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Mühleberg

Les briques réduites en farine crue

Les travaux de démantèlement de la centrale nucléaire se poursuivent. La salle des machines a été libérée des blocs de béton. Une partie a été concassée pour produire du ciment. Les éléments combustibles ont été extraits du cœur du réacteur.

Les briques anti-éclats ont d’abord été concassées avant d’être moulues. Cette «farine» va ensuite entrer dans la composition de ciment, sur le site de Vigier, à Péry. Photo:BKW

par Philippe Oudot

Voilà déjà plus de six mois que la centrale nucléaire de Mühleberg (CNM) a été définitivement mise à l’arrêt et déconnectée du réseau. C’était le 20 décembre 2019. Depuis, les travaux de démantèlement vont bon train. Ainsi, dans la salle des machines, les quelque 165 briques anti-éclats (gros blocs de béton de 8 à 10tonnes) ont été évacuées. Ces gros blocs avaient été disposés autour des turbines qui produisaient le courant en guise de protection, en cas d’éclatement d’une des turbines.
Dûment nettoyés et décontaminés, si nécessaire, 96 sont encore utilisés sur le site de la centrale. Ils ont permis de construire un mur de protection pour le stockage temporaire des déchets très faiblement radioactifs, en attendant qu’ils soient acheminés au Zwilag, le centre d’entreposage intermédiaire des déchets nucléaires, situé dans le canton d’Argovie.

Concassées, avant d’être recyclées
Les 69 autres briques anti-éclats ont été transportées sur le site de Vigier, à Riedholz, dans le canton de Soleure, où elles ont été concassées en plusieurs opérations pour les réduire à la taille de cailloux. C’est ensuite à la cimenterie de Péry que se poursuivent les opérations (voir ci-contre «Réduire l’empreinte carbone»). Ces «cailloux» sont moulus et recyclés sous forme de «farine» pour produire le clinker, élément de base pour fabriquer du ciment.
Parallèlement à ces travaux, les spécialistes de la CNMont poursuivi le démontage des turbines et des générateurs, ainsi que différents autres composants qui se trouvaient dans la salle des machines. Comme le précise Sabrina Schellenberg, responsable suppléante de la communication de BKW, «àpart les générateurs, tout ce matériel est transporté en Suède où il est traité d’une manière appropriée pour être recyclé». Sur les quelque 600 tonnes de matériaux qui vont être acheminées en Suède, environ 550 tonnes ont déjà été démontées.
Quant aux déchets et résidus radioactifs issus des opérations de retraitement, ils sont ramenés en Suisse, en vue de leur enfouissement en couches géologiques profondes. S’agissant des deux générateurs, qui pèsent plus de 400tonnes chacun, ils ont été nettoyés, décontaminés et démontés sur place, pour être ensuite recyclés. Une fois la salle des machines entièrement vidée de tous ses équipements, elle accueillera les installations pour le nettoyage et le découpage des composants potentiellement contaminés.

 

Réduire l’empreinte carbone
Le béton est un matériau facilement recyclable. Concassé sous forme de granulats, il peut remplacer le gravier utilisé dans la préparation de béton frais. Mais il peut aussi être valorisé pour faire à nouveau du ciment. C’est le choix qu’a fait BKWpour ses briques anti-éclats. Une fois les blocs concassés sur le site de Vigier Béton, à Riedholz, les granulats sont acheminés à la cimenterie Vigier, à Péry, explique Olivier Barbery, directeur du site. «Ils sont ensuite mélangés à la matière première (calcaire et marne) provenant de la carrière Tscharner.» Le tout est ensuite concassé, avant d’être finement moulu sous forme de ‹farine crue›, puis séché avant de passer dans un four dont la température atteint 1450°C pour obtenir ce qu’on appelle le clinker. Ce matériau est à nouveau broyé en fine poudre à laquelle seront ajoutés d’autres additifs.

Déjà décarbonaté
Comme le souligne OlivierBarbery, ce béton recyclé est donc un matériau de substitution qui permet, d’une part, d’économiser de la matière première et, d’autre part, de réduire l’empreinte carbone. Lorsque le calcaire atteint environ 800°C dans le four, il se produit une réaction chimique qui libère une importante quantité de CO². On obtient alors du carbonate de calcium, c’est-à-dire de la chaux. Le béton recyclé étant déjà décarbonaté, cela permet de réduire la production de CO².
Notre interlocuteur précise toutefois que les 500 tonnes de béton recyclé provenant de Mühleberg ne représentent qu’une petite quantité de matière par rapport aux 500000tonnes produites par la cimenterie par année. Il précise que des échantillons de matières sont prélevés toutes les 20minutes et en fonction de la composition du mélange, les ingénieurs corrigeant les dosages si nécessaire.

Production de CO² réduite de 38%
Depuis de nombreuses années, la cimenterie se préoccupe de son impact sur l’environnement, d’autant que le béton est un des produits parmi les plus consommés au monde. Pour chauffer ses fours, par exemple, Vigier n’utilise plus d’énergie fossile, mais uniquement des combustibles alternatifs, notamment des déchets provenant de la biomasse, dont le bilan carbone est neutre. «Si on compare une tonne de ciment produite en 1990 par rapport à aujourd’hui, nous avons réduit notre empreinte carbone de 38%! Soit davantage que les 30% visés par la Confédération à l’horizon 2020», souligne OlivierBarbery.
Pour parvenir à ce résultat, l’entreprise a pris d’autres dispositions. Elle a notamment mis en service dans sa carrière Tscharner un énorme camion électrique pour transporter la matière première (Le JdJl’avait présenté). La cimenterie livre par ailleurs 50%de ses produits par le rail. «Nous avons aussi le projet de mettre en service des camions de transport électrique, ou à hydrogène. Nous espérons tester un ou deux véhicules cette année encore.» Le directeur précise que l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Mais pour y parvenir, cela passera par un véritable saut technologique. Avec d’autres cimentiers européens, Vigier participe ainsi à un projet FastCarb dont l’objectif est de piéger directement le CO² dans le granulat de béton, mais aussi d’en augmenter la porosité pour doper le processus de réabsorption du CO².

 

Les éléments combustibles étant extraits du réacteur, le démantèlement avance à un rythme soutenu
Si les travaux avancent à bonne allure dans la salle des machines, ils progressent aussi rapidement dans le bâtiment du réacteur. D’abord, précise Sabrina Schellenberg, «les dalles de recouvrement et les éléments de blindage en béton ont été retirés de la cavité du réacteur et désassemblées sur place. Ces éléments pesaient au total près de 400tonnes.»
Lorsque la centrale était en fonctionnement, ils constituaient un blindage contre la radioactivité. Ces gros éléments de béton ont été débités au moyen d’une scie spéciale. En fait, il s’agit d’une sorte de câble diamanté qui tourne et est arrosé en permanence, afin d’éviter la poussière. Cette dernière est évidemment récupérée, tout comme l’eau. Ces blocs ont ensuite été emballés et stockés provisoirement, en attendant qu’ils puissent être nettoyés et décontaminés dans la salle des machines.

Radiations divisées par 1000
En mars, la cuve de pression du réacteur a également pu être ouverte. Au cours des trois mois écoulés depuis la mise à l’arrêt de la centrale, le 20décembre 2019, le niveau de radioactivité à l’intérieur de la cuve a déjà pu être réduit d’un facteur 1000. Tous les éléments combustibles ont ensuite été extraits du cœur du réacteur pour être placés dans la piscine de désactivation. Ils y resteront plusieurs années, le temps de réduire encore leur niveau de radioactivité et de température afin de pouvoir être transportés au Zwilag.
Parmi les autres travaux déjà achevés, Sabrina Schellenberg cite également le démontage du couvercle de confinement primaire, et le démontage du capot d’isolation du couvercle de la cuve de pression du réacteur. Le démontage des barres de commande, ainsi que le système de réglage de ces barres est également achevé. Lorsque la centrale était encore en activité, ces barres de commande permettaient de bloquer les réactions nucléaires en chaîne à l’intérieur du réacteur.

Sécurité renforcée
Par ailleurs, les travaux sont toujours en cours pour transformer le système supplémentaire de refroidissement de la piscine de désactivation en système de sécurité. Il avait été installé en 2016. Ces travaux devraient durer jusqu’à fin septembre.


Une fois la cuve du réacteur ouverte, tous les éléments combustibles ont pu être transférés dans la piscine de stockage. Photo:BKW

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