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HEP-BEJUNE

«La HEP vit en vase clos, déconnectée de la réalité»

Une large partie des étudiants de cette école dénonce «la faible qualité» des différentes formations proposées. Ils ont écrit une lettre à la direction.

Une petite crise couve dans la HEP-BEJUNE (ici, le bâtiment de Bienne), où la moitié des étudiants se sent frustrée. Photo: Peter Samuel Jaggi

Par Marjorie Spart

«Si vous recevez cette lettre aujourd’hui, c’est tout simplement parce que 48% des étudiants de l’année académique 2017/18 sont arrivés à un stade d’exaspération généralisé face à la faible qualité des formations qui leur sont proposées.»

Cette lettre, longue de trois pages et demie, a été remise hier à la direction pour la formation secondaire I et II de la HEP-BEJUNE – ainsi qu’au JdJ – par des étudiants mécontents et frustrés de la piètre qualité de la formation dispensée par cette école.

Par souci de transparence et pour avoir plus de poids, les instigateurs de ces récriminations ont fait circuler la lettre à l’ensemble des étudiants des filières de la HEP pour savoir s’ils partageaient leur avis. «Oui, 48% d’entre eux soutiennent notre lettre, 16% sont contre et 36% n’ont pas répondu», précisent Dominique* et Camille*, qui désirent conserver l’anonymat. Pour quelle raison d’ailleurs? «En tant que futurs enseignants, nous aurons affaire durant toute notre carrière à la HEP, puisque c’est elle, uniquement, qui dispense les cours de formation continue. Et nous ne voulons pas prendre le risque de subir de mesures de rétorsion.»

«Trop de chercheurs»
Du côté des récriminations, les étudiants mettent en exergue le manque de lien entre la formation et la réalité du terrain. «Beaucoup de nos enseignants sont des chercheurs en sciences de l’éducation. Certains n’ont même jamais enseigné dans une classe. Comment peuvent-ils nous dire quoi faire», s’insurge Camille.

Le manque de cohérence, l’absence de plan d’études clair – «certains cours se répètent alors que d’autres disparaissent d’une année à l’autre», dénoncent les étudiants – ou encore l’absence de réponse claire aux questions pratiques des étudiants plombent leur moral.
«Nous sommes mal préparés à affronter la vie en classe, à gérer les séances avec les parents d’élèves ou encore à gérer l’intégration d’élèves hétérogènes, poursuivent-ils. «Evidemment, quand on dénonce cela auprès de la direction, on nous répond que nous avons le choix de suivre des cours à option pour régler ce genre de cas. Mais on ne peut évidemment pas tous les suivre!»

Sous pression
Un autre point qui dérange les étudiants: les exigences beaucoup trop élevées qui pèsent sur les épaules des nouveaux profs lors de leur toute première année dans une classe. «Dès que nous commençons à enseigner, on attend de nous que nous soyons au même niveau que n’importe quel prof! Ce qui n’est pas du tout réaliste.» Découle de cet état de fait une pression que certains ne supportent pas et qui finit par provoquer un burn-out.

Les premières années dans le monde du travail sont très laborieuses et les nouveaux enseignants investissent un temps considérable en préparation des leçons. «Lorsque nous sommes jugés sur une leçon en classe, durant nos stages de formation, cela nous demande plusieurs heures de préparation juste pour une heure de cours. Imaginez, dans une grille horaire à 20h par semaine, si chacune requiert cinq heures de travail en amont; ce n’est juste pas vivable.»

Finalement, les étudiants regrettent l’image négative qui colle à la peau de leur institut de formation. «Partout, lorsque l’on parle de la HEP, cela suscite des ricanements et du dénigrement. Lorsque nous effectuons nos stages obligatoires dans une classe, les enseignants qui nous coachent nous conseillent de suivre ‹le modèle HEP› lorsque nous sommes évalués puis de nous en éloigner lorsque nous gérons nos classes», racontent les instigateurs de la lettre, en soulignant le manque de motivation que cela occasionne de ne pas pouvoir valoriser la formation qu’ils suivent.

«Les choses doivent changer»
Les étudiants ont décidé d’envoyer cette lettre à la direction de la HEP, pour que «les choses changent pour tous ceux qui viendront après nous. C’est important d’améliorer l’image et la qualité des formations de cette école.»

Les jeunes ont choisi de faire passer leur message par la presse car ils ne pensent pas que le dialogue soit possible. «La HEP vit en vase clos. Elle peine à se remettre en question», regrette Camille, qui tient tout de même à souligner qu’il a aussi côtoyé d’excellents profs lors de son cursus de formation et que les didacticiens de branche sont généralement bons. Les étudiants attendent de la direction qu’elle reconnaisse que certaines choses ne jouent pas au sein de cette institution.

*prénoms d’emprunt

«Nous essayons toujours de trouver des solutions»
Lorsqu’il a eu cette lettre entre les mains, le responsable de la filière de formation secondaire de la HEP-BEJUNE, Jean-Steve Meia, ne cachait pas sa déception. «Je suis très déçu par la forme de ces récriminations. Je pensais qu’en six ans à ce poste j’avais réussi à instaurer un climat de dialogue avec les étudiants.»

De savoir qu’ils se sont adressés à la presse plutôt qu’à l’école le touche. «Nous avons pourtant toujours tenu compte des remarques des étudiants et rencontré leur association, encore récemment.» Les plaintes émanant de cette lettre ne sont pas nouvelles, «mais il me semblait que la situation s’était améliorée ces dernières années, notamment grâce à la création de l’association d’étudiants», déclare Jean-Steve Meia, rejetant les critiques sur la qualité de l’enseignement.

Pour tirer ce constat, il se base sur les évaluations de satisfaction que remplissent les étudiants à la fin de leur cursus. «Cette année, la qualité de la formation a été jugée à 2,9 sur 4, une note qui contredit cette lettre.» Il concède que tout n’est pas rose à la HEP. «La formation s’inscrit dans un cadre fixé par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’Instruction publique (CDIP). C’est elle qui impose la structure et le contenu des cours. Notre combat a toujours été de nous démarquer le plus possible de ce caractère théorique pour nous concentrer sur la formation professionnelle», assure Jean-Steve Meia, en précisant que la tendance européenne était de tendre vers une formation académique des enseignants, ce qu’il regrette.

Le volume d’étude ainsi que les qualifications des formateurs sont fixés par la CDIP... Il s’étonne toutefois que les étudiants de la HEP n’aient pas conscience du cadre rigide dans lequel l’institut évolue.

Le responsable admet que la 2e année de formation est plus lourde que la première, surtout si les étudiants travaillent parallèlement. Il est aussi sensible au problème du burn-out, qui touche toujours plus de jeunes. «Nous essayons toujours de trouver des solutions. De la même manière si les choses se passent mal avec les formateurs en établissement. Mais pour agir, nous devons être informés de ces cas. Les étudiants doivent venir nous parler», conclut-il.

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