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Histoire

Les poules se sont fait pigeonner

A Rondchâtel se dresse un curieux bâtiment dont la fonction exacte ne fait pas l’unanimité. Visite avec René Koelliker, historien de l’art.

Pour René Koelliker, du Service cantonal des monuments historiques, il ne fait aucun doute que la bâtisse servait à la fois de poulailler et de pigeonnier. Photo:Adrian Vulic

par Adrian Vulic

A première vue, la fonction de cette bâtisse curieusement chamarrée, aux ouvertures étroites, peu nombreuses et, pour certaines, concentrées à des hauteurs inaccessibles pour l’homme, semble difficilement identifiable. Plus encore si l’on considère ce qui l’entoure: le minuscule hameau de Rondchâtel, enserré entre falaises austères, lacets d’autoroutes et méandres de la Suze.
Une perplexité qui ne survit pas longtemps à une visite commentée par René Koelliker, du Service cantonal des monuments historiques du canton de Berne. Quelques coups d’œil précis jetés aux sutures visibles sur les murs, à la structure des parquets ou aux ornements de la façade lui suffisent pour percer les mystères de cette demeure.

Querelle d’experts
Les archives permettent, tout d’abord, d’attester que le bâtiment, qualifié de néoclassique, a été bâti en 1902, puis restauré en 2001 avec la collaboration du Service cantonal des monuments historiques. Le reste est, en quelque sorte, gravé dans les murs.
«La partie du bas correspond à un poulailler. Les crochets encore visibles sur les murs signalent l’emplacement des trappes qui permettaient aux volailles d’entrer et de sortir. Les ouvertures ont, semble-t-il, été condamnées lors de la dernière rénovation, puis suggérées dans la décoration extérieure», décode René Koelliker. «À l’étage, on voit ce qui semble être, à mon sens, un pigeonnier, reconnaissable, notamment, à ces nombreuses petites fenêtres et au large rebord en bois, sur lequel les oiseaux se posaient et depuis lequel ils prenaient leur envol», continue l’historien de l’art.
Un article paru, en 2007, dans l’Hôtâ, la revue de l’Association de sauvegarde du patrimoine rural jurassien, se montre, pourtant, plus hésitant concernant la fonction précise de ce qu’il surnomme, sommairement, un «bâtiment avicole». «Le classement de l’édifice comme pigeonnier est démenti tant par les documents d’archives, qui le qualifient exclusivement de poulailler, que par des caractéristiques constitutives inadaptées à une utilisation en tant que tel», précise son auteur, Alain Fretz. La confusion viendrait ainsi d’une «légende vivace liée aux gorges du Taubenloch, toutes proches», signifie l’article sans plus de détails.
Mais René Koelliker est assez sûr de son coup. «Le fondateur de la fabrique à chaux de Rondchâtel, créée en 1874, était français. Cela explique la présence de ce pigeonnier, puisque ce type d’installations était très répandu en France, où tous les domaines importants en avaient un», argumente le spécialiste.

Quelle noblesse, ce pigeon
La querelle permet, en tout cas, de rappeler combien l’image du pigeon a évolué au cours du temps. Cet oiseau, qui soulève, il est vrai, assez peu d’admiration aujourd’hui, a ainsi longtemps été considéré comme un animal noble et digne d’intérêt. Rappelons, de plus, que sa viande est prisée de la gastronomie française.
Posséder un pigeonnier était ainsi un signe de prestige, raison pour laquelle on faisait des bâtisses de grande qualité. «Plus il avait de fenêtres, et plus il attestait d’une certaine richesse. À tel point que certains ajoutaient de fausses ouvertures sur leur façade afin de donner l’illusion d’une plus grande prospérité. D’où l’expression ‹se faire pigeonner›», conclut René Koelliker.




Les crochets, encore visibles sur la façade extérieure (en haut à dr.), rappellent la présence des trappes à poules, tandis, qu’à l’étage, les ouvertures dans le mur servaient au passage des pigeons (en bas en dr.). Photo:Adrian Vulic

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