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À la bergerie Sur-la-Rive, on aime les bêtes et on aide les ados en difficulté

Anja Messerli et David Burkhalter auraient pu se contenter de leurs bêtes et du boulot que leur donne leur ferme des hauteurs de Bévilard. Mais le couple fait aussi partie du réseau Caritas de familles d’accueil.

Paysans, restaurateurs, éducateurs: joyeux complices et durs à la tâche, Anja Messerli et David Burkhalter cumulent les casquettes. Photo: Guy Perrenoud

Par Blaise Guignard Terre & Nature

Caillouteuse, étroite et cahoteuse: la route qui relie Bévilard à la bergerie Sur-la-Rive, sur le Montoz, pourrait faire croire que ceux qui vivent là-haut, à 1298 mètres d’altitude, veulent se protéger du monde et de ses habitants. Ce serait méconnaître Anja Messerli et David Burkhalter, 33ans en moyenne à eux deux, qui entament leur cinquième année dans cette ferme à la vue somptueuse. Car s’ils y élèvent une quarantaine de vaches laitières et leurs veaux à l’engrais – plus quelque 80 têtes supplémentaires en estivage – en compagnie de Ty le chien, de quatre chevaux et de plusieurs chats, ils font aussi bon accueil aux touristes dans leur restaurant-buvette et pour des brunches d’anthologie. Et surtout, ils hébergent des jeunes pour des placements, à court ou long terme, sur le mandat de Caritas, qui les gère et les coordonne.

À l’engagement professionnel requis par une exploitation d’altitude, à l’amour des animaux qui a incité ce couple à reprendre la bergerie est venu s’ajouter un investissement humain exigeant. «On a vu une annonce et on s’est dit: ‹Pourquoi pas nous?› On a des chambres disponibles, l’endroit est idéal pour une coupure, et la présence des bêtes est un atout. Ado, j’ai failli mal tourner, et c’est le fait d’être dans une ferme, entourée d’animaux, qui m’a préservée», raconte Anja Messerli.

Aventure poursuivie
Après une première expérience de quelques mois avec une jeune fille, le couple a poursuivi l’aventure, cette fois avec un long placement. Loïc (ndlr: on a modifié son prénom) est ainsi à la bergerie Sur-la-Rive depuis bientôt deuxans. «Le séjour était prévu pour deux mois, mais lui-même a voulu rester, même si on est stricts avec lui», souligne David Burkhalter. Son parcours est malheureusement assez banal: une crise d’ado compliquée par un contexte familial problématique, de la petite délinquance, l’influence néfaste d’une bande… On n’en saura pas plus. Pour des raisons de confidentialité, nous explique Jessica Pillet, l’une des responsables du placement familial à Caritas, venue elle aussi visiter la bergerie. Pas question donc de le photographier; quant à l’interview directe, on comprend qu’elle risquerait de mettre à mal le mince tissu pédagogique patiemment tissé par Anja Messerli. et David Burkhalter. D’autant que si son attitude connaît «des hauts et des bas», on est actuellement clairement dans la dernière catégorie.

Une parenthèse, ou plus
Le week-end dernier, alors que le restaurant officiait pour un mariage, Loïc a en effet pris la clé des champs sans prévenir, entraînant le branle-bas de combat prévisible et l’inquiétude de sa famille d’accueil. «Alors qu’il s’est montré au top en de nombreuses occasions, par exemple lors du week-end de la Fête des mères», regrette Anja. L’épisode l’a incitée à changer de tactique: «Lui faire la morale ne fait aucun effet, j’ai décidé de le laisser réfléchir dans son coin.» Lors de sa fugue, l’ado s’est plaint de son sort, ce qui l’a blessée: «Il ne travaille que sur une base volontaire, avec un salaire à la clé! Là, on ne lui demande plus rien, le temps lui paraît long. Mais c’est aussi dur pour moi», confie-t-elle.

Franchir les limites
«Il y a souvent une ‹lune de miel› en début de séjour, puis les jeunes s’enhardissent et ont tendance à franchir les limites fixées, souligne Jessica Pillet. En fin de placement, ils provoquent parfois la crise, pour se protéger: il est plus facile de se quitter fâché.» Les intervenants de Caritas sont disponibles en permanence pour apporter leur soutien aux familles d’accueil, rappelle-t-elle. En outre, deux journées de formation annuelles sont prévues, ainsi qu’une réunion régionale où elles peuvent échanger sur leurs expériences respectives. «Ce qui n’est pas facile, c’est que c’est un peu notre gamin… sans l’être, lâche Anja Messerli. avec pudeur. Parfois, on ne peut pas réagir comme on le souhaiterait.» «Le plus dur, c’est qu’il a tout dans les mains pour bien faire», soupire David. «On a quand même de supermoments!», conviennent-ils en chœur.

Dans trois mois, Loïc fêtera ses deux ans à la bergerie Sur-la-Rive. D’ici là, il aura sans doute regagné la confiance entamée de sa famille d’accueil, au gré de progrès millimétriques mais essentiels sur la voie de l’autonomie personnelle, du respect de soi et de la foi en son propre avenir. La mesure, ensuite, sera réévaluée en réseau. Lorsqu’il aura quitté la bergerie, impossible pour sa famille d’accueil de savoir si le séjour aura porté des fruits – ou n’aura été qu’une simple parenthèse. «Notre plus beau cadeau, ce serait qu’il vienne nous trouver dans vingt ans, après une vie réussie», conclut Anja Messerli. 

Bergerie Sur la Rive, Sur Montoz 3, 2735Bévilard, tél. 032 492 12 84.

3 questions à...
Jessica Pillet, chargée de projet auprès du programme Placement familial, Caritas Suisse

Y a-t-il un profil type des adolescents placés?
Pour deux tiers, ce sont des garçons que l’on veut soustraire à l’influence négative d’un groupe, des problèmes de délinquance, un manque de perspectives de formation et un cadre familial insuffisant. Mais il peut aussi s’agir d’enfants issus de familles soudées et impliquées, en proie à des difficultés momentanées justifiant qu’on les sorte de leur milieu.

Quel type de famille recherchez-vous?
Toutes les géométries sont les bienvenues, qu’il y ait ou non des enfants, petits ou grands.
Les familles d’accueil doivent être prêtes à s’investir de façon ouverte et dynamique. Elles craignent parfois d’être trop isolées, mais cela constitue souvent au contraire un atout,
sauf dans le cas moins fréquent où l’enfant accueilli est en âge scolaire.

Quel est le taux de réussite des placements?
Difficile à évaluer. On estime qu’un tiers des placements montre des effets clairement bénéfiques, qu’un autre tiers a été suivi d’effets positifs, mais perceptibles plus tard, et que dans un dernier tiers, la mesure n’a pas été à même d’améliorer la situation de l’adolescent.

Le réseau Caritas, c’est...
En 2018, Caritas Suisse a mis en place 86 mesures de placement dans des familles d’accueil, dont:
53 placements de moyen et long terme (de quelques mois à quelques années).
33 placements d’une semaine à trois mois en substitution d’une sanction pénale (travaux d’intérêt général).
Il existe actuellement 27 familles d’accueil dans toute la Suisse romande, en majorité des ménages paysans; Caritas cherche à étoffer son réseau, pour répondre au mieux à la demande.

Tél. 0213111114, placementfamilial@caritas.ch, www.placementfamilial.ch.

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