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Portrait

«J’aime jouer de grands trips sans auditoire!»

Visite chez le créateur de Célestine guitares Claude Bourquard, rare luthier de la région jurassienne

Claude Bourquard veut garder la touche finale sur son produit, mais rêve d’une entreprise à plusieurs. BIST

Pierre-Yves Theurillat

La façon dont Claude Bourquard use de la parole semble exprimer secrètement que nous avons affaire à un grand habitué du silence.A peine le bruit de ses activités de luthier dans l’atelier, situé en marge de Saint-Brais. Il parle, pense, réfléchit comme s’il façonnait du bois, comme s’il était en train d’exercer les mille et une opérations que requiert la création d’une guitare. En de simples propos, l’homme, philosophe, aiguise sa lucidité au fil des discussions et exerce sa technique, acquise en autodidacte.
 Lancé seul dans l’aventure de la lutherie, à peine guidé par la présence d’un maître aujourd’hui défunt, un self-made-man lui aussi nommé François Corbelari. Claude Bourquard en fait l’éloge, mais souligne aussi les risques d’un métier (trop) créatif:«Personne ne lui allait à la cheville. Il exerçait à La Chaux-de-Fonds. Mais suivre sa folie était difficile. Il m’avait découragé de faire ce métier, me disant que si je ne maîtrisais pas la première année de menuiserie, me lancer ne valait pas la peine! Il a quitté ce monde selon son choix. J’étais sûr cette fois-là que je ne le reverrais plus. J’en ai déduit une chose: la folie rôde autour de la perfection. Il n’a pas su gérer, lui, son perfectionnisme.» Depuis ses débuts en 1986, Claude Bourquard a réalisé 70 guitares, estampillées de sa marque, Célestine. Un beau palmarès à 50 ans. Mais ce qui frappe chez ce bourlingueur, dix ans au Tibet après une année autour du monde, tient plus dans sa façon de se percevoir lui-même. L’entendre raconter comment il a progressé dans la manufacture des guitares autant que dans son esprit confère un sentiment de richesse. C’est peut-être cela, la valeur ajoutée à ses Célestine. Comme bien d’autres, le créateur s’est construit sur ses blessures: «A six ans, avant l’école, j’étais un intellectuel, me voyais m’occuper de factures et gratter du papier. Et puis une prof a agi méchamment sur moi. Je ne sais pas ce qui la dérangeait, mais j’ai développé un blocage complet par la suite. Plus rien ne ‹rentrait› à l’école!»
Adolescent, il se passionne pour les moteurs de boguets et se met à schinder des deux roues: «En me mettant à la guitare après la mécanique, j’ai compris que ça au moins, c’était sans limite, que le terrain était libre. Il n’y aurait jamais un flic pour te dire ‹votre guitare sonne trop fort!»

Un passé d’accordéoniste

Sa première guitare, comme musicien, il l’’achète à Katmandou. De son passé d’accordéoniste, il s’aperçoit que l’expression par la musique, lorsqu’elle n’a plus lieu, finit par générer un vrai manque. Alors il s’y met. Sa petite dernière, une électroacoustique à la forme unique, résume près de 30 années de jouerie, de réflexions, de conceptions et de réalisations de ses projets inventifs, assez révolutionnaire sur la forme et la structure de l’instrument:«J’ai dû oublier ce que je connaissais de la guitare traditionnelle pour ouvrir sur un univers où il devenait possible de créer du nouveau!» Il dit avoir tout dépassé comme musicien: «Je ne joue pas pour une scène ou pour faire plaisir à papa. J’aime jouer de grands trips sans auditoire. J’ai le souvenir de mes premiers accords, c’était planant, j’aimais tellement...»
Claude Bourquard semble avoir dû lutter avec «ce vieux coincé de l’école» qu’il était. Il en découdra avec lui lors d’une expérience musicale de groupe un peu fâcheuse, se contentant dès lors de jouer seul. Petit consommateur dans la vie, il se balade de pièce en pièce dans l’atelier avec une lampe frontale, histoire d’économiser l’énergie. Il travaille alors dans la quasi-nuit, une atmosphère là aussi unique, qui lui donne cet air de moine soldat dans un décor d’abbaye. Etonnant mélange de rigueur et de simplicité, d’humanité expérimentée et de sensibilité protégée derrière un rempart de calculs et de prévisions. «J’ai contacté le canton du Jura pour lui soumettre un projet de création d’entreprise que j’avais. J’entends m’occuper du contrôle final de mes guitares et laisser un poste vacant pour la fabrication des pièces et leur assemblage. Mais je n’ai pas eu de financement. J’aimerais trouver un gros poisson pour représenter Célestine guitares de la meilleure des façons. Je vais créer dix exemplaires de la dernière d’ici au printemps. Chaque exemplaire aura un trait unique.»
www.celestineguitars.ch

Profil

Etat civil Séparé. Trois enfants, dont Shanka, adopté indien d’aujourdhui 18 ans.
Occupation Construire une Célestine représente 280 heures de travail, soit environ six semaines.
Celestine Marque de guitares, inspirée du céleste Himalaya.
Souhaite Rendre possible la distribution d’un bon produit, rentable, dans le monde entier.

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