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Bienne

«En prison, l’humanité prime»

Travaux de rénovation, nouvelle directrice, digitalisation et réorganisation de la hiérarchie: la prison régionale connaît actuellement un coup de jeune. Le Journal du Jura révèle à quoi ressemble la vie entre quatre murs.

Les détenus peuvent sortir une heure pas jour dans la cour. LDD

Par Maeva Pleines

Dès l’arrivée dans la prison, l’atmosphère devient oppressante. Trois étages abritent quelque 44 détenus, dont huit femmes, encadrés par 24 collaborateurs. A première vue, la geôle biennoise pourrait se résumer en ces trois mots: sobriété, structure et sécurité. Ce n’est qu’après un examen plus détaillé que l’on découvre une dimension humaine riche et complexe, dans cet espace en plein chamboulement, entre un changement à la direction et d’importants travaux.

«Le quotidien des détenus est très simple. Mais, la gestion administrative impliquée est beaucoup plus complexe», résume la nouvelle directrice de l’établissement, Beatrice Büchner. Les prisonniers sont, en effet, répartis dans six secteurs différents de manière stratégique. L’assignation est réfléchie de sorte à éviter toute collusion au sein d’affaires en cours. «Des contacts entre complices pourraient compromettre toute une enquête», précise la responsable de la prison. Pour éviter ce genre de situations, des transferts de prisonniers peuvent être effectués avec d’autres prisons.

Pour les détenus, le quotidien entre quatre murs passe particulièrement lentement. Certes, il existe une petite bibliothèque et, contre un franc par jour, les cellules sont munies d’une télévision. «Mais entre un Moldave et un Ghanéen, s’entendre représente souvent un casse-tête insoluble», note Beatrice Büchner. Elle poursuit son analyse: «Notre vie, à vous et moi, est remplie d’activités libres. Les détenus, eux, n’ont aucune marge de choix: ni de leur consultation médicale, ni de leur nourriture. Chaque jour, ils peuvent sortir une heure, mais l’horaire est imposé. S’il pleut à ce moment-là alors que le soleil brillait l’heure d’avant, tant pis, il en va de l’organisation de la prison.»

Cette «promenade» quotidienne se déroule dans la petite cour en face du bâtiment principal, dotée d’un baby-foot et d’une table de ping-pong. L’horaire est strict. Les différents secteurs ne se mélangent pas. «Ils ont toutefois le choix de rester dans leur cellule s’ils ne souhaitent pas prendre l’air. Il est aussi arrivé que nous devions priver un homme de cette sortie car il refusait de se plier à l’obligation du port du masque», note la directrice.

Les plus récalcitrants risquent de se retrouver en cellule d’isolement. La pièce se trouve au sous-sol de la prison. Totalement sécurisée, sans fenêtre, on n’y trouve pas d’autres commodités qu’une toilette à la turque, un matelas sommaire et une serviette. «Il faut demander pour recevoir du papier hygiénique, et les matériaux de literie ne sont pas inflammables. Car on ne sait jamais ce qui peut arriver», commente Beatrice Büchner. Et de préciser que, à Bienne, il est rarement nécessaire de faire recours à cet espace d’isolement.

Un métier multifacettes
Dans cet écosystème, les agents de détention jouent un rôle central. Au niveau de la surveillance, évidemment, mais pas seulement. «99% des détenus retournent à la société et seront peut-être un jour nos voisins. La resocialisation est donc primordiale afin qu’ils ne soient pas tentés de retomber dans la délinquance», souligne la directrice de l’établissement.

Silvano Ciamberlano, gardien pénitencier depuis plus de 23ans, confirme: «On discute beaucoup avec les détenus. Nous faisons en sorte de les accompagner de manière la plus positive possible. Il faut être un peu psychologue, car leur moral est très instable. Mais j’aime ce contact: il y a énormément à apprendre de leur vécu. On prend conscience que, même si tout va bien aujourd’hui, il est facile de basculer, selon les circonstances.» Pas toujours aisé, malgré tout, de trouver le bon équilibre entre la proximité et la distance émotionnelle, nécessaire pour se protéger. «Ça se travaille, avec l’expérience et l’aide des collègues. Et puis, il faut s’adapter à chaque cas», témoigne l’imposant Prévôtois.

Il raconte un quotidien «toujours différent», entre discussions, surveillance, nettoyage des cellules, coordination des visites de proches et d’avocats, ou encore gestion du «kiosque». «Il s’agit d’une armoire où, tous les vendredis, nous vendons quelques biens comme du chocolat, des cigarettes ou des produits d’hygiène», clarifie-t-il.

La vie carcérale semble parfaitement huilée. Toutefois, Silvano Ciamberlano révèle une part sombre de son métier. «Le pire, c’est d’arriver un matin dans une cellule et découvrir une personne qui s’est ôté la vie... C’est arrivé quatre fois dans ma carrière. Heureusement, à deux reprises, j’ai pu intervenir avant que le détenu ne suffoque.» Le métier endurcit. Silvano Ciamberlano l’admet volontiers. Il assure tout de même que «malgré son image négative, il s’agit d’une belle profession, pas adaptée à tout le monde, mais profondément humaine».

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