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Nidau

"Je ne souhaite ce travail à personne"

Quatre travailleuses du sexe de l’Hotel Schloss à Nidau racontent leur parcours et leur quotidien.

Photo Tanja Lander

Didier Nieto

L’Hotel Schloss a réouvert au début du mois d’avril (notre édition du 16 avril). La maison close de Nidau emploie 16 travailleuses du sexe. Dont Andrea. La jeune femme de 32 ans a fait ses premiers pas dans la prostitution il y a trois semaines. Mère de deux enfants, cette Roumaine installée en Suisse depuis deux ans travaillait auparavant en tant que barman. «L’établissement qui m’employait a fait faillite. J’ai trouvé un autre emploi, mais à 50% seulement. Ce n’était pas suffisant pour vivre», relate-t-elle. De son plein gré, elle a poussé la porte du Schloss. «Je n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas retourner dans mon pays, où la situation économique est trop mauvaise.» La première fois qu’elle s’est retrouvée avec un client a été «un moment très difficile», confie-t-elle. Si sa voix est pleine de retenue, ses yeux témoignent d’une épreuve plus traumatisante.

«Victimes de la crise»
Assise à côté d’Andrea, Dania s’exprime avec plus d’aplomb. Cette Française de 28 ans se prostitue depuis 2009, après avoir perdu son emploi d’aide-soignante suite à un accident. «Je me suis retrouvée dans une situation financière délicate. J’ai vu un reportage à la télé sur des salons de massage. J’ai alors décidé de me lancer», raconte-t-elle. La prostitution étant illégale en France, la jeune femme commence à Genève, puis à Lausanne, où elle rencontre Pierre Jacquod, qu’elle suit lorsqu’il reprend le Schloss, en août 2011.
Comme leurs collègues, Sylvia  et Erica se disent elles aussi des «victimes de la crise». Elles sont venues en Suisse, respectivement depuis l’Espagne et la Belgique, dans le but de se prostituer. «Ici, je peux gagner plus d’argent que dans mon pays», explique Sylvia. «Nous faisons ce travail parce que nous avons besoin d’argent. Nous avons toutes des dettes», ajoute Erica, qui se défend, comme ses collègues, d’avoir été contraintes de se prostituer. «On fait ce métier de notre plein gré et on l’assume», insiste Sylvia. Une profession à laquelle elles disent – sans grande conviction – s’être «habituées». «Mais c’est un travail que je ne souhaite pas à ma pire ennemie», souffle Dania.

Double vie
Les filles du Schloss sont des travailleuses du sexe indépendantes, au bénéfice d’un permis de travail en règle. Elles décident elles-mêmes de leur rythme de travail. Andrea et Erica sont au Schloss six soirs par semaine. Sylvia partage sa vie entre l’Espagne et la Suisse, où elle reste pour des périodes de trois à quatre semaines. «En Espagne, personne ne sait ce que je fais ici. Je dis à mes proches que je rends visite à mon petit ami», explique-t-elle. La prostitution est un secret. «Je suis une femme morte si ma famille l’apprend», image Dania, qui craint d’ailleurs tous les soirs qu’un de ses proches entre dans le bar.
Corollaire de cette vie cachée, les filles vivent dans une sorte de vase clos. «En dehors des autres prostituées, je n’ai pas d’amis en Suisse, reconnaît Dania. Cela me semble impossible si je dois cacher tout un pan de ma vie.» Les filles du Schloss passent beaucoup de leur temps libre ensemble: promenade, discussion, shopping. Si certaines vivent dans un appartement à Bienne, la plupart louent une chambre sur place en colocation. «Nous nous entendons bien, il n’y a pas de concurrence entre nous», relève Erica. Toutes ont renoncé à une vie sentimentale. «On ne peut pas mélanger notre travail et une histoire d’amour», résume Sylvia.

Un rôle de psychologue
Au Schloss, les filles côtoient une clientèle bigarrée, de tout âge et de toute classe sociale. Les hommes ne viennent pas tous pour entretenir une relation sexuelle. «Beaucoup  cherchent de la compagnie. Ils veulent simplement discuter et passer un moment agréable», témoigne Sylvia. «Souvent, ils sont tristes, ajoute Dania, Ils nous parlent des problèmes qu’ils ont au travail ou avec leur femme. Je ne nous vois pas uniquement comme des prostituées, mais aussi comme des psychologues.» Les clients restent alors au bar en compagnie d’une ou plusieurs filles. Pour ce service, elles gagnent aussi de l’argent en touchant une commission sur les consommations.
Pour les prestations sexuelles, les travailleuses du sexe fixent elles-mêmes leurs tarifs et leurs conditions. Elles se montrent réticentes à parler de leur revenu. «Ça dépend, parfois c’est beaucoup, parfois c’est rien», élude Erica. Beaucoup? «Il y a des soirs où on gagne jusqu’à 500francs.»
Même si elles se sentent en sécurité au Schloss, elles appréhendent toujours le moment où elles sont seules avec le client. «On ne sait jamais ce qui peut arriver. Notre métier reste dangereux», rappelle Dania. Dans les chambres, les filles peuvent en tout temps, grâce à un talkie-walkie, faire un appel au service de sécurité. Mais les problèmes sont rares. «Souvent, c’est lorsque les clients sont alcoolisés et qu’ils n’arrivent pas à jouir dans le temps que nous avons délimité. Dans ces cas-là, il faut calmer le jeu et lui donner cinq minutes de plus», raconte Sylvia. Aucune ne se risquerait à travailler dans la rue ou à recevoir un homme dans un appartement isolé.

Vers une autre vie
Arrivée au Schloss en mars 2012, Sylvia compte y rester le temps de payer ses dettes. Dania prévoit de retourner en France d’ici trois mois au maximum. «Mais il n’est pas évident de se retirer de ce milieu, car on prend goût à l’argent facile», admet-elle. «Aucune de nous n’est satisfaite de sa situation, nous avons toutes des ambitions», s’écrie Erica, presque énervée. La jeune femme espère  bientôt rentrer en Roumanie, où elle envisage de devenir coiffeuse. Quant à Andrea, elle s’est inscrite dans plusieurs agences de placement de la région.

35 maisons closes légales à Bienne

Depuis l’entrée en vigueur, le 1er avril 2013, de la première loi cantonale sur l’exercice de la prostitution, les établissements qui veulent employer des travailleuses du sexe doivent obtenir une autorisation auprès de la préfecture de l’arrondissement de Bienne. Au cours des 13 derniers mois, celle-ci en a délivré 41 au total (37 à Bienne, une à Nidau et trois à Longeau). Deux établissements ont fermé depuis à Bienne. Le préfet Philippe Chételat constate que cette nouvelle loi a permis d’augmenter les contrôles de police. Selon lui, la grande majorité des maisons closes de Bienne bénéficient d’une autorisation aujourd’hui. «Nous avons encore beaucoup de travail devant nous», remarque-t-il. Il rappelle qu’à côté de ce marché légal existe une offre clandestine, «que les autorités ne sont pas en mesure de quantifier». Le nombre total de prostituées travaillant dans l’arrondissement de Bienne n’a pas été communiqué./

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