Vous êtes ici

Abo

Horlogerie

L’année 2018 a démarré en trombe

Après la crise qui a suivi l’abandon du taux plancher, la branche a vécu deux années difficiles. Hier, lors de l’assemblée générale de la FH, l’optimisme était de retour.

Jean-Daniel Pasche a été reconduit à la présidence pour un mandat de trois ans par acclamations. Ph. Oudot

Par Philippe Oudot

La FH (Fédération de l’industrie horlogère suisse), qui est l’association faîtière de la branche, tient chaque année son assemblée générale dans un lieu où sont implantées des entreprises horlogères. Hier, c’est à Schaffhouse, qui abrite deux prestigieuses marques – IWC et H. Moser – que la FHavait convié ses délégués.

Dans son rapport présidentiel, Jean-Daniel Pasche est revenu sur les temps forts qui ont marqué les activités de l’association faîtière l’an dernier. «Les prévisions établies au début 2017 se sont confirmées avec quelques mois d’avance», a-t-il relevé. Le niveau des stocks ayant été corrigé, une bonne partie des marchés a retrouvé le chemin de la croissance, si bien que les exportations, en hausse de 2,7%, ont frisé les 20milliards de francs.

Le président est revenu sur la révision de l’ordonnance Swiss made. Depuis le 1er janvier 2017, elle impose un taux de 60%du coût de revient pour l’ensemble de la tête de montre, «ce qui garantit au consommateur une plus-value suisse claire». Qui plus est, dès le 1er janvier prochain, le développement technique et le prototypage du garde-temps et de son mouvement devront être réalisés en Suisse.

Fortement sollicitée
Comme l’a relevé Jean-Daniel Pasche, les juristes de la FHont été fortement sollicités par les acteurs horlogers afin de donner des renseignements sur Swissness. Ils ont ainsi répondu à ces centaines de courriels et organisé de nombreuses séances pour soutenir l’industrie dans la mise en œuvre des règles.

Un autre gros dossier récurrent qui occupe constamment la FHest bien sûr celui de la lutte anticontrefaçons, tant au niveau de fausses indications de provenance suisse que des produits. Au niveau de marques qui abusent d’indications helvétiques, les interventions de l’association ont permis d’interdire de nombreux enregistrements. «Ce premier rempart limite ainsi l’arrivée de produits horlogers abusant du Swiss made sur le marché», a-t-il souligné. Quant aux produits contrefaits, la FHa traité plus de 2500 cas l’an dernier dans le monde, allant de la saisie de petits colis postaux à des opérations d’envergure dans des ateliers d’assemblage et de stockage.

Libéralisation du marché
Toujours très active pour améliorer les conditions-cadres, l’association faîtière est aussi intervenue dans divers domaines pour libéraliser autant que possible l’accès au marché pour les produits horlogers. L’accord de libre-échange avec la Chine prévoyant une clause évolutive, elle est notamment intervenue pour tenter d’obtenir un démantèlement tarifaire maximum, mais les négociations n’ont pas encore abouti.

Le rapport présidentiel a été chaudement applaudi par les délégués, qui ont ensuite approuvé tous les points à l’ordre du jour en suivant les recommandations du Conseil de la FH. Après la partie statutaire, ils ont pu apprécier la conférence du boss du CSEM, Mario El-Khoury, sur l’Industrie4.0 (voir ci-dessous), avant d’aller découvrir le nouveau bâtiment de la manufacture IWC, construit juste à l’extérieur de Schaffhouse. 

 

 

«Avec un taux inférieur à 60%, le Swiss made aurait perdu sa crédibilité»

Jean-Daniel Pasche, après deux ans de recul, les exportations sont reparties à la hausse l’an dernier, avec une hausse de 2,7% par rapport à 2016. Mais en volume, le nombre d’unités a diminué de plus d’un million de pièces, ce qui est le plus bas niveau depuis 2009. Cela vous inquiète-t-il?
C’est bien sûr nécessaire d’avoir une production importante en volume, car cela crée des emplois. Il est donc essentiel que l’horlogerie suisse soit présente dans toutes les gammes de prix – ce qui est le cas. S’il est vrai que les volumes ont diminué l’an dernier, la situation a changé: depuis le début de 2018, les exportations ont augmenté de près de 10% en valeur. La hausse est aussi sensible en volume, même si elle est moins marquée.

Quelles sont les projections pour 2018?
C’est encore trop tôt pour avancer des chiffres, mais au vu des premiers mois, cette année sera positive. Pour autant, bien sûr, que le monde reste calme et que les tensions commerciales actuelles ne s’enveniment pas.

Malgré la reprise, tout le monde n’en profite pas de la même manière, notamment chez les sous-traitants…
C’est vrai, mais de manière générale, la situation s’améliore aussi dans ce secteur, même si tout le monde n’avance pas au même rythme. En tout cas, lors du récent salon de la sous-traitance EPHJ, à Genève, l’atmosphère était positive. Mais ce secteur reste très exposé aux fluctuations, car en cas de ralentissement, c’est le premier touché, et le dernier qui redémarre quand l’économie reprend de la vigueur.

La Chine reste le moteur de la croissance, notamment Hong Kong qui, après une phase difficile, est en forte hausse (+26%) au mois de mai. Comment l’expliquer?
D’abord, l’économie va mieux au niveau mondial, et en particulier en Extrême-Orient. Hong Kong reste une plate-forme très importante pour toute cette partie du monde, et les consommateurs chinois continuent d’acheter chez eux, mais aussi à Hong Kong où ils sont de retour, après le resserrement dans l’octroi des visas qu’avaient opéré les autorités chinoises suite aux mouvements de contestation qui avaient secoué l’ex-colonie. Par ailleurs, les stocks importants ont disparu et le marché hong kongais a été assaini. Tout cela contribue à cette forte reprise, sans oublier la valeur du franc, qui a plus ou moins retrouvé sa valeur d’avant sa flambée liée à l’abandon du taux plancher.

L’accord de libre-échange avec la Chine joue-t-il un rôle dans les ventes de produits horlogers en Chine?
Certainement, même s’il n’a pas encore déployé tous ses effets puisque son introduction est progressive. Cela dit, nous avons déjà demandé de revoir certains points, comme le prévoit d’ailleurs cet accord. Nous souhaiterions en effet voir les taxes encore réduites, voire totalement supprimées!

Ces derniers temps, les tensions commerciales sont vives entre les Etats-Unis, la Chine, l’Union européenne, notamment, avec l’introduction de mesures protectionnistes et de contre-mesures. Cela affecte-t-il les horlogers?
Non, car le secteur des montres n’est pas directement visé. Cela dit, ces tensions sont inquiétantes. Il ne faudrait pas qu’elles débouchent sur une guerre commerciale…

Autre sujet d’actualité brûlant: la sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et les menaces de sanctions touchent-elles l’horlogerie?
Non. A ce stade, il n’y a pas de risques de rétorsion aux Etats-Unis, car les produits horlogers ne sont pas concernés par les sanctions et nos membres peuvent continuer à vendre en Iran. Cela dit, après l’euphorie qui avait suivi la signature de l’accord, les exportations à destination de l’Iran, en 2016-2017, étaient supérieures à celles vers le Brésil. Aujourd’hui, les affaires sont retombées au niveau d’avant l’accord. D’une part, parce que la situation économique du pays est difficile, et d’autre part, parce que les entreprises ont de la peine à exporter, car elles trouvent très difficilement un partenaire commercial prêt à traiter avec ce pays.

Le nouveau Swiss made est entré en vigueur en janvier 2017. Quelle leçon en tirer?
Les avis sont contrastés, mais positifs. Nous constatons d’ailleurs de premiers effets, avec des exemples concrets de relocalisations d’activités de sous-traitance, dans le Jura et le Jura bernois notamment, où des entreprises ont reçu des commandes supplémentaires. Il s’agit de sous-traitants suisses qui ont rapatrié des activités en Suisse, ou de sous-traitants étrangers qui font faire une partie du travail ici pour pouvoir continuer à travailler avec leurs clients suisses. Il est toutefois difficile de donner des chiffres.

Mais ce label ne fait pas l’unanimité…
Effectivement, certains estiment qu’un taux de 60% du coût de revient pour l’ensemble de la tête de montre est trop sévère, alors que d’autres auraient voulu aller plus loin. En réalité, c’est un bon compromis: avec ces 60%, nous avons utilisé toute la marge de manœuvre possible. Nous ne pouvions pas aller au-delà en raison des règles de l’OMC et des accords de libre-échange, et en fixant le taux à moins de 60%, le Swiss made aurait perdu sa crédibilité. Ce label est d’ailleurs le seul à s’appliquer à toutes les catégories de produits, et à toutes les gammes de prix.

Cette nouvelle norme a poussé certains à renoncer au label…
Oui, c’est une question de choix. Certains y ont effectivement renoncé, ou partiellement, sur certains modèles. Mais la grande majorité a fait le choix de s’adapter et la FH les appuie et les conseille dans ce domaine. Elle a notamment publié un guide Swissness et répond à toutes les demandes qui lui sont adressées.

 

 

L’Industrie 4.0? Une nécessité!

Pour le traditionnel exposé qui suit la partie statutaire de son assemblée, la FH avait convié Mario El-Khoury, directeur général du CSEM, à Marin. Fruit d’un partenariat public-privé, ce centre de recherche et de développement est notamment spécialisé dans les microtechnologies, la microélectronique, la digitalisation et le photovoltaïque.

Hier, l’orateur avait choisi de parler de l’Industrie 4.0 et de l’e-manufacturing, thèmes d’actualité qui suscitent un véritable engouement et qui font à la fois peur et rêver. En fait, a-t-il rappelé, Industrie 4.0 est la réponse au lent déclin du secteur industriel dans le monde occidental. Alors que celui-ci représentait 45 à 47% des emplois dans les années 70, il ne pesait plus guère que 20 ou 21% au début des années 2000. «C’est en Allemagne, en 2011, que ce concept s’est imposé afin de tenter de stopper le phénomène de désindustrialisation.»

Comme l’a relevé Mario El-Khoury, l’industrie 4.0, c’est la maîtrise des données, du big data, des procédés, des nouveaux robots et, surtout, de tous ces capteurs qui permettent de mesurer, de suivre et de gérer en temps réel toute la production. Aujourd’hui, la digitalisation perce un peu partout car elle permet de réduire les coûts de production. Il a cité quelques exemples éloquents, comme cette usine d’Adidas, entièrement robotisée, qui a permis de rapatrier en Allemagne une production qui avait été délocalisée. Il a aussi évoqué l’exemple d’Alibaba, le géant chinois de l’internet dont le centre de logistique est entièrement robotisé. Ou encore l’entreprise suisse Bühler, active dans l’alimentaire, dont les robots trient les grains de céréales en éliminant les corps étrangers.

«Foncer, pour ne pas rater le train!»
Et la Suisse, dans tout ça, est-elle à la page? Pour l’orateur, la question ne se pose pas ainsi. «Il faut se demander si c’est utile et important pour nous et si nous avons la capacité de l’adapter». En l’occurrence, les réponses sont deux fois oui. C’est utile et nécessaire dans un pays où les coûts de production sont élevés, car cela permet de les réduire, et «on a les compétences pour le faire, et les technologies sont à notre portée. Alors fonçons pour ne pas rater le train!» Quant aux PME qui s’interrogent sur la pertinence de franchir le pas, il leur a conseillé d’y aller, d’avancer pas à pas pour acquérir de l’expérience et des compétences. Al’instar de la PME DigiSens qui, avec l’aide du CSEM, a mis au point des armoires intelligentes qui facilitent la gestion des stocks en enregistrant toutes les sorties de marchandises. Ou l’entrepriseBBN dont les mèches sont équipées de capteurs qui indiquent le taux d’usure de l’outil.

Articles correspondant: Région »