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Justice

Le risque de récidive est trop élevé

Peter Hans Kneubühl, 77 ans, restera en prison. La Cour suprême du canton de Berne a confirmé hier son internement: l’homme souffre toujours de troubles délirants, et sa libération représenterait un risque pour la société.

La Cour suprême du canton de Berne a confirmé hier l’internement de Peter K. Il a désormais la possibilité de faire recours contre son internement auprès du Tribunal fédéral. Keystone

Par Lino Schaeren / Traduction Marcel Gasser

P.H Kneubühl ne s’est pas présenté devant le tribunal qui le jugeait en appel, en signe de protestation contre les autorités bernoises qu’il estime «corrompues». A l’instar du Tribunal régional Jura bernois-Seeland, la Cour suprême a donc rejeté l’appel du Biennois, qui restera donc dans la prison régionale de Thoune où, de son propre chef, il se trouve depuis 10ans en détention préventive dans une cellule qu’il ne quitte qu’une heure par jour, pour faire quelques pas dans la cour. Dans une lettre adressée à la cour, P.H Kneubühl se plaint qu’il n’y ait dans ce procès «que des personnes qui ont déjà prononcé contre lui un verdict défavorable».

De toute manière, poursuit-il, il ne souhaite pas discuter de son internement, même s’il s’y oppose. Ce qu’il veut, c’est une révision de son procès: il aimerait que l’on revienne sur les événements de 2010. Mais sur la base d’expertises psychiatriques qui attestaient chez lui de graves troubles délirants, le Tribunal régional l’avait définitivement jugé irresponsable en 2014 et condamné à une thérapie stationnaire, également appelée «petit internement». Mais jusqu’à présent P.H Kneubühl s’est refusé à toute forme de traitement thérapeutique: il n’est pas malade, dit-il, juste victime d’une immense conspiration, où les autorités, la justice et les représentants de la fonction publique veulent le détruire. Dans sa façon d’appréhender le monde, quiconque n’adhère pas à ses théories est considéré comme un ennemi.

La psychiatrie selon P.H Kneubühl

Et sa liste est longue, puisque même Sascha Schürch, son avocat commis d’office qui le représente depuis 2018, fait partie de ces «exécutants». Le prévenu entend manifestement se défendre tout seul. Déjà en 2013, il avait tenté de se passer d’avocat commis d’office, en vain. Mercredi, Sascha Schürch a tenté de convaincre la Cour que le risque de récidive n’était pas aussi élevé que le laissent entendre les expertises. On peut sans autre écarter toute infraction grave contre la vie ou l’intégrité corporelle de quiconque, ne serait-ce qu’en raison de l’âge avancé du prévenu.

L’avocat a également déploré que les psychiatres aient établi leurs expertises sans discuter avec Kneubühl. «C’est entièrement sa faute, puisqu’il a fait savoir par écrit que l’expert pouvait aller au diable, et que les monstrueux fascistes que sont les psychiatres n’avaient pas leur place dans une démocratie», a rétorqué Jürg Bähler, président de la chambre d’appel. Pour le procureur Manus Widmer, Kneubühl pense en effet que la psychiatrie a pris le pouvoir sur la justice.

«J’ai tout perdu»

De telles prises de position écrites sont légion. En juin dernier, Kneubühl écrivait encore à la Cour suprême: «J’ai lutté 15ans contre cette corruption, j’ai perdu tout ce qu’un homme peut perdre, à part la vie. Et chaque jour je redoute une nouvelle tentative de meurtre». Il continue donc de croire, sans raison objective, que les autorités veulent attenter à sa vie. Il réclame aussi la maison familiale de Bienne, «qu’on lui a volée» et qui lui a longtemps servi de refuge sûr. Mais à la suite d’un différend successoral avec sa sœur, la demeure avait finalement été mise aux enchères forcées. Ce litige a été l’élément déclencheur des événements de 2010: dans une lettre de janvier de cette année, Kneubühl continue de réclamer la restitution de cette maison.

Pour Jürg Bähler, il convient donc de prendre très au sérieux une autre lettre écrite par le prévenu depuis sa prison, et adressée au nouveau propriétaire: « Je peux vous garantir que je n’aurai de cesse de faire annuler la vente illégale de cette maison et de vous tordre le cou», peut-on y lire. Si l’on ajoute à cela le fait que Peter H. Kneubühl n’a toujours pas révélé où il a caché son fusil lors de sa cavale, la remise en liberté d’un tel individu est problématique.

Potentiellement dangereux en situation de crise

La chambre d’appel reconnaît certes que Kneubühl, d’une manière générale, n’a pas de prédisposition aux délits. Mais, en s’appuyant sur les expertises, elle estime très élevé le risque que cet homme, s’il est aujourd’hui remis en liberté, cède à nouveau à ses délires obsessionnels si, d’aventure, il devait se retrouver dans une situation de crise. Et Jürg Bähler de rappeler que, des années avant les premières menaces d’expulsion forcée de sa maison, le prévenu se sentait déjà menacé par les caméras de surveillance qui se multipliaient dans les commerces. Il croyait fermement qu’elles avaient été installées pour le surveiller de près. Des traces d’animaux manifestes laissées dans son jardin, l’avaient également convaincu qu’il était surveillé.

Deux ans avant la planification de la mise aux enchères forcée, cette menace était apparemment devenue réelle pour lui. Il écrivait pratiquement chaque jour la même phrase dans son carnet (420 fois en tout): «De toute la journée, ces chiens ne sont pas venus, j’ai pu vivre un jour de plus». Selon le président de la Cour suprême, les lettres les plus récentes qu’il a envoyées depuis la prison démontrent que Peter H. ne s’est pas débarrassé de ses anciennes peurs.

Juste une question de temps

Pour la Cour d’appel, il est donc clair que Kneubühl, s’il est libéré, se retrouvera fatalement dans une situation subjective de détresse. Ce n’est qu’une question de temps. Et dans son délire, il pourrait fort bien commettre un délit grave. L’internement est certes une entorse grave aux droits fondamentaux. «Mais dans le cas du prévenu, elle est proportionnée, car le bien juridique suprême, c’est l’intégrité physique et la vie humaine», a conclu Jürg Bähler. Hans Peter Kneubühl a désormais la possibilité de faire recours contre son internement auprès du Tribunal fédéral. Selon son avocat, Sascha Schürch, il le fera probablement: toute sa conduite au fil des procédures jusqu’ici le démontre.

Mais ce sera sans lui: l’avocat commis d’office l’a défendu jusqu’à l’appel, mais son travail s’arrête là. De toute manière, il est peu probable que Kneubühl le mandate pour le défendre au Tribunal fédéral.

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