps d’attente pour les traitements de dossier dépassent des délais acceptables. «La Confédération prévoit une aide d’urgence pour trois mois, en moyenne. Mais, concrètement, la Commission fédérale aux migrations (CFM) a constaté que près de 70% des migrants déboutés attendent là depuis plus d’une année, certains depuis six ans.»

Les raisons pour ces séjours prolongés sont diverses. Naïma Chouaf constate que de plus en plus de requérants sont refusés. Les dossiers prennent donc du retard. Certains réfugiés ne peuvent rentrer chez eux car la situation dans leur pays les mettrait en danger. D’autres, à cause de problèmes de santé. D’aucuns n’obtiennent pas les papiers nécessaires pour leur transfert. «Chacun a son problème, mais ce qu’il faut retenir, c’est que le délai prévu de quelques mois ne fonctionne pas. Il s’agit donc de répondre à la situation de manière réaliste, soit en les aidant plus efficacement à rentrer chez eux quand c’est possible, ou en les traitant humainement lorsque ça ne l’est pas», avance Sylviane Zulauf Catalfumo.

Celle-ci propose donc que la Ville subventionne les enfants du centre pour qu’ils puissent accéder à des groupes de jeux, ou encore aux écoles à journée continue. Elle suggère, en outre, que les jeunes qui auraient commencé un apprentissage ou des études puissent systématiquement achever leur formation avant d’être renvoyés dans leur pays (ndlr: une motion en ce sens a été adoptée par le Grand Conseil en décembre et sera traitée par le Conseil des États lors de sa session de printemps). Elle demande aussi que les adultes qui restent dans ce centre depuis plus d’une année soient, au moins, intégrés à des programmes d’occupation, pour se rendre utiles à la société et ne pas dépérir sans activité dans le centre.

Des propositions difficiles à mettre en place pour le canton, tenu de respecter les prescriptions légales. «Les mesures susceptibles de favoriser l’intégration, telles que les programmes d’emploi ou de formation, ont été supprimées dans les soins et l’hébergement des personnes, car leur mise en œuvre aurait un impact négatif sur leur volonté de quitter le pays. Cette pratique a été votée par le peuple bernois. Elle limite désormais la marge de manœuvre des centres de retour», explique Hannes Schade.

Pas de perspectives
«Pourtant, les parquer là, sans activité, coûte cher aux contribuables, alors que ces gens sont prêts à mouiller la chemise», s’exclame finalement Sylviane Zulauf Catalfumo. Naïma Chouaf se dit, quant à elle, résignée: «Nous avons déjà manifesté et mené des discussions avec différents responsables haut placés, ne serait-ce que pour avoir une place de jeux ou une séparation entre les familles et les personnes seules dans le centre. Mais c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre et les choses n’avancent pas. Heureusement que certains citoyens nous apportent gracieusement leur aide.»

Contacté, le responsable de l’Action sociale et de la sécurité à Bienne, Beat Feurer rappelle que la responsabilité de ce centre incombe au canton et non à la Ville. «Si les communes commencent à prendre en charge les tâches cantonales, celui-ci risque de se désengager. Voilà pourquoi nous sommes réticents à intervenir», déclare-t-il. L’Exécutif biennois a récemment reçu une demande de subvention destinée à aider les requérants à couvrir leurs frais de transports. «Nous ne commentant pas encore cette question, qui reste ouverte», conclut le conseiller municipal.

Articles correspondant: Région »