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Votations fédérales du 30 novembre

«Inacceptable dans un Etat de droit»

Le comité bernois «Oui à l’abolition des forfaits fiscaux» défend avec force l’initiative soumise au peuple.

Les membres du comité bernois pour l’abolition des forfaits fiscaux: Christine Häsler, Marianne Streiff-Feller, Christa Ammann, Corrado Pardini et Margret Kiener Nellen. (Ph. Oudot)

Philippe Oudot

«Les forfaits fiscaux sont contraires à la Constitution fédérale et contreviennent au principe de l’égalité de traitement. Pour les très riches étrangers qui en bénéficient, c’est une forme de légalisation de l’évasion fiscale. Et comme le dit très justement l’éditorialiste Frank A. Meyer, c’est une forme de prostitution!» Hier à Berne, le syndicaliste et conseiller national Corrado Pardini (PS) n’a pas mâché ses mots en présentant, avec quatre autres membres du comité bernois pour l’abolition des forfaits fiscaux, leurs arguments en vue de la votation du 30 novembre sur l’initiative «Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires».

Il était accompagné des conseillères nationales Margret Kiener Nellen (PS) et Marianne Streiff-Feller (PEV), de la députée Christine Häsler (Les Verts) et de la conseillère de ville bernoise Christa Ammann (La Gauche). Al’heure où le canton taille massivement dans ses prestations en raison des mesures EOS, il est indispensable d’avoir un système d’imposition qui soit équitable, a souligné Christa Ammann: «Or, le système de forfaits fiscaux est profondément injuste. Il est inacceptable, car à long terme, il menace la cohésion sociale. Il faut donc le supprimer!»

Plus de rentrées fiscales

Pour l’élue de La Gauche, ce sera un premier pas pour mettre fin à la spirale infernale de la concurrence fiscale entre les cantons, qui ne profite qu’aux super-riches. Et à l’adresse de ceux qui craignent de voir les bénéficiaires aller chercher leur bonheur sous d’autres cieux fiscaux, elle a rappelé qu’après la suppression de ces forfaits à Zurich, le canton et les communes engrangeaient davantage de recettes fiscales.

Christine Häsler a quant à elle insisté sur l’inégalité de traitement entre les contribuables suisses ou étrangers qui y travaillent et les richissimes bénéficiaires des forfaits fiscaux. D’un côté, les premiers sont taxés jusqu’au dernier centime alors que de l’autre, ces résidents privilégiés sont taxés selon leurs dépenses. «Cela leur permet de profiter d’un système particulièrement injuste, d’autant que le mode de calcul manque de transparence et n’est pas le même partout.»

Et de citer le cas de Bernie Ecclestone, dont la fortune est estimée à quatre milliards de francs. S’il était taxé comme tout contribuable bernois, a martelé Christine Häsler, il paierait à lui seul environ 13 mios de francs, soit la moitié du montant versé chaque année par les 205 bénéficiaires de forfaits en guise d’impôt.

Arrangements illégaux

La conseillère nationale Margret Kiener Nellen a pour sa part avancé un autre argument pour justifier la suppression de la taxation selon la dépense. Pour l’élue, plusieurs cantons auraient ainsi passé des arrangements illégaux avec les bénéficiaires de ces forfaits. La loi prévoit en effet qu’ils sont taxés selon leurs dépenses effectives. Or, de l’aveu même d’un conseiller fiscal dans les colonnes de la Berner Zeitung, «ce système permet de savoir exactement et sur plusieurs années le montant des impôts dont il faudra s’acquitter». Selon la parlementaire, cela signifie que les bénéficiaires sont taxés sur la base d’un budget et que plus personne ne contrôle ensuite leurs dépenses effectives.

Pour Margret Kiener Nellen, «l’inégalité de traitement entre les contribuables ‹normaux› et les bénéficiaires de forfaits fiscaux est grossière et inacceptable dans un Etat de droit. Le système a échoué, raison pour laquelle il est temps d’abolir ces forfaits!»

«Forfaits injustes»

Citant la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, qui a récemment déclaré à la télévision que «les forfaits fiscaux sont injustes», Marianne Streiff-Feller a dit partager pleinement son avis. Ce système est en effet contraire au principe même du droit fiscal, qui veut que le contribuable soit imposé selon sa capacité économique. «Or, l’imposition selon la dépense contrevient à ce principe: ainsi, un riche étranger dont la capacité économique est la même qu’un riche contribuable suisse paie moins d’impôt», a-t-elle dénoncé.

Elle a par ailleurs rappelé qu’à l’origine, ce système d’imposition forfaitaire (la «lex Chaplin») avait été conçu pour les riches rentiers étrangers désireux de venir s’établir en Suisse. Mais les choses ont radicalement changé depuis l’introduction de la libre circulation des personnes. Désormais, on trouve de plus en plus de «businessmen nomades» parmi les bénéficiaires de ce système. Et de dénoncer l’attitude d’un parti comme l’UDC qui déroule le tapis rouge aux «réfugiés fiscaux» alors qu’elle fait tout pour renvoyer les véritables réfugiés qui, eux, ont véritablement droit à l’asile.

Positif à long terme

Apartheid alpin Corrado Pardini a pris l’exemple de Gstaad, où les 180 super-riches au bénéfice d’un forfait fiscal ne paient que quatre millions de francs d’impôts à la commune de Saanen. En outre, leurs chalets-bunkers à plusieurs millions font flamber les prix de l’immobilier. Atel point que «louer un trois-pièces est aussi cher à Gstaad qu’à Zurich». Et de dénoncer ce modèle qu’il a qualifié d’«apartheid alpin».

Au niveau national, il a rappelé que les 5700 bénéficiaires de forfaits fiscaux payaient moins de 700 mios de francs d’impôts. Soit 0,5% des revenus fiscaux de la Confédération, des cantons et des communes. Selon Corrado Pardini, ces super-riches paient en moyenne moins d’impôt que le patron d’une entreprise de peinture avec trois collaborateurs. On trouve pourtant parmi eux des gens comme l’oligarque Viktor Vekselberg, dont la fortune est estimée à 12 milliards de francs…

Mensonges Il a aussi dénoncé la menace de perte de 22000 emplois brandie par les opposants en cas d’acceptation de l’initiative. «Ce chiffre est absurde. (…) En cas de oui, les pertes d’emplois toucheront quelques dizaines d’avocats, agents immobiliers et autres spéculateurs», a-t-il ironisé. Quant au risque de fuite des grandes fortunes, il a constaté que dans les cantons qui avaient supprimé les forfaits, une grande partie des bénéficiaires étaient restés et payaient leurs impôts comme tout le monde. Même pour la région de Gstaad, un oui serait positif pour un développement sain et à long terme de la région.

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