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Santé

Les compétences des pros mises à profit

Depuis l’an dernier, les pharmaciens peuvent délivrer un certain nombre de médicaments soumis à ordonnance sans le précieux document. Une évolution positive, mais qui n’a pas que des avantages.

Les pharmaciens ont désormais davantage de responsabilités dans la remise de médicaments. archives

Par Philippe Oudot

En Suisse, les coûts globaux du système de santé s’élèvent à plus de 80milliards de francs, dont plus de 10milliards pour les médicaments. Afin de freiner la progression des coûts, la Confédération a pris une série de mesures dans le domaine des prix, mais aussi dans le cadre de la révision du droit sur les produits thérapeutiques.

Ainsi donc, l’an dernier, Swissmedic (institut chargé de la surveillance du marché des médicaments) avait supprimé la catégorie de remise C (voir ci-contre «Remise de médicaments»), reclassant ces produits thérapeutiques en classe B ou D. Sur les 719 médicaments qui figuraient sur la liste C, 658 ont déjà été réaffectés. Une petite partie (43) sont désormais placés sur la liste B, et 615 en catégorie D. Afin décembre, il n’en restait plus qu’une soixantaine qui n’avaient pas encore été redistribués.

Objectifs visés par cette révision de la loi sur les produits thérapeutiques: mieux mettre à profit les compétences professionnelles des pharmaciens, éviter des visites médicales pas forcément nécessaires et favoriser l’automédication, tout en garantissant la sécurité des patients. Comme l’explique Samuel Steiner, pharmacien cantonal, ce reclassement a été opéré en fonction des risques et des éventuels problèmes d’accoutumance: «Par exemple, des médicaments contenant de la codéine ont été placés sur la liste B, alors que sur la liste D, on trouve ceux ne présentant que peu de risques, qui sont remis sur conseil dans des pharmacies ou des drogueries.»

Accès plus rapide
Comme le relève Nicole Demierre Rossier, porte-parole de pharmaSuisse (organisation faîtière des pharmaciens), «cette réaffectation assoit la place des pharmacies dans les soins de base. D’une part, elle permet à la population d’avoir accès rapidement et sans rendez-vous à des conseils et des solutions à de nombreuses affections bénignes et, d’autre part, soulage les médecins de famille et les services d’urgence.»

En effet, explique-t-elle, si, en principe, le patient doit avoir une ordonnance médicale pour obtenir un médicament de la classe B, les conditions de remise ont désormais été assouplies, sans pour autant menacer la sécurité de la prise en charge des patients. Les pharmaciens peuvent donc désormais leur délivrer sans ordonnance certains médicaments de la catégorie B.

Il s’agit en particulier de produits thérapeutiques qui figuraient dans l’ancienne liste C. Mais cela concerne aussi certains médicaments utilisés pour traiter des maladies fréquentes et qui contiennent des principes actifs établis et autorisés depuis plusieurs années. C’est également le cas pour des médicaments destinés à des patients souffrant de maladies chroniques et qui suivent un traitement de longue durée.

Remise documentée
Pour une remise sans ordonnance, le pharmacien doit établir un diagnostic du patient, le conseiller, enregistrer ses coordonnées et consigner le tout sur un formulaire ad hoc. Si cette démarche apporte directement au patient une solution à son problème médical, elle génère toutefois une surcharge administrative qui prend vite quelques minutes. De quoi susciter une certaine grogne chez nombre de pharmaciens qui jugent la procédure trop lourde pour des médicaments de base.

Parmi ceux-ci, on trouve, entre autres, des produits thérapeutiques contre les refroidissements, par exemple des préparations antitussives contenant notamment de la codéine;des sprays nasaux contenant de la cortisone, ainsi que des antiallergiques, etc. «C’est vrai que la procédure est lourde et prend du temps, mais l’objectif est d’assurer la sécurité du patient», justifie Samuel Steiner.

 

Remise de médicaments

A fin 2018, on dénombrait en Suisse plus de 17500 médicaments à usage humain ou vétérinaire reconnus et agréés par Swissmedic, l’institut chargé de la surveillance du marché des produits thérapeutiques. Jusqu’à l’an dernier, ils étaient listés en cinq catégories:
– Liste A (remis sur ordonnance non renouvelable). Cette liste comprenait plus de 3500 médicaments.
– Liste B (remis sur ordonnance). On y trouvait plus de 10500 médicaments.
– Liste C (remis sur conseil d’un professionnel de la santé), avec 719 produits.
– Liste D (remise sur conseil spécialisé en pharmacie ou droguerie), avec plus de 2950 produits.
– Liste E (remise sans conseil spécialisé), avec 430 produits thérapeutiques.
Suite à la révision de la loi, les médicaments de la liste C ont été répartis dans les catégories B ou D, notamment en fonction des risques d’accoutumance à ces produits.

 

La pression sur les prix et la mondialisation sont à l’origine de la préoccupante pénurie de médicaments

L’industrie pharmaceutique a beau être la principale branche exportatrice du pays, la Suisse souffre néanmoins de pénurie de médicaments depuis plusieurs années. Et la situation s’est même nettement aggravée depuis quatre ans. Il y a dix jours, sur le plateau de l’émission de la RTS«A bon entendeur», Enea Martinelli, pharmacien chef des hôpitaux de Frutigen, Meiringen et Interlaken, a confirmé qu’il manquait actuellement 736médicaments différents dans notre pays.

Une situation qu’il a qualifiée de «très grave», car ces ruptures de stock peuvent compromettre le traitement des patients et péjorer leurs chances de guérison. Jusqu’à récemment, la pénurie frappait avant tout les pharmacies des hôpitaux, mais elle touche désormais aussi toutes les pharmacies grand public. Certes, lorsqu’un médicament fait défaut, le médecin peut toujours prescrire un autre dont l’effet est le même, mais ce n’est pas toujours possible. Et la situation est particulièrement préoccupante pour les malades chroniques. De plus, ces nouveaux médicaments sont souvent aussi plus chers, ce qui contribue à la hausse des coûts de la santé.

Effets de la mondialisation
Plusieurs facteurs expliquent cette situation de pénurie. D’abord, en raison de la mondialisation et de la pression que celle-ci exerce sur les coûts, car la plupart des principes actifs qui entrent dans la composition des médicaments ne sont plus produits en Suisse. La fabrication se concentre désormais sur quelques sites, en particulier en Chine ou en Inde. Les fabricants de médicaments dépendent donc entièrement de la livraison de ces principes actifs. Pour certains d’entre eux, les producteurs se comptent sur les doigts d’une main, voire ne sont fabriqués que par un seul producteur.

Le pharmacien cantonal Samuel Steiner cite le cas du paracétamol, une molécule qui entre dans la composition de médicaments antidouleurs parmi les plus prescrits au monde. Or, il y a quelques années, des inondations survenues chez l’un des plus gros producteurs avaient conduit à une situation de pénurie au niveau mondial.

Toutes les maladies concernées
La pénurie concerne tous les types de médicaments. Cela va des antibiotiques aux médicaments contre l’épilepsie en passant par les maladies cardio-vasculaires, l’oncologie et les vaccins. Et cela touche aussi bien les préparations originales que les génériques, ainsi que les anciens médicaments bon marché, qui ont fait leur preuve. Ace propos, dans une récente interview au journal Amedis, Enea Martinelli expliquait que la pression pour faire baisser le prix des médicaments contribuait également à cette situation de pénurie: «En voulant faire pression sur les prix, il faut faire attention à ne pas faire plus de mal que de bien.» En effet, expliquait-il, si le prix d’un médicament est fixé trop bas, le producteur ne s’y retrouve plus et risque tout simplement de renoncer à le fabriquer.

Pour combler le manque, la loi a été assouplie afin de faciliter l’importation de médicaments en provenance de pays voisins lorsqu’ils ne sont pas disponibles en Suisse ou qu’il n’y a pas d’alternative, précise Danièle Bersier, porte-parole de Swissmedic. «Le cas échéant, il peut y avoir des problèmes avec l’emballage, car la fiche d’information n’est pas rédigée en trois langues. C’est donc au pharmacien d’informer le patient.»

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