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Bienne

Foi de gréviste

La grève des femme du 14 juin se prépare partout en Suisse. A Bienne, la conseillère de ville socialiste Anna Tanner est l’une des chevilles ouvrières du collectif d’organisation local. Rencontre.

Anna Tanner lors des assises de la grève des femmes, le 10 mars à Bienne. Keystone

Par Didier Nieto

Anna Tanner, pourquoi ferez-vous la grève le 14 juin?
Parce qu’il y a encore trop d’inégalités entre les hommes et les femmes, au niveau des salaires, de la représentation en politique et aux postes à responsabilité, des prestations des assurances sociales, de l’accès à la formation et au travail pour les femmes issues de la migration et/ou élevant seules leurs enfants... Les femmes sont aussi davantage victimes de harcélement et de violence sexuelle. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de s’engager en faveur d’une société plus juste et plus équilibrée.

Ces inégalités sont, en règle générale, largement identifiées. Pourquoi subsistent-elles selon vous?
Nous vivons toujours dans une société patriarcale, dans laquelle ce sont les hommes qui jouissent du pouvoir de décision. Il est donc difficile de déconstruire des modèles, des images ou des lois qu’ils ont eux-même instaurés. Certes, il y a eu des progrès significatifs, comme l’obtention du droit de vote pour les femmes. Mais on reste en retard dans beaucoup de domaines où ce sont les intérêts des hommes qui prévalent.

Que faut-il changer?
Ça commence par l’éducation. Les questions liées aux inégalités et aux stéréotypes doivent être thématisées à l’école. Hélas, on continue par exemple d’étiqueter les métiers pour les garçons ou pour les filles. Ces discours favorisent le fossé entre les genres et entretiennent les structures sociales en place.

Quel a été le déclic pour lancer l’appel à la grève des femmes?
Il n’y a pas eu de déclic, mais l’accumulation des inégalités dans les domaines que je viens d’évoquer. Nous manifestons aussi pour une valorisation du travail des femmes au foyer, qui va de la garde des enfants à l’accompagnement des personnes âgées. C’est un travail non rémunéré, mais sur lequel repose toute l’économie nationale.

Le mouvement #metoo a-t-il favorisé la grève?
Oui, il fait partie de l’ensemble des facteurs. Il a poussé de nombreuses femmes à se sentir concernées. Il a engendré un lien de solidarité entre elles pour combattre ensemble le système.

A votre avis, à quoi la société ressemblerait aujourd’hui si la grève des femmes de 1991 n’avait pas eu lieu?
Ce fut un important mouvement de sensibilisation. Avec la non-élection de Christiane Brunner au Conseil fédéral en 1993, la grève a vraiment renforcé l’idée que les femmes doivent être représentées au même niveau que les hommes. A Bienne, l’association Solidarité femmes (Frauenhaus) a vu le jour après la grève. La création d’un service de consultation pour femmes – frac, en l’occurrence – était aussi une revendication des grévistes.

Dans les articles consacrés à la grève de 1991, il est beaucoup question du courage dont les femmes ont fait preuve à l’époque. En 2019, faut-il encore du courage pour faire la grève ?
A l’époque les médias parlaient surtout de la peur des femmes d’être licenciées – ou alors de la solidarité des hommes... Et c’est toujours le cas d’ailleurs. C’est énervant parce que ce ne sont pas des questions centrales. Le débat concerne les inégalités, les salaires, etc. Et pour moi, oui, ces revendications demandent encore du courage.

La Ville de Bienne autorise ses employées et employés à faire la grève, à condition de prendre congé. Cette démarche est-elle correcte selon vous?
C’est le cas de beaucoup d’administrations municipales. A Lausanne ou Genève cependant, il n’est pas nécessaire de prendre congé. Ce serait mieux si Bienne faisait pareil. Faire la grève, c’est manquer le travail sans autorisation. Le symbole est plus fort si c’est interdit. Mais je conçois que briser cet interdit est dangereux pour certaines femmes. Je n’ai pas de conseil à leur donner. Chacune doit décider en fonction de ce qu’elle juge bien pour elle. Et tout dépend aussi de ses responsabilités. Certaines femmes qui travaillent à l’hôpital ou dans des crèches, par exemple, peuvent se sentir mal à l’aise à l’idée de ne pas aller travailler.

Sur quels résultats espérez-vous que la grève débouchera?
Sur les questions d’égalité, on avance toujours avec des petits pas. J’espère que nos revendications seront entendues et que la grève sensibilisera hommes et femmes aux disparités qui subsistent dans la société. Si on arrive à montrer qu’un très grand nombre de personnes soutiennent nos exigences, nous pourrons créer une dynamique favorable. Et j’espère aussi le mouvement incitera à voter pour des femmes lors des élections fédérales d’octobre.

La lutte contre les inégalités requiert-elle forcément une présence renforcée des femmes en politique?
Je crois, oui. Mais il faut en même temps un mouvement ancré dans la société, d’où naissent des revendications qui peuvent ensuite rebondir sur le plan politique. Pour ça, il faut aussi encourager les femmes à se lancer en politique. Je constate que les partis de droite ont plus de difficultés à trouver des candidates que ceux de gauche. Sans doute que ces partis ne se battent pas suffisamment pour le droit des femmes.

A Bienne, qui sont les femmes qui composent le collectif d’organisation?
Nous sommes une trentaine à chaque séance, mais pas toujours les mêmes. Il n’y a pas de profil type. Je remarque que beaucoup n’appartiennent à aucun groupe ou organisation et s’engagent dans un mouvement pour la première fois. D’autres en revanche sont affiliées à des partis politiques, à des organisations de défense des femmes ou à des syndicats. C’est un bon mélange.

Il est justement reproché au mouvement d’être accaparé par la gauche et les syndicats…
Je ne crois pas que la grève soit de gauche. On en a parlé au sein du collectif. Il était très important de dire que nous sommes des individus avant d’être des organisations ou des partis. Il est clair que beaucoup de femmes appartiennent à des syndicats ou des partis de gauche au sein de notre collectif. Mais il y a aussi des membres des Vert’libéraux. Et comme j’ai dit dit, beaucoup s’engagent sans se revendiquer d’une quelconque obédience politique. Le mouvement rallie en dehors de sphères politiques.

L’appel à la grève ne s’adresse pas aux hommes. Quel rôle peuvent-ils ou sont-ils appelés à jouer ?
Les collectifs au niveau national sont réservés aux femmes mais les hommes ne sont pas exclus du mouvement. A Bienne, un groupe d’hommes solidaires a été créé. C’est super s’ils peuvent donner un coup de main pour monter la scène, garder les enfants, aider à faire à manger et pourquoi pas aller à la manifestation. Mais en restant en retrait. Parce que cette fois, ce sont aux femmes d’être en avant.

Les changements et les avancées réclamées par la grève des femmes ne sont-ils pas plus faciles à obtenir s’ils sont portés par l’ensemble de la société, et non par une moitié seulement?
Bien sûr. Il n’y a pas de contradiction à demander aux hommes de rester en arrière. Depuis toujours, ils sont devant, parlent, organisent… et les femmes font à manger, rangent, gardent les enfants. Cette fois, c’est le contraire. Mais le mouvement a aussi besoin des hommes. Et je les invite à s’engager. L’égalité entre les genres leur profitera aussi, sur les questions des responsabilités parentales et des congés paternité par exemple.

 

Les principales revendications des grévistes

- Travail Fin des inégalités salariales et des discriminations dans le monde du travail et révision de la législation pour imposer des contrôles et des sanctions.
- Social Les assurances sociales doivent tenir compte des besoins des femmes, notamment dans la prévoyance vieillesse.
- Travail au foyer Le temps de travail domestique doit être reconnu dans toutes les assurances sociales, en particulier pour les retraites.
- Education/soins Davantage de structures d’accueil pour les enfants et pour la prise en charge des personnes âgées, car ce travail éducatif et de soins doit devenir une préoccupation collective.
- Santé Droit à l’avortement libre et gratuit, mais aussi  gratuité et choix de méthodes de contraception et des produits d’hygiène féminine.
- Violence  Elaboration d’un plan national de lutte contre les violences sexistes.
- Harcèlement Instaurer des programmes de prévention précoce, à l’école et dans les structures concernées, pour lutter contre le harcèlement.
- Femmes migrantes Protection accrue contre les discriminations dont sont victimes les femmes issues de la migration et meilleure reconnaissance de leurs diplômes.
- Sexualité Egalité des droits pour les personnes LGBTQI.

Manifeste complet pour la grève des femmes sur www.frauenstreik2019.ch

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