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Bienne: Intégration (5)

«La seule différence entre nous: je suis arrivée avant toi»

Dans le cadre de la campagne «Together 2016», découvrez le portrait de Naima et Haya.

Les deux femmes se ont tout de suite tissé des liens. Lucie Cuttat

Lucie Cuttat

S’il est une femme à Bienne qui sait donner de la motivation à ceux qui en ont besoin, c’est bien Naima Serroukh. Arrivée à Nidau en provenance du Maroc il y a 18 ans, cette formatrice d’adulte et coach ne ménage pas son énergie pour faciliter l’arrivée et l’intégration d’autres migrants tels qu’Haya Youssef.

Leur première rencontre remonte à un an environ. Naima Serroukh et son association Pont de communication organisaient une séance d’informations pour les nouveaux arrivants dans les locaux d’InterNido. Les deux femmes se sont spontanément bien entendues et ont multiplié leurs rencontres depuis.

De l’enthousiasme à revendre
Haya Youssef est une Kurde syrienne arrivée en Suisse il y a deux ans. Avant de rencontrer Naima Serroukh, le défaitisme des autres migrants lui pesait, eux qui déclaraient être ici pour leurs enfants, mais sans perspectives d’avenir pour eux-mêmes. C’est alors que l’enthousiasme et la persévérance de Naima Serroukh sont entrés en scène.

«Quand tu as l’impression que c’est fermé, il y a toujours une brèche. Suis-la et plus rien ne te semblera clos», lui a-t-elle répété. Un discours qui a beaucoup plu à Haya Youssef. «Voilà une migrante comme moi qui a réussi ici», s’est-elle dit.

L’expérience personnelle de Naima Serroukh constitue une grande richesse. «La seule différence entre nous deux, c’est que je suis arrivée avant toi», ne manque-t-elle pas de répéter. Après avoir passé trois ans et demi avec un permis N, transité dans les centres d’asile durant cinq ans, Naima Serroukh sait de quoi elle parle, et comment surmonter les obstacles du quotidien.

«Ce qui m’aurait fait du bien à l’époque, c’est de trouver quelqu’un qui me comprenne», explique-t-elle. Et c’est précisément ce qu’elle offre aux nouveaux arrivants. «Quand on débarque dans une nouvelle société, tout change. La place qu’on occupe dans la famille, celle du mari, le rapport aux enfants, c’est le grand bouleversement. Et on peut se sentir très seule face à ces difficultés.»

Auditrice à l’université
Naima Serroukh a encouragé Haya Youssef à réaliser un bilan de compétences à Effe, et aujourd’hui, cette mère de trois enfants entend devenir animatrice au sein du projet Femmes Tische, un programme de rencontres entre femmes migrantes. Elle suit dans cette optique une formation sur les techniques d’écoute. Elle travaille aussi bénévolement pour la Lanterne magique.

Mais Haya Youssef poursuit son rêve de pratiquer sa formation de base, à savoir avocate. Et là encore, Naima Serroukh lui a donné le petit coup de pouce nécessaire pour stimuler sa confiance. Il y a quelques mois, la Nidowienne a appris que l’Université de Berne allait donner la possibilité aux personnes titulaires d’un permis N ou F de suivre ses cours en tant qu’auditeurs libres.

Une innovation qu’elle s’est empressée de transmettre à Haya Youssef. Cette dernière a envoyé son dossier le jour même et suit aujourd’hui quelques cours en faculté de droit.

Haya Youssef provient d’une famille d’intellectuels kurdes qui sont tous passés par la prison à un moment ou à un autre. Son père a fondé le groupe des jeunes Kurdes pour la démocratie en Syrie. Et elle ne cache pas sa colère face au régime syrien.

«Le régime n’accepte pas les Kurdes comme des citoyens à part entière. La preuve en est lorsqu’il est question de nous donner des droits. S’il s’agissait réellement des droits, nous n’aurions pas à les recevoir, mais simplement à les avoir, à les vivre. Je me sens profondément Syrienne, mais cela n’efface pas ma culture kurde.» Elle déplore également une dynamique qui se répète inlassablement.

«Quand les Kurdes se révoltent, le régime fait de petits cadeaux, pour calmer la population pendant un temps, mais il n’y a jamais de changement de fond.»

Aujourd’hui, Haya Youssef ignore le visage que prendra son avenir. Si elle se voit bien poursuivre sa vie en Suisse, elle imagine aussi qu’un jour peut-être, son pays aura besoin d’elle, et elle serait heureuse de participer à sa reconstruction. «Je rentrerai peut-être en Syrie, mais cela ne veut pas dire qu’en attendant, je dois rester ici les bras croisés.»

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