Vous êtes ici

Abo

Climat

Le test d’adaptation

L’hiver 2019/20 a été le plus doux depuis le début des mesures. Outre sur le tourisme, à cause du manque de neige, quels ont été les effets de ces températures élevées sur les autres secteurs «environnementaux»?

A cause d’un hiver très clément, la floraison a commencé très tôt un peu partout. Photo:Archives

par Dan Steiner

C’est en 1864 que débutent les mesures. L’hiver qu’on appelle météorologique, soit de début décembre à fin février, a été le plus chaud cette année. A Biasca (TI), le 24février, le mercure est d’ailleurs monté à 24,6°C, nouveau record du deuxième mois de l’année dans notre pays au climat tempéré. Un site de mesure qui n’est toutefois actif que depuis... deux ans. Jusqu’en 1990, la moyenne helvétique de ces trois mois n’avait jamais été positive. En2019/20, elle s’est figée à 0,7°C. Conséquence: des floraisons très précoces. Et les autres secteurs, les autres êtres vivants, comment sont-ils impactés par ces températures moyennes de plus en plus douces? Et notamment cet hiver sans neige?

Agriculture et bétail. On s’adapte, mais on attend l’humidité
Président de la Chambre d’agriculture du Jura bernois, Bernard Leuenberger en a vu passer des hivers sans neige. «Mais pas avec de telles températures. Du coup, cet hiver, la nature ne s’est pas reposée», juge le Courtisan. Et n’aura pas fait fuir les campagnols. Pour lui, il ne faut pas se faire plus de souci que cela pour le bétail, qui s’accommode des variations de chaleur. «Mais les cultures?» se demande-t-il. «La nature a de l’avance et bourgeonne déjà. Et puis, d’un coup, comme ces jours, il fait froid et cela abîme les arbres fruitiers.» En Valais, les vergers ont apparemment tenu le choc. Les damassiniers ajoulots risquent, eux, de ne pas avoir cette chance, en 2020. Pour ce qui est de l’agriculture au sens large, Bernard Leuenberger temporise. «Il faudra voir ce que le printemps et l’été nous réservent.»  L’idéal, après un mois de mars sec, serait un avril humide, mais pas froid. Finalement, outre la hausse des températures, l’agriculteur et vice-président de la Fondation rurale interjurassienne observe également une persistance des courants, ce qui assèche les sols.

Faune. Grands animaux pas malheureux
Un hiver doux, pour les ongulés de nos contrées – sangliers, chamois, chevreuils et quelques cerfs –, n’est pas une si mauvaise situation, souligne Louis Tschanz, l’un des trois gardes-faunes du Jura bernois. «Ils puisent ainsi moins dans leurs réserves. Les sangliers descendent simplement (réd: en altitude) s’il y a trop de neige.» Quant aux blaireaux ou renards, une hausse des températures peut même les arranger. «Le problème vient plutôt du gel prolongé, après une période douce. Du coup, les arbres à fruits gèlent juste après le début de leur floraison...» note-t-il à l’instar de Bernard Leuenberger. Pour le citoyen de Moron (commune de Champoz), professionnel dans le domaine depuis une trentaine d’années, la nature est ainsi faite que la sélection naturelle domine. Un concept cher à Charles Darwin. «Mais ce qui a davantage d’impact, ce sont les sécheresses d’été prolongées», résume-t-il. Avec l’homme, bien évidemment, étant entendu que la faune sait généralement s’adapter aux variations climatiques. Si possible lentes.

Champignons. Une fin de saison dernière inédite
Outre qu’un mycologue comme Jean-Pierre Monti n’est pas forcément un champignonneur, ce dernier note que le changement climatique n’a pas de répercussions significatives sur les champignons, dont le pied et le chapeau ne sont que la partie émergée de l’organisme, lequel opère principalement dans son substrat. Bref, le contrôleur fongique depuis plusieurs lustres observe notamment que les saisons se prolongent. «En 2010, la fin se situait vers la mi-octobre. L’an passé, j’ai effectué mon dernier contrôle le 6 décembre!» Un record. «En résumé, ils poussent toujours plus tôt et plus haut», souligne le Tavannois de 71ans, membre de la Société mycologique de Tramelan aussi depuis belle lurette. L’absence de gel favorise ainsi leur développement. Et Jean-Pierre Monti de faire remarquer que 95% des végétaux sont liés à des champignons, à qui ils fournissent des sucres, ne pouvant pratiquer la photosynthèse. En contrepartie, les champignons leur procurent des sels minéraux et des matières organiques, qui favorisent leur croissance et leur santé.

Amphibiens. Généralisations difficiles à faire
Membre de l’Association des naturalistes francs-montagnards depuis ses débuts, dans les années80, Willy Houriet a posé ses premiers barrages à amphibiens à Bellelay il y a deux décennies, avec ses élèves. «Je m’occupais jusqu’à ma retraite, l’an passé, d’une portion des barrages, en direction de Genevez», note l’ancien enseignant. C’est dire s’il connaît le terrain. «En plus de 20ans à protéger les amphibiens, on pourrait se dire que leur population devrait avoir augmenté... Eh bien ce n’est pas le cas», observe-t-il. «On fait toujours des suppositions, mais les variations sont difficiles à comprendre. A Bellelay, vous pouvez avoir 500batraciens une année et la suivante 2500. Qu’est-ce qui fait la différence?» On n’est donc pas plus avancés sur la question. Le karch, le Centre de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles de Suisse, basé à Neuchâtel, non plus. Selon lui, «les conséquences des hivers chauds sur les amphibiens semblent contradictoires. Différentes études ont en effet montré des effets ou négatifs ou positifs.»

Oiseaux. Quand les migrateurs ratent le train
Pour Philippe Grosvernier, président du Centre d’étude et de protection des oiseaux, Bienne et environs (CEPOB), la problématique est difficile à évaluer. Pourquoi?«Car les populations d’oiseaux sont variables dans le temps et elles ne sont pas seulement liées à ce qu’il se passe ici, puisqu’elles viennent d’Europe, de Sibérie ou encore de Scandinavie.» La douceur de l’hiver conditionne, pour les oiseaux d’eau, par exemple, la présence ou non de glace sur les plans d’eau et leurs berges. Le lac de Bienne gelé et les canards se retrouvent alors dans la panade... «Les populations d’oiseaux avaient connu une progression de 15ans après les hivers très froids de 1955/56 et de 1962/63. C’est le temps qu’il a fallu pour reconstituer ces populations, victimes d’une forte mortalité durant ces deux années», rappelle l’habitant de Reconvilier, président depuis deux ans du CEPOB, qui fête ses 40ans d’existence en2020. Mais un hiver comme celui que nous venons de connaître est toutefois préjudiciable pour certains oiseaux migrateurs. Alors que d’autres espèces, comme les mésanges, ont pu s’activer plus tôt, elles ont ainsi quasi vidé le garde-manger commun: insectes et chenilles.

Tourisme. Un hiver doux, ça va; deux hivers doux, ça va; trois...
«Oui, l’hiver a été compliqué pour les prestataires hivernaux, mais ils ont déjà connu de telles situations. Parfois deux de suite.» Directeur de Jura bernoisTourisme, Guillaume Davot a pu prendre le pouls de ses partenaires hivernaux. Et ceux-ci restent optimistes, assure-t-il. Sûr que la crise du coronavirus tombe mal pour d’autres, dont la neige n’est pas la priorité, étant donné que le début de la saison estivale se fait dès fin mars, début avril. «Il est clair que l’annulation de manifestations n’est pas idéale, mais la diversification peut pallier le manque d’activités en rapport à la neige. Jura & Trois-Lacs est reconnue comme une région liée à la mobilité douce, indépendamment de l’hiver. Et cela suit la tendance des activités pratiquées par les gens», note Guillaume Davot. Cela change un peu la façon qu’a son office de communiquer, étant donné le manque de plus en plus régulier d’or blanc. Mais le directeur de souligner l’énorme potentiel restant en matière d’interconnexion des activités touristiques dans notre région. Et l’on sait que cela passe par une offre plus fournie d’hébergement, notamment – mais la para-hôtellerie est aussi très populaire – grâce à des structures plus grandes et plus modernes.

Articles correspondant: Région »