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Littérature

«J’ai tendance à briser la contrainte»

Le gymnasien Morgan Droux a gagné le 1er prix du concours d’écriture sur le thème de la vieillesse

Morgan Droux a du talent à foison: il écrit, il dessine, il peint, il photographie. Après son école d’art, il se destine au cinéma. Yves-André Donzé

Yves-André Donzé

Morgan Droux débarque de Lamboing à Bienne, à moto. Il s’installe. Même quand il est assis, on le devine dans le mouvement des choses. Courtois, il se montre ravi d’être là. On ne l’imagine pas une casquette de B-boy vissée sur la tête. Lui, ça serait plutôt la «tchoupe» à la Rimbaud, ou à la Nelligan, le spleen en moins, le sourire en plus. Il vous annonce qu’il est à un tournant de sa vie trépidante. Il a fêté ses 17 ans voici quelques jours et il quitte le Gymnase français de Bienne. Soulagement ou défi? C’est pareil, on dirait.

Les mots sont de son bord

Aller se frotter au monde artistique, à l’Académie de Meuron, de Neuchâtel, «oui, c’est un défi», lance-t-il. Il a réussi ses examens d’entrée dans cette école d’orientation en arts visuels. «Au gymnase, il y avait trop de choses inintéressantes pour moi, comme la chimie, la physique. Les maths ça va», sourit le gymnasien en avouant que son prof de classe et la prof de français l’encouragent à poursuivre dans la voie artistique.

C’est qu’il vient de remporter le 1er prix d’écriture du Schlössli. Cela ne le trouble pas plus que cela. Il sait bien que les mots sont de son bord, qu’ils font partie de sa vie. Il sait leur efficacité quand on les scande. «Le hip-hop me permet de dire des choses plus directement, de manière plus percutante». Il y a plus de force, comme dans le groupe IAm, son modèle. La lecture? «Il faut que le livre me plaise pour pouvoir l’analyser. Le problème, c’est qu’il y a, au gymnase, des livres imposés qui ne me plaisent pas», explique l’étudiant qui se ravise joyeusement en pensant à sa prof de français quand elle va lire ça.

«Camus, j’aime bien ce qu’il dénonce comme quand il parle de la peine de mort; ça reste d’actualité. J’aime bien aussi quand il dit à quoi ça sert de vivre dans un monde absurde. C’est vrai qu’il est absurde, le monde», réfléchit le jeune homme. Mais l’écrivain reste optimiste. Il écrit les éléments de sa vie. « Comme les jeunes de mon âge, j’écris les joies de l’amour et les douleurs des ruptures amoureuses. Je pose des questions d’adolescents, genre qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que je fous dans ce monde», s’amuse-t-il sur le mode de «qu’est-ce que le spasme de vivre», d’Emile Nelligan.

«Hey, mon but c’est d’avoir du plaisir, de créer de la vraie émotion et de transmettre un message», coupe le poète en herbe. «Ce texte sur la vieillesse, je l’ai écrit pour mes grands-parents. Ils viennent de décéder. Je ne veux pas dire les choses juste pour un effet de style. Je veux de la joie pour eux», explique-t-il en précisant que s’il utilise les assonances et souvent le même nombre de syllabes, la forme fixe l’agace assez rapidement. «J’ai tendance à briser la contrainte», résume le garçon déjà presque impatient.

Il raconte qu’il a eu le déclic de l’écriture à l’âge de dix ans, en assistant à un concert de son père, guitariste et bassiste. Il avoue qu’il a baigné dans les sons depuis sa plus tendre enfance. Et comme il aime tous les arts en général – il dessine, il peint, il photographie, il écrit, il joue du piano –, il se destine naturellement vers le cinéma, après son école d’art. «De la fiction. J’aime inventer des histoires. J’écris des scénarios, sur les jeunes qui commencent une carrière dans le cinéma et qui font du hip-hop. Et qui me ressemblent», souligne-t-il.

Mais il ne lâche pas le hip-hop: «En ce moment, j’écris un texte sur la maladie d’Alzheimer. Elle est terrible parce qu’on oublie tout ce qu’on a construit dans la vie. Tu perds le sens de la vie. Tu oublies même le nom de tes enfants», résume l’artiste. De temps en temps, Morgan travaille dans un home. Et à la Migros pour assurer ses études.

«La vieillesse n'a pas d'âge», par Morgan Droux

De nombreuses proses ont été suggérées
Mises en cause toutes ces idées, pour mon esprit malmené
Il est difficile pour une personne atteinte d’adolescence
D’exprimer ce qu’est cette période sans vraiment de sens

Nous les mettons dans des cases
Alors que tout le monde y passe, dans cette phase
C’est un âge, c’est un passage,
C’est une image, c’est un virage

Au fond personne ne sait comment l’appeler, ce moment de la vie, parfois trop dur à vivre
Une période sans maux ou une période sans joie, je vous présente la vieillesse
Une période sans ergots ou une période sans éclats, voici ce qui nous blesse, parfois

C’est un moment de la vie rempli de complexes
Où le corps s’affaisse, mais où l’esprit reste
Car une vieillesse bien comprise est l’âge de l’espérance
Même si nos sens se fragilisent, le peu qui s’éternisent sont nos menses

La vieillesse c’est plus encore que les cheveux blancs et les rides
Ce sentiment qu’il est trop tard, un visage livide
Se dire que la partie est jouée,
Que la scène appartient à d’autres postérités

Que l’âge adulte appartient déjà au passé
Que vient le temps des regrets,
Des mauvaises actions et des choses non effectuées,
Accepter que tous ces actes moroses, on puisse les oublier

Il est difficile de savoir quand la vieillesse nous touche réellement
Peut-être le temps, où les anniversaires ne sont plus de réjouissants agréments
Où l’emploi du passé simple remplace rapidement l’indicatif futur
Où l’on ferme à tout jamais nos blessures les plus obscures

Elle est parfois complexe, parfois simple à assimiler
Mais sachez que la vivre sans remords, ce n’est plus une charge à porter
Certains la dédramatisent, parce qu’on les galvanise
Même si s’éternisent les excises

Elle nous effraie, tourmente notre sommeil
Etant le dernier couloir vers le repos éternel
Pourtant mourir de vieillesse est la seule mort qui soit acceptable
Sous les sermons d’une abbesse, c’est une chose inéluctable

Le vrai mal de la vieillesse n’est pas l’affaiblissement du corps,
Mais l’indifférence de l’âme
Elle soulève bien des problèmes, autant moraux que physiques
Comme l’imagination s’affaissant sous le poids des souvenirs

Mais en fin de compte, nous lui reprochons moins les maux qu’elle amène
Que les plaisirs qu’elle enlève
On la voit comme une trêve lorsque parallèle à la retraite
On s’promet des tas d’choses mais aucune ne sera faite

Il est difficile de la voir comme une bénédiction et non comme une malédiction
Car la vieillesse est l’ennemie de l’espèce humaine, elle peut pousser à l’exhérédation
Elle flétrit tout ce qu’elle touche, elle transforme la beauté en laideur,
La vigueur en impuissance, et l’agilité en indolence

Les maux, eux, ne sont pas nouveaux, ce sont ceux de l’existence, mais aggravés
La force manque mais reste la volonté
Le bien-être intérieur éloigne la vieillesse, ou la rend moins hideuse
Tout ce que l’on souhaite, c’est qu’il nous reste une âme compendieuse

Perdre la tête est une source d’inquiétudes
Ne plus reconnaître ses enfants devenus adultes
Malgré tout il faut honorer cette vieillesse parfois violente
Même si rares sont les hommes qui conservent jusque-là une intelligence accueillante

La vieillesse a tout de même ses propres charmes
La vieillesse il faut l’embrasser, comme une femme sous les étoiles
On passe du temps stressant, rapide, une vie cagne, au temps clair pur et calme
L’humeur fait taire les obligations, car elle en est enfin capable

Il faut désormais faire un meilleur usage du temps qu’il nous reste,
Que de toute notre vie, peut-être infeste
Cette vie a été longue, munie de multiples semples
Du haut du troisième âge, un siècle nous contemple

La vieillesse est si près de la fin des choses qu’elle les voit sous leur jour véritable,
Sans illusion et sans colère, aucun aspect dédaignable
C’est plus une façon différente de voir les autres qu’une question de rides
On se pose des tas d’questions, du haut de l’abside

Même notre vocabulaire change, impondérable destin
Nous disons hier plus volontiers que demain
Le futur brille moins dans les yeux, que les souvenirs qu’on ressasse
Nous ne savons pas si dans cette société nous avons encore vraiment notre place

La vieillesse est la mère du doute
Aucun être n’est préparé à vivre cette période
On y est forcé, c’est comme ça, c’est la vie,
On ne pense à ceux qui la vivent que lorsqu’ils nous sont proches

Ils meurent alors on regrette de ne pas leur avoir assez dit qu’on les aime
Ce sont eux les porte-paroles de l’histoire, nous leur devons de l’égard
Nous leur devons ce que nous sommes, nous leur devons la vie
Alors pensons à eux, à ces hommes, à ces femmes

Le jour où ils partiront, nous prendrons leurs places
Le jour où ils partiront, tu nous prendras, vieillesse

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