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Bienne

Les graffs s’effacent, les idéaux restent

Le graffeur biennois Sèyo vernit ce soir sa nouvelle exposition à l’Ancienne Couronne. Parallèlement, la Ville tire un bilan positif de son programme de nettoyage des tags. L’occasion de revenir sur un pan d’histoire de la culture underground biennoise

Une partie d’un graffiti de plusieurs mètres de long sprayé par Sèyo en 1995 près de la gare de Mâche. A cette époque, Bienne était considérée comme la Mecque de la culture hip-hop en Suisse. ldd
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Julien Baumann

Au début des années 80, un vent de rébellion souffle dans les rues des grandes villes d’Europe. La culture hip-hop, née dans le Bronx quelques temps plus tôt et mêlant danse, poésie et graffitis, séduit une jeunesse en quête de nouveaux modes d’expression.

La Suisse n’échappe pas au phénomène, particulièrement Bienne où la Coupole est le lieu idéal pour organiser des concerts, des concours de breakdance et sprayer les murs en toute impunité. Durant cette période se crée le CSM (Criminal Squad Mâche), un collectif de breakers et de graffeurs qui deviendra durant plus de 10 ans le cauchemar des agences immobilières et des autorités désireuses d’entretenir des rues propres, calmes et accueillantes.

Bienne sous les «bombes»

Sèyo est sans conteste le représentant le plus connu du CSM et l’un des graffeurs les plus actifs de l’époque dans la région. Aujourd’hui quadragénaire, il nous reçoit dans son atelier de la rue de Boujean alors qu’il règle les derniers détails de sa nouvelle expo.

Si l’ex-enfant terrible s’est désormais rangé et ne flirte plus avec l’illégalité du graffiti «sauvage», son énergie créatrice et contestataire semble intacte. L’artiste aime s’épancher sans détour sur le hip-hop et le lien intime qui le lie à l’histoire récente de Bienne. Il faut dire que le CSM et d’autres groupes de graffeursn’ont pas chômé dans les années 80 et 90 pour marquer leur territoire.

Il n’est pas rare d’entendre à cette époque  que les murs de la ville sont les plus tagués du pays. Illustration de ce phénomène, une coupure de journal conservé par Sèyo.

L’article issu du Biel/Bienne est daté du 28 septembre 1989. Le titre est sans équivoque: «Des gangs de sprayeurs multiplient ‹les attentats à la bombe› à Bienne.»

Sèyo se rappelle que durant cette période, lui et ses acolytes, pratiquaient le breakdance et le graffiti sans relâche, principalement autour de leur fief situé près de la gare de Mâche. «On avait sprayé tous les environs. Il y avait les flics tous les soirs.» Sortant quelques vielles photos de murs entièrement recouverts de dessins, il ajoute:«Des endroits comme ça, il n’y en a plus aujourd’hui.»

Et pour cause, le programme Image Plus est passé par là (lire ci-contre). Mis en place il y a septans, il a pour but de rendre plus efficace la lutte contre les tags et les graffitis illégaux à Bienne en proposant un service de nettoyage. Hasard du calendrier, le carton d’invitation pour la nouvelle exposition de Séyo est envoyé la même semaine qu’un bref communiqué de la Ville.

Ce dernier indique que les autorités tirent un bon bilan du programme Image Plus et qu’il sera reconduit jusqu’en 2018.

Art ou vandalisme?

Considérer le graffiti comme un délit est un état de fait que Sèyo n’admettra sans doute jamais. «Les murs gris qu’on nous balance partout, ce n’est pas très poétique. Le centre-ville aujourd’hui est aseptisé», déplore-t-il avant de poursuivre:

«On parle de pollution visuelle, mais regardez les pubs qui sont placardées partout. On va bientôt nous vendre l’air que l’on respire. Quand on voit ce qui se passe dans le monde, on se dit qu’il y a sûrement mieux à faire que de dépenser de l’argent pour garder des murs propres.»

Responsable du projet Image Plus et délégué à l’économie de la Ville de Bienne, Thomas Gfeller tient un discours plus nuancé: «Certains graffitis sont des œuvres d’art, c’est sûr.

La majorité de ce que nous effaçons, ce sont de simples signatures. C’est du vandalisme. Il y a des endroits où les graffeurs sont autorisés à faire des fresques. S’ils trouvent un accord avec des particuliers, il n’y a aucun problème.»

Un point de vue que partage en partie le graffeur biennois: «C’est vrai qu’il y a du bon comme du mauvais. Je comprends que quelqu’un soit en colère s’il se réveille un matin et que sa façade est toute niquée. Certains font des choses très moches. Par contre, il ne faut pas exagérer. On parle de vandalisme mais un graffiti ne détruit pas les murs.»

Sèyo devant l’un de ses graffs réalisé cette année à Soleure. LDD

Marqueur culturel

Les graffs, le breakdance et le hip-hop font partie intégrante de la vie de Sèyo. Depuis son adolescence, il revendique la puissance expressive de ce mouvement. «L’activité des graffeurs dans une ville indique si un endroit vit culturellement. Je trouve qu’il faudrait mettre en avant cet aspect à Bienne, ce serait même un argument touristique.»

Difficile de contredire l’artiste biennois lorsqu’on regarde d’un peu plus près l’importance qu’a pris ce type d’art urbain dans les grandes capitales. Une simple recherche Google donne des dizaines de sites ou de blogs répertoriant les plus belles œuvres aux quatre coins du globe. Les guides touristiques proposant des visites dédiées au graffiti et au street art sont toujours plus nombreux que ce soit à Paris, à Berlin, à Londres ou encore à New York. Thomas Gfeller ne nie pas l’importance de cet aspect pour Bienne.

«La culture underground fait partie de l’image de la ville. Nous en sommes conscients et la défendons. Mais Image Plus n’a rien à voir avec cela. Je peux vous montrer des photos de ce que nous enlevons. Il n’y a rien de beau.»

Une nouvelle exposition

Sèyo observe des évolutions dans la pratique du graffiti. Il regrette par exemple l’abandon d’une cause commune. «Il y a de très bonnes choses qui sont faites aujourd’hui. Mais j’ai l’impression qu’on était une vraie famille à l’époque et on voulait changer le monde avec notre idéal.

On voulait prendre le pouvoir et régler les conflits uniquement avec des concours de breakdance ou de graffs. Aujourd’hui, c’est plutôt chacun pour son porte-monnaie. Le graffiti s’est institutionnalisé. D’un autre côté, ça me permet de l’exercer d’une autre façon.»

Sèyo vit aujourd’hui de son art en toute légalité, en réalisant des commandes de fresques, en donnant des cours ou en participant à des projets éducatifs. Son travail récent, une série de tableaux d’esquisses et de sculptures, est à découvrir dès ce soir en veille ville.

L’univers dépeint par Sèyo est toujours fortement imprégné de la culture hip-hop. Il y dessine la réalité d’un monde où la grisaille urbaine contraste avec la poésie des couleurs.

 

INFO:

Sèyo Créations 2015:
Ancienne Couronne (rue Haute 1).
Du 20 novembre au 6 décembre.
www.seyo.ch

 

Retrouvez un documentaire et un clip de Sèyo en vidéo:

 

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