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Grève des femmes

Egalité et harmonie

Une des rares femmes à diriger une grande entreprise dans la région, Nicola Thibaudeau, CEO de MPS SA, s’engage pour l’égalité. Pour elle, la mixité dans les équipes favorisent l’harmonie.

Nicola Thibaudeau n’est pas pour les quotas, mais elle met tout en œuvre pour arriver à la parité entre hommes et femmes. Matthias Käser

Marjorie Spart

Nicola Thibaudeau fait partie des rares femmes CEO d’une grande entreprise dans la région. A la tête de MPS  Micro Precision Systems SA depuis 2003, elle manage 400collaborateurs répartis sur trois sites: Bienne, Court et Bonfol (JU). A une semaine de la grève des femmes, nous l’avons rencontrée pour parler avec elle de l’égalité entre les sexes.

Nicola Thibaudeau, le 14 juin, jour de la grève des femmes, votre entreprise tournera-t-elle au ralenti?
Non. A ce jour, nous n’avons reçu aucune demande de congé pour le 14 juin, sur notre site de Bienne. Par contre, à Bonfol, une personne s’est annoncée absente.

Quelles directives MPS a-t-elle données à ses employés concernant cette grève?
Nous avons envoyé un message à l’ensemble des collaborateurs pour leur dire que s’ils désiraient faire grève ce jour-là, ils devaient prendre congé.

Comment expliquez-vous le peu d’absences prévues, alors que 50% de vos employés sont des femmes?
De nombreux collaborateurs  travaillent à temps partiel. Et le vendredi est le jour de congé de prédilection. De plus, grâce à la flexibilité de nos horaires, le vendredi les employés terminent généralement à 15h. Celles et ceux qui désirent participer à la manifestation peuvent le faire, sans forcément prendre des heures, vu qu’elle se tient à 15h.

Quelle politique mène MPS en termes d’égalité?
L’égalité fait partie de l’ADN de notre entreprise. Elle est clairement inscrite dans notre charte et nous la vivons au quotidien. Sans égalité dans une société, il n’y a pas d’équilibre. Et nous sommes attentifs à ce que cet équilibre entre les sexes, mais aussi entre les âges, soit maintenu.
Lorsque la mixité est effective, on travaille avec davantage d’harmonie et les employés se sentent mieux. Dans les groupes composés uniquement d’hommes ou de femmes, il y a souvent des tensions.

Comment faites-vous concrètement pour maintenir la parité?
Notre politique favorise la conciliation de la vie professionnelle et de la vie de famille. Le temps partiel est possible pour tous, ainsi que la flexibilisation des horaires. Nous offrons la possibilité de prendre des congés sabbatiques, un congé maternité prolongé et offrons un congé paternité de deux semaines. L’égalité des salaires est garantie.
Nous veillons aussi à engager des femmes dans des domaines où on ne les attend pas forcément, comme dans la mécanique, l’engineering ou la production. Chez nous, nous avons de nombreuses femmes à des postes de direction, comme cheffe d’usine.

Vous favorisez donc les femmes à l’embauche?
Lorsque nous mettons une place au concours, nous recevons généralement une vingtaine de candidatures. Et seulement trois ou quatre de la part de femmes. Nous veillons à inviter certaines d’entre elles à un entretien.
Par contre, je rejette l’instauration de quotas. C’est déjà bien assez difficile de trouver la personne qui a le bon profil et les compétences nécessaires pour un poste sans que nous nous mettions une contrainte supplémentaire. Le danger des quotas est de nous faire renoncer à un excellent candidat pour des raisons de genre. En tant que directrice, je dois d’abord penser au bien de mon entreprise.

Et vous arrivez quand même à la parité?
Oui, car il y a autant de femmes que d’hommes bien formés et compétents.
Vous dites que l’égalité fait partie de l’ADN de MPS. Est-ce le cas parce que c’est vous, donc une femme, qui dirigez l’entreprise?
Certainement. Quelques années avant que je rejoigne MPS, seuls les hommes assistaient aux séances des cadres!

Pensez-vous qu’en Suisse, il soit plus difficile pour une femme d’accéder à la tête d’une grande entreprise comme la vôtre que pour un homme?
Cela dépend du domaine et de la région. Dans les services et les grandes entreprises, ou internationales, l’ouverture est plus grande.

Dirigez-vous votre entreprise différemment d’un homme?
Je ne sais pas vraiment. De manière générale, je trouve que les femmes ont un ego moins fort que les hommes. Ce qui influence leur prise de décision. Les femmes ont moins peur de l’échec. Elles vont aussi chercher des solutions qui se mettent en place par étapes et qui prennent donc plus de temps. Les hommes sont plus directs. Pour ma part, on me dit souvent qu’on apprécie d’avoir une femme comme directrice!

Pour vous, la grève des femmes fait-elle sens?
Le terme de grève est usurpé puisque, dans ces cas précis, il n’évoque pas un conflit entre employés et employeurs. On devrait parler de manifestation pour l’égalité. Je comprends que dans certains milieux, il faut revendiquer davantage d’égalité. Les études sont là pour montrer qu’il existe bel et bien des inégalités dans certains domaines.

Participerez-vous à la manifestation?
Non. J’ai du travail! De plus, je sais qu’une manifestation n’a pas le pouvoir de changer les choses. Avant la guerre en Irak, des millions de personnes sont descendues dans les rues du monde entier pour tenter de l’empêcher. Et rien n’y a fait. Les seules manifestations qui ont du succès sont celles pour le climat. Dans ce cas, grâce à la mobilisation des jeunes, les choses changent.

Comment faire alors pour faire évoluer les choses?
Chacun doit s’impliquer à son niveau. Chez MPS, nous engageons des femmes dans tous les domaines et à tous les niveaux. Et offrons ainsi des modèles à suivre pour les enfants ou les jeunes en formation. Nous nous engageons par les actes.
D’ailleurs, nos spécialistes participent régulièrement à la journée Futurs en tous genres, où des jeunes peuvent découvrir les métiers de leurs parents. Chez nous, ils découvrent que des femmes sont présentes dans tous les domaines d’activités.

«Aujourd’hui, les entreprises n’hésitent plus à nommer des femmes à des postes à responsabilité»

Nicola Thibaudeau s’est formée en ingénierie mécanique à l’Ecole polytechnique de Montréal. Une filière où les filles étaient, à l’époque, très peu nombreuses. «C’est vrai qu’il y avait surtout des garçons», sourit la Canadienne. «Mais je ne me suis jamais sentie discriminée, ni mal à l’aise.» Dès qu’elle a compris que la majorité des objets comportaient des composants mécaniques, elle s’est passionnée pour le sujet. «Un simple stylo contient un ressort, une bille, une mine qui a subi un polissage... Il est le résultat d’un ensemble de compétences et de savoir-faire», s’enthousiasme-t-elle.
Au moment de faire un choix professionnel, elle n’a pas hésité. «Ma mère nous a toujours poussés à faire ce qui nous plaisait. Elle nous a élevés, mes 10 frères et sœurs et moi, sans mettre de barrières à nos aspirations. Et tout en nous invitant à jouer notre rôle dans la société.»

Nicola Thibaudeau admire le dynamisme et le positivisme de sa maman: «Elle a beaucoup d’énergie et sait toujours faire face à l’adversité.» Après avoir élevé 11 enfants, sa mère a repris des études en criminologie et est devenue une référence dans le domaine de la réinsertion sociale des prisonniers. «Au Québec, on l’appelle Ma Dalton», rigole-t-elle en confirmant avoir vraisemblablement hérité du caractère de sa mère «mais en moins têtu».
Si la Québécoise juge que sa mère est féministe aujourd’hui, «elle ne l’était pas lorsque j’étais enfant. Les tâches étaient quand même séparées entre les garçons et les filles.»

Problème suisse
Lorsque Nicola Thibaudeau est arrivée en Suisse et à repris les rênes d’une petite entreprise chaux-de-fonnière, elle n’a pas senti de résistance de la part de la gent masculine. Ni d’ailleurs lorsqu’elle a repris la direction de MPS en 2003. A-t-elle le sentiment que, en tant que femme, elle a dû davantage faire ses preuves? «Non, je n’ai pas ce sentiment. Mais c’est dans ma nature de donner mon maximum, sans qu’on doive me le demander. Donnez-moi une petite graine et j’en ferai un grand et magnifique jardin.»

Selon une étude de 2017, sur 207 grandes entreprises suisses, seules 8% étaient dirigées par des femmes. Un chiffre qui étonne Nicola Thibaudeau? «Je pense que cela tient encore au modèle social de la femme à la maison, prôné par l’UDC notamment. Un parti qui récolte le plus de voix en Suisse...» La directrice de MPS s’est plutôt inspirée du modèle canadien dans lequel «les deux parents travaillent, surtout pour des raisons économiques». «Mais il y a au Canada davantage d’ouverture d’esprit qu’en Suisse.» Elle en donne pour preuve un accord de collaboration dans le domaine de l’innovation qu’elle a signé au WEFà Davos en 2018. «Dans la délégation suisse, j’étais la seule femme autour de la table, entre le ministre de l’économie, les directeurs des deux EPF. Du côté canadien, il y avait quatre femmes à des postes clés. Et le seul homme était sikh. Un miroir de la société.»

Malgré ce constat, Nicola Thibaudeau est optimiste pour atteindre l’égalité en Suisse. «Les entreprises réalisent de plus en plus l’apport positif des femmes, tant pour leurs compétences que pour l’image qu’elles apportent à la société. Elles n’hésitent plus à en nommer à des postes à responsabilité.»

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