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Fête mondiale du jeu

Jouer, une activité saine et sérieuse

Anne-Nelly Perret-Clermont, professeure à l’Institut de psychologie et éducation à l’Université de Neuchâtel, expose l’importance de l’activité ludique dans le développement et l’apprentissage des enfants.

«A travers le jeu, l’enfant découvre et explore le monde dans lequel il évolue et cela participe aussi à la construction de sa pensée et de sa personnalité», déclare la scientifique Anne-Nelly Perret-Clermont. Photo: LDD

Aude Zuber

A l’occasion de la Fête mondiale du jeu, Anne-Nelly Perret-Clermont, professeure à l’Institut de psychologie et éducation à l’Université de Neuchâtel, rappelle que le jeu n’est pas une invention moderne: «Dans l’Antiquité, les enfants grecs et romains avaient déjà des jouets: poupées, toupies et buffles sur roulettes, par exemple».

Apprendre en jouant
Plus surprenant, le jeu a rapidement été associé à l’enseignement. «Plusieurs écrits de grands philosophes antiques l’attestent.» C’est par exemple le cas de Platon qui relève dans «Les Lois (I, 643 c)» l’aspect pédagogique de l’activité ludique: «Et par l’usage des jeux, l’on s’efforcera de tourner les goûts et les désirs des enfants vers le but qu’ils doivent avoir atteint à l’âge adulte.»

Et Anne-Nelly Perret-Clermont de commenter: «Ces grands penseurs antiques ont observé, tout comme les psychologues contemporains, que l’activité ludique est indispensable à l’enfant. A travers le jeu, l’enfant découvre et explore le monde dans lequel il évolue et cela participe aussi à la construction de sa pensée et de sa personnalité.»

Une étape préparatoire
Dans la recherche, le tournant s’est produit au cours du 19e et 20e siècles. L’observation a été une méthode révélatrice. Le développement de plusieurs animaux a été regardé très attentivement et une comparaison a été établie. «On a constaté que plus l’espèce était sophistiquée, plus l’enfance durait longtemps. En fait, l’activité ludique de l’enfant – comme chez les chatons! – est une étape préparatoire à l’âge adulte», analyse-t-elle. Simultanément, une prise de conscience a été amorcée. «On s’est réellement rendu compte de l’importance du jeu dans le développement et l’apprentissage des enfants. Dès lors, de nombreuses recherches ont été menées. Jean Château, à partir des années 40, publie une série de travaux importants sur le jeu», détaille la professeure.

Plusieurs consensus scientifiques se dégagent autour de la question du jeu. «En psychologie, nous définissions le jeu comme toutes les activités d’exercice mais aussi d’exploration du monde matériel, physique et symbolique», explique la chercheuse.
Une distinction est également établie entre les types de jeux. «Le jeu peut être libre, prescrit – encadré – ou nécessiter de se conformer à des séries de règles», ajoute Anne-Nelly Perret-Clermont. Des pédagogies actives ont également été développées au cours du siècle dernier, telles que le scoutisme ou les jardins d’enfants.

Selon l’experte, un danger menace le 21e siècle. Dans la société occidentale, le temps consacré aux jeux libres et aux jeux d’exploration semble se réduire de plus en plus. «Actuellement, un nombre important de parents occupent la totalité de l’emploi du temps de l’enfant par des activités qui visent une finalité d’instruction. On ne laisse plus juste jouer l’enfant alors que c’est essentiel pour qu’il soit dégourdi!».

A la question de savoir ce qu’elle entend par ce qualificatif, elle répond: un être créatif et imaginatif qui prend des initiatives et assume son activité de façon autonome et responsable. Et notre interlocutrice de compléter: «Aujourd’hui, la société doit résoudre des problèmes sociaux et économiques complexes. Il est donc utile d’éduquer des personnes pouvant faire preuve d’originalité pour les résoudre.» L’idéal serait de laisser un espace-temps à l’enfant où il peut jouer en toute sécurité. Mais, bien sûr, on le stimulera s’il s’ennuie.

A double tranchant
Une autre tendance se dessine: les jeux compétitifs gagnent en importance. «La stimulation qu’ils engendrent est intéressante en termes pédagogiques. Mais les jeux coopératifs sont essentiels aussi pour la créativité et la socialisation.  Actuellement, on cherche davantage le plaisir de gagner que de jouer. Ce qui m’inquiète», confie-t-elle.

A l’occasion de la Fête mondiale du jeu, Anne-Nelly Perret-Clermont invite à réfléchir sur la place que l’on attribue au jeu. «Il est important pour tous, adultes et enfants, de conserver un moment gratuit, où on se laisse aller, on découvre, on s’exerce. Et je pense que cela pourrait même éviter des burn out», conclut-elle.

 

 

Emprunter à la ludothèque, un jeu d’enfant:
Jeux pour tous Jeux de plateau, de société, de cartes, de hasard, de coopération, de stratégie ou de rôles:, les ludothèques regorgent de divertissements pour tous les âges et pour tous les goûts.

La fréquentation de ces lieux dédiés à l’apprentissage et à l’amusement est relativement stable. De nombreuses ludothèques proposent leurs services dans le Jura bernois, dont celle de Tavannes. «Nous proposons des animations pour les enfants, les adolescents et les adultes plusieurs fois par année. Les jeux sont primordiaux au niveau social pour les enfants. Ils permettent de se réunir, d’y apprendre la collégialité, la défaite ou la victoire», explique la présidente Caroline Gyger.

Le jeu de table a d’ailleurs connu une recrudescence d’intéressés ces dernières années, notamment avec les jeux de plateau et les jeux de rôles très prisés.

Ludothèque L’arrivée des jeux électroniques sur le marché n’a pas ébranlé le milieu du jeu traditionnel. «Les vrais amateurs aiment se retrouver, rencontrer des personnes et toucher le jeu», selon Caroline Gyger. Elle ajoute que la ludothèque de Tavannes ne propose pas de support électronique «Nous partons du principe que les personnes en possèdent déjà chez eux». Même si certains clients ont plusieurs fois émis le désir de pouvoir emprunter ce genre de matériel, la ludothèque ne souhaite pas dans le futur s’orienter vers cette direction. «Les enfants continuent de jouer avec des jeux traditionnels, constate Caroline Gyger, il n’est donc pas vrai que les jeux d’ordinateur monopolisent ce marché».

Du temps Initier les plus jeunes à l’art du jeu nécessite de l’investissement en matière de temps. Une denrée malheureusement rare dans la société actuelle. «Nous avons remarqué que les enfants sortent toujours les mêmes jeux, ceux dont ils connaissent les règles, parce que leurs parents ne prennent pas le temps ou ne l’ont pas, pour leur expliquer les règles de nouveaux jeux. Les enfants finissent par se lasser de jouer avec le même support et se désintéressent des jeux de manière générale».


Modes Deux fois par année, les responsables de la ludothèque de Tavannes se rendent à des forums pour se familiariser avec les dernières tendances du monde ludique.

Les ludothèques ont un rôle central: mettre à disposition du matériel que tout le monde n’a pas les moyens de se procurer. «Les ludothèques ne sont pas toujours soutenues par les cantons ou les communes, déplore Caroline Gyger, qui précise toutefois que ce n’est pas le cas à Tavannes. Mais, de manière générale, elle déclare «Nous sommes un peu mis de côté par rapport aux bibliothèques.» Bibliothèques, ludothèques, leur but est pourtant le même: favoriser l’apprentissage.

Réflexion Les jeux individuels ou de société stimulent le mental. Pour Caroline Gyger, «les enfants n’apprécient pas spécialement lorsque les jeux sont trop didactiques et font appel à des calculs ou à des notions de grammaire. Ils préfèrent réfléchir et devoir établir une stratégie». Ludique et un peu moins éducatif, voilà le souhait des jeunes joueurs.

CLI

Les cartes et les pions ont le vent en poupe:
En 2016, le marché consacré aux jouets en Suisse a rapporté 460 millions de francs, selon une étude de l’institut GfK Suisse. Un chiffre relativement stable en comparaison de l’année 2015. Le secteur des jeux et des puzzles a connu une hausse de 10,8 % par rapport à l’année précédente, un boom surprenant et difficile à expliquer. En ce qui concerne les jeux électroniques, leur chiffre d’affaires a augmenté de 7,3%.

En 2014, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), 15% de la population suisse pratique une fois par semaine et plus une activité dédiée aux jeux de cartes ou de société traditionnels. Ces joueurs sont en majorité âgés de 30à 44 ans et représentent 17%. Toutefois, les joueurs de 15 à 29 ans sont aussi bien représentés avec 14,9%.

Dans une autre étude de l’OFS datant également de 2014 et dédiée cette fois-ci aux jeux vidéo ou électroniques, les chiffres indiquent qu’un tiers de la population suisse pratique cette activité une fois par semaine et plus. Les joueurs sont légèrement plus représentés par les hommes (30%) que par les femmes (25, 9%) et la majorité a entre 15 et 29 ans.

Les mêmes sondages mettent aussi en avant le lieu de domicile des personnes interrogées. En effet, les citadins auront plus tendance à jouer aux jeux vidéos pendant leurs loisirs, contrairement aux habitants de la campagne qui préfèrent les jeux traditionnels.
Plusieurs institutions suisses mettent à l’honneur les jeux. C’est le cas du Musée suisse du jeu, à La Tour-de-Peilz présentant des jeux de toutes époques et de tous horizons confondus et du Spielzeug Welten, à Bâle. Plus de mille mètres carrés sont dédiés aux anciennes poupées, à une collection impressionnante d’ours en peluche (2500 environ), ainsi qu’à des maisons de poupées et des magasins miniatures.

Parmi les nouveautés 2017, les passionnés de jeux de plateau pourront se procurer «Outlive», un jeu de survie dans un univers aux allures de fin du monde, «Doggy bag» où ils se matérialiseront en chiens voleurs d’os et «Grumpf», un jeu sollicitant coopération et alliances afin de capturer le plus grand nombre d’animaux.

CLI

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