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Horlogerie

La branche se porte bien

La Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH) a tenu hier ses assises annuelles à Fribourg. Son président Jean-Daniel Pasche a dressé un bilan très positif de l’année écoulée.

L’assemblée, présidée par Jean-Daniel Pasche, a accepté tous les points à l’ordre du jour. ph. Oudot

Par Philippe Oudot


Une centaine de personnes – membres FH et invités – ont pris part à l’assemblée générale d’hier. Un rendez-vous organisé chaque année dans l’un des cantons qui déploie des activités horlogères. Après Schaffhouse l’an dernier, c’est à Fribourg que le petit monde de l’horlogerie avait rendez-vous. Dans son rapport présidentiel, Jean-Daniel Pasche est revenu sur les temps forts de l’année écoulée. Après un départ sur les chapeaux de roues au premier semestre (exportations en augmentation de 10,6% par rapport à la même période de 2017), la croissance s’est ralentie sur les six derniers mois, à 2,3%.

«Quelques signes de ralentissement en provenance de Chine ont notamment joué un rôle sur cette tendance, alors que dans le même temps, les Etats-Unis ont vu leur progression s’accélérer nettement», a-t-il souligné. Sur l’ensemble de l’année, l’horlogerie suisse a exporté l’équivalent de 21,2milliards de francs, ce qui correspond à une progression de 6,3% sur l’ensemble de l’année.

Changements du marché
Le président a mis en évidence divers changements auxquels est soumis le monde horloger. Acommencer par l’influence chinoise sur l’évolution qualitative et quantitative du marché du luxe. Il a aussi cité les nouveaux modes de consommation ou les manières de communiquer. «Et du côté du marché horloger pre-owned (réd: marché d’occasion), on assiste à l’entrée en scène des marques et des grands détaillants. Dans ce cadre, des services de plus en plus personnalisés sont proposés, comme la certification, la garantie ou la restauration», a-t-il relevé.

Sus aux faussaires
Dans le domaine de la lutte anticontrefaçon, qui est un des chevaux de bataille de la FH, cette dernière a mis en place un nouveau logiciel de surveillance des sites de ventes de contrefaçons, baptisé WI2. Développé à l’interne par la Cellule internet de la FH, il scanne les sites suspects, détermine s’ils vendent des contrefaçons, enregistre les données qui peuvent servir de preuves. Ce système automatise le processus d’investigation, l’envoi de courriers de mise en demeure. Il permet à la Cellule internet de gagner du temps et «offre une appréciation globale de cette activité illicite».

Toujours dans le domaine de la lutte anticontrefaçon, la FH a réussi à négocier un contrat de coopération avec Ministère public mexicain pour renforcer la collaboration dans la lutte contre la contrefaçon horlogère. Un accord d’autant plus important que ce pays est très prisé des contrefacteurs. Cela a permis à la FHde mettre sur pied un séminaire de formation dans ce domaine, auquel ont participé près de 140 fonctionnaires fédéraux. Des formations également proposées dans d’autres pays pour permettre aux policiers et douaniers de cibler et d’identifier les fausses montres suisses.

Les finesses du Swiss made
S’agissant de l’appellation Swiss made, la révision est entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Jean-Daniel Pasche a toutefois indiqué que l’an dernier, la FHavait encore reçu de nombreuses requêtes de ses membres portant notamment sur des finesses d’interprétation. La FHa donc rédigé un guide répondant aux nombreuses interrogations des utilisateurs du Swiss made. Et afin de mieux combattre les utilisations abusives du Swiss made, la FH a créé une task force composée d’experts techniques qui, dans les cas complexes, peuvent l’épauler.

Le président de la FH a aussi évoqué la question du Brexit. Sitôt après la décision des Britanniques de quitter l’UE, la Suisse a défini sa stratégie «Mind the gap» afin d’anticiper les conséquences du Brexit, indépendamment du scénario final, et la FHa été impliquée tout au long du processus. «Les discussions ont permis d’aboutir à la signature, le 11 février dernier, d’un accord commercial bilatéral». Celui-ci couvre notamment des domaines comme l’accès au marché, les règles d’origine préférentielles ou encore la reconnaissance mutuelle des évaluations de conformité.

 

«Un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur faciliterait l’accès au Brésil, pays très protectionniste»

Jean-Daniel Pasche, on constate que les exportations horlogères continuent d’augmenter en valeur, mais de reculer en volume, et l’écart semble toujours plus marqué. Qu’en est-il?
Cet écart existait déjà, mais il s’est effectivement accentué depuis un peu plus d’une année. Le haut de gamme marche très bien, avec des hausses, aussi bien en valeur qu’en volume, le milieu de gamme reste stable, alors que l’entrée de gamme est en nette baisse. Mais globalement, le bilan des exportations est positif, puisque le résultat est meilleur qu’attendu, avec une augmentation de 4,1% sur les cinq premiers mois par rapport à la même période de l’an dernier. C’est d’autant plus remarquable qu’en 2018, nous avions déjà enregistré une hausse de 10% au premier semestre. Alors que les exportations suisses ont globalement marqué le pas en ce début d’année, notre secteur a réussi à tirer son épingle du jeu.

Mais cette baisse de volume dans l’entrée de gamme est inquiétante, non?
Oui, bien sûr, car l’horlogerie suisse se doit d’être présente dans tous les segments de prix. C’est important pour faire tourner l’outil de production, mais aussi pour la maîtrise des technologies. Cela dit, malgré le recul des volumes, l’emploi horloger a augmenté l’an dernier. J’ajouterais par ailleurs que cette baisse de volume dans l’entrée de gamme touche aussi les producteurs étrangers, chinois et japonais notamment.

Comment expliquer cet effritement?
Dans l’entrée de gamme, les montres sont en forte concurrence avec d’autres produits: les fashion brands bon marché fabriquées en Asie, les smartwatches, mais aussi d’autres produits non horlogers, car aujourd’hui, vous n’avez plus forcément besoin d’une montre pour avoir l’heure. La concurrence vient par exemple de la maroquinerie, des cosmétiques, ou encore des vêtements. Dans le haut de gamme horloger, en revanche, une telle concurrence n’existe pas.

Les chiffres du mois de mai font état d’un chiffre surprenant, une hausse de 81% des exportations en Chine…
Effectivement, mais c’est ce qu’on appelle un effet one shot. C’est lié en particulier à un gros volume de montres et pendulettes exportées ce mois-là. Mais c’est un effet unique. Cela dit, la Chine continue d’être un marché très dynamique. Tout comme l’Asie en général, qui reste le moteur de la croissance.

L’Europe, en revanche, est à la peine…
C’est en effet bien plus dur, sauf au Royaume-Uni où les exportations ont été très fortes avant le Brexit et l’incertitude qu’il crée. Sur nos autres principaux marchés, comme l’Allemagne, la France ou l’Italie, les exportations ont été en légère baisse, même si, dans ce dernier pays, on sent actuellement une certaine reprise, après la crise des gilets jaunes qui a fortement impacté les ventes à fin 2018 et au début de cette année. Avec la période de vacances qui arrive, les ventes vont probablement augmenter en raison des achats de touristes. Il ne faut pas oublier que la montre est un produit émotionnel, qu’on achète aussi sur un coup de cœur.

Les boutiques duty free des aéroports sont un canal de distribution important. Les campagnes de sensibilisation contre les vols en avion affectent-elles déjà les ventes?
Pas à ma connaissance. D’ailleurs, si les vols devaient être plus taxés, cela ne veut pas forcément dire que les gens voyageront beaucoup moins.

Ces deux derniers mois, les exportations vers Hong Kong ont reculé. Est-ce un effet des manifestations contre la loi d’extradition prévue?
Non, certainement pas, car il y a toujours un décalage entre de tels événements et ses éventuelles consé-quences. Des événements comparables s’y sont déjà produits, il y a eu des hauts et des bas, mais sur la durée, Hong Kong reste notre premier marché d’exportation.

La Suisse a signé de nombreux accords de libre-échange, avec la Chine notamment, et est en discussion avec les Etats-Unis et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay). Quelles sont vos attentes de tels accords?
Ils sont très importants pour notre branche! Prenez le Mexique, avec lequel nous avons un tel accord. Eh bien, c’est aujourd’hui notre premier marché en Amérique latine. Les exportations y sont cinq à six fois plus importantes qu’au Brésil, pays très protectionniste. Pour l’horlogerie, un tel accord est fondamental, car il permettrait aux horlogers de se développer dans ce pays qui est la 7 ou 8e puissance économique du monde.

L’accord-cadre avec l’Union européenne risque de tomber à l’eau. Serait-ce un problème pour l’horlogerie?
Ce serait un problème pour l’économie en général, mais pas spécifiquement pour notre branche, car nous avons toujours l’accord de libre-échange de 1972. Cela dit, si les conditions-cadres se péjorent, nous serons aussi touchés, en tout cas indirectement. Par exemple dans le cadre de la recherche. Je pense notamment au CSEM (Centre suisse d’électronique de Marin).

Nous arrivons au terme du premier semestre. Comment voyez-vous la suite de cette année?
Après cinq mois, la valeur des exportations a dépassé les 8,9 milliards de francs, et nous sommes confiants pour le 2e semestre. Nous nous attendons donc à une année positive, pour autant, bien sûr, que l’économie mondiale ne connaisse pas de crise majeure, notamment en raison de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, ou d’un possible conflit au Moyen-Orient. Par ailleurs, la montée des nationalismes et des tendances protectionnistes n’est pas bonne pour notre industrie. Cela dit, la montre n’est pas un produit stratégique et n’est donc pas une cible directe. Et notre pays, qui est sans doute un de ceux où les salaires sont les plus élevés au monde, ne peut pas être accusé de dumping ou de concurrence déloyale… Il faut toutefois rester prudent, car même si l’horlogerie n’est pas visée, elle serait aussi affectée, en tant que produit émotionnel, par une dégradation du climat de consommation.

 

Stratégie énergétique

 C’est une tradition: après la partie statutaire, la FHconvie toujours un orateur à s’exprimer sur un thème intéressant la branche. Cette année, Kurt Bisang, collaborateur de l’Office fédéral de l’énergie, a évoqué les changements liés à la Stratégie énergétique 2050 et ses conséquences pour l’industrie suisse.

Il y a 10 ans, c’est à midi les prix de l’électricité étaient les plus élevés. Avec le développement du solaire, ce sera plutôt le matin et le soir, quand la production est faible. Il a aussi évoqué les projets législatifs en cours – révision de la loi sur l’énergie, loi sur le CO² et loi sur l’approvisionnement en électricité. Des défis importants, notamment en raison de la sortie programmée de l’énergie nucléaire.

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