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Bienne

"Il faut être débrouillard et oser"

Fondateur de l’entreprise Roventa-Henex en 1959, Norbert Schenkel était invité la semaine dernière à visiter «son» entreprise. Un moment empli d’émotions.

Photo Aimé Ehi

Marjorie Spart

Sur le pas de la porte de l’atelier de production, il embrasse du regard la chaîne d’assemblage. Face à lui, une demi-douzaine d’ouvrières procèdent méticuleusement à l’assemblage de montres. Loupe micros sur l’œil et protection de doigts recouvrant leurs pouces, index et majeurs, elles imbriquent mouvements et cadrans, posent les aiguilles, emboîtent les pièces...

Norbert Schenkel est ému en contemplant ce spectacle. «Rien n’a changé dans la manière de faire. Même si tout a changé...», glisse-t-il en référence à la modernisation des appareils de travail. L’œil brillant, le fondateur de Roventa-Henex SA, âgé de 89 ans, est aussi fier de voir ce qu’est devenue l’entreprise qu’il a façonnée il y a 60 ans.

Formé tout seul
Actuel directeur de l’entreprise active à Bienne et à Tavannes, Jérôme Biard avait à cœur de connaître l’histoire de la firme à l’occasion de cet anniversaire. Et qui de mieux placé pour en parler que son fondateur? Après une première rencontre, Jérôme Biard a organisé une visite sur le site de production à Tavannes, où Norbert Schenkel connaissait encore une petite poignée d’employés. Il faut dire que la fidélité des collaborateurs est une des caractéristiques de la société de private label qui fabrique des montres pour d’autres marques. A l’image du directeur du site tavannois, Eric Blanc, qui a commencé chez Roventa-Henex en 1982.

Emu par ces retrouvailles, Norbert Schenkel a salué la réussite d’Eric Blanc. «Lui et moi avons cela en commun: avoir appris sur le tas, guidés par un certain bon sens, en saisissant les opportunités qui s’offraient à nous.»

Départ avec 2000 fr.
Il est vrai que Norbert Schenkel ne s’est pas formé dans l’horlogerie, mais dans la mécanique au Lycée technique de Bienne. Mais c’est grâce à son père, employé chez Omega, que l’entrepreneur a quitté sa Genève natale pour s’installer dans la cité seelandaise à l’âge de 6 ans. «Je peux quand même dire que j’ai baigné dans le monde de l’horlogerie», sourit le presque nonagénaire.

Après une expérience professionnelle à Zurich, dans un laboratoire de disjoncteurs électriques, il travaille avec son beau-père qui possédait une petite boîte d’assemblage. Ce dernier l’envoie à l’étranger pour développer les affaires et gagner de nouveaux clients.

Suite à son premier divorce, il se voit contraint de quitter la société. Ce qui pousse Norbert Schenkel à fonder sa propre entreprise de vente, avec un ami. «Nous l’avions appelée ‹Proventa›, pour évoquer le domaine de la vente et le professionnalisme. Mais cela ressemblait trop à Pro Senectute», rigole le retraité en expliquant qu’ils ont alors abandonné le P pour ne garder que Roventa.

Quand il a lancé son affaire, Norbert Schenkel avait 2000 fr. en poche. Sa chance? Avoir pu profiter d’une entreprise en faillite qui cherchait à écouler son stock. «Je les ai aidés en échange d’un pourcentage sur les ventes. Ce qui m’a permis de tenir quelques mois en attendant les premiers résultats de Roventa», raconte-t-il.

Peu de concurrence
Il a fallu à l’entrepreneur environ quatre ans pour que Roventa tourne correctement. Très vite, elle s’est spécialisée dans le private label, lorsque dans les années 60, des marques de luxe de la mode désiraient avoir leurs propres montres, mais ne prétendaient pas les faire elles-mêmes. «Nous avions très peu de concurrence dans ce secteur. C’est ce qui a fait notre force», déclare Norbert Schenkel.

Le premier gros client de la société a été Pryngeps, une marque italienne. «Ce client était le seul à ne jamais discuter les prix. Et il lui est arrivé de payer un million par avance», se souvient le retraité pour marquer le changement d’époque.

Le pire souvenir de Norbert Schenkel se résume au nom Colibri. «Cette marque voulait des montres de poche carrées que nous n’arrivions pas à faire. Et nous étions désorganisés: le stock était à Bienne, puis les pièces assemblées à Tavannes avant de retourner à Bienne. Le suivi était cauchemardesque... et nous faisions 2000 pièces par semaine.»

En 1972, Roventa a fusionné avec un de ses fournisseurs, Henex, ce qui lui a permis de compléter son offre par une nouvelle production complètement intégrée. Un bon moyen pour développer sa propre marque? «Oui, j’ai essayé. Mais c’était trop cher et trop risqué. Il vaut mieux être un bon fournisseur qu’une marque qui crevote», philosophe Norbert Schenkel. Et à voir la cinquantaine d’employés s’activer sur le site de production, l’entrepreneur a eu raison. Lui, se sent un peu nostalgique de l’époque où Roventa comptait 200 employés...

Bonne ambiance
En déambulant dans les locaux tavannois de son ancienne firme, Norbert Schenkel est heureux de ce qu’il a accompli et de la manière dont s’est développée la société qui produit 300 000pièces par an. Il admire le savoir-faire des collaborateurs, mais aussi les machines permettant de tester l’étanchéité des montres, celles coupant précisément les tiges, «alors que je les coupais à la pince», se souvient-il.

Il ressent la bonne ambiance régnant dans les locaux. «L’ambiance est importante et c’est le chef qui la donne. Je suis heureux qu’Eric ait le même état d’esprit que moi et que les employés aient le sens du service. Dans ce contexte, on travaille facilement.»

Avec le recul, s’il devait citer la clé de sa réussite, le Biennois est catégorique: «Il faut être débrouillard. Et oser. Même quand le contexte est difficile, tout en gardant la tête sur les épaules.»

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