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Berne

Helvétie, terre de rock? Oh yeah!

Une exposition chic et choc au Musée de la communication

Depuis les années héroïques, la technique a connu une sacrée évolution. Pas toujours pour le meilleur, selon certains puristes et autres notalgiques. Stéphane Gerber

Pierre-Alain Brenzikofer

Au risque de faire vaciller dans leurs certitudes anglophiles de fer snobs sectaires et autres ignorants des vaches, le rock helvétique existe! Et il vaut mille fois mieux que Göla et Gotthard, tristounettes figures de proue actuelles flirtant plutôt avec la variété prout. A ce titre, l’exposition didactique «Oh yeah! La musique pop en Suisse», proposée par le Musée de la communication de Berne, offre aux masses incrédules un très riche périple, des années cinquante à aujourd’hui.

Mais, juste avant de s’y engouffrer, si on tordait fissa le cou à deux idées aussi préconçues que répandues? Non, nul besoin d’être Anglais ou accessoirement Américain pour exceller dans cette galaxie. Et oui, n’en déplaise aux ethnistes bornés, la Suisse alémanique a toujours donné ce ton qui fait la musique dans l’univers pop national.

Bon, après avoir pris le train en marche, si on remontait aux sources? L’exposition bilingue, justement, débute en 1954, année héroïque où Elvis the Pelvis chantait «That’s allright mama».

Depuis, quelle évolution! Telle un buvard ou une éponge, la pop – à la grande époque, c’était encore un terme noble – a tout absorbé. Rock and roll, rock, hard rock, krautrock, metal, punk et, hélas, rap et techno. Absorbé, mais parfois magnifié, aussi!

L’iceberg à mille pointes Que l’on songe aux Sauterelles du Zurichois Toni Vescoli, qualifiés de Beatles suisses alors qu’ils étaient résolument Stones. Aux très hendrixiens, mais néanmoins Bâlois, de Toad. Aux Biennois d’After Shave, encensés dans moult revues aussi spécialisées qu’étrangères. De toute façon, l’iceberg suisse avait mille pointes. Se rappelle-t-on que Krokus a conquis les Etats-Unis et vendu dix fois plus que Gotthard? Que le groupe Double a fourgué son tube, «The captain of her heart», dans cinquante pays? Et que dire de Yello et des Young Gods, dont l’inventivité est glorifiée à l’échelon planétaire? Enfin, en guise d’inventaire à la Prévert, on mentionnera furtivement Sophie Hunger, Bastian Baker, Stress et Sens Unik. Mais aussi le satanique Reverend Beat-Man, Puts Marie, Pegasus et Krokodil. Façon d’asséner que la dimension multiculturelle constitue ici bien plus que ce slogan éculé que les bobos voudraient tant s’approprier par voie d’AOC. Oui, rockers et «popistes» suisses s’affirment résolument comme citoyens du monde. Avides de se désaltérer aux sources les plus cristallines. Pour le meilleur et pour le pire, forcément. Maisl’inventivité est bien réelle. La plus «Swiss made», comment le nier, est l’apanage de tous ces groupes s’exprimant en dialecte. Généralement bernois, mais oui, mais oui! Polo Hofer, Züri West, Patent Ochsner, Stiller Has, Florian Ast: d’authentiques légendes outre-Sarine, généralement avides de perpétuer la mémoire d’un autre Bernois illustre. Mention émue de Mani Matter, le Brassens helvétique. Côté romand, qui sait encoreque Patrick Moraz a tenu les claviers de Yes et des Moody Blues?

Forcément, le rock suisse s’est fait le miroir des grands courants sociaux. Emeutes à Zurich – on se souvient d’un concert des Plasmatics où les punks mirent le feu au Volkshaus avant de s’en prendre aux rues avoisinantes – et saga Lozane bouge, toutefois ignorée par l’expo. Oui, les musicos suisses ont tour à tour été alternatifs, punks, hippies, beatniks. Et même blousons noirs, comme disaient nos arrièregrand-mères.

A Berne, les nostalgiques découvriront avec plaisir l’ampli Marshall de Jimi Hendrix, qui n’était pourtant pas Suisse, ainsi que quelques grattes customisées. Des fringues, aussi. Des vinyles, forcément.

Etpuis,cettemagnifiquecollection d’affiches rappelant l’époque bénie où on annonçait encore les concerts par ce biais. O tempora, o mores. Sur la photo ci-dessous, que de noms mythiques! Mott the Hoople, qui fit une halte mémorable à Bienne avec Mick Ronson à la guitare. L’octogénaire John Mayall, qui tourne toujours! Les Wings, de Paul

McCartney. Les Who et Golden Earring à Wetzikon, concert événement que le soussigné avait rallié en Solex.

Aujourd’hui, aucune tendance musicale particulière ne se dessine. Entre death metal et pop mainstream, l’amateur lamb(a)da a le choix. Mais à l’époque des attentats terroristes et de cette foutue globalisation, le kid moyen n’achète plus de disques si ce n’est une poignée de vinyles pour les plus branchés. Les autres téléchargent, copient et écoutent surtout de la viaule sur Youtube. De quoi regretter ces grandes pochettes de l’époque bénie du vinyle, qui consistaient souvent en d’authentiques œuvres d’art.

Pour la bonne bouche,on signalera encore l’émergence, dans les eighties, des radios musicales comme Couleur 3 et DRS 3. Une révolution musicale, assurément. Accessoirement, qui se souvient que grâce à l’agence Good News et à Claude Nobs, la Suisse a pu accueillir les plus grands groupes de rock du monde bien avant les autres pays d’Europe?

Mercantilisme?

Et, comme pour en finir avec cette ba(l)lade, l’expo propose un mix multimédia des dernières années de la saga. A défaut de vouloir jouer les nostalgiques à tout prix, appellera-t-on ça la fin de l’innocence? Ou, à l’image du Plo, regrettera-t-on l’époque heureuse des guitares à gaz?

Forcément visuelle, l’expo est auditive aussi, qui permet de brancher un casque quasiment tous les 30 centimètres.

Aujourd’hui, les cyniques grommelleront que le mercantilisme a tué l’esprit rock. On leur préférera cette belle phrase de Mott the Hoople: «Le rock and roll est un jeu de perdants. Mais il vous hypnotise...»

«Oh yeah!» au Musée de la communication à Berne jusqu’au 19 juillet. Du mardi au dimanche, de 10h à 17h.

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