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Histoire

L’importante dame oubliée

Julie Ryff-Kromer a cofondé le Comité des femmes de Berne. Elle a également rédigé des projets d’amendements pour le Code civil. Mais elle était aussi la fille des tenanciers de La Couronne, à Tavannes.

Parti en fumée, le bâtiment reconstruit est l’actuel Hôtel-de-ville. Photographie tirée de: La plus belle entrée de la Suisse ou Course de Bâle à Bienne à travers le Jura bernois par Ernest Schuler, 1848, p. 21. Reproduction: Mémoires d’Ici

Par Dan Steiner

Il est des personnages que l’histoire retient pour de banals faits d’armes, qu’ils soient ou non liés à des batailles. Et il y en a d’autres qui, malgré une activité digne d’éloges sur une multitude de fronts, restent méconnus, si ce n’est inconnus du grand public. C’est par exemple le cas de Julie Ryff-Kromer, fille de Jakob Christoph Kromer et de Susanna Margaretha Kübler. Si l’on dit Comité des femmes de Berne, dont elle fut cofondatrice et secrétaire? Pas forcément très renommé.

Or Madame intervint également «avec véhémence dans la rédaction du Code civil et se prononça notamment en faveur du régime de séparation de biens». Aussi, ses parents sont les tenanciers du fameux Hôtel de la Couronne, actuel Hôtel-de-ville de Tavannes, célèbre auberge ravagée par un incendie en 1846 (lire notamment ci-dessous).

Comme un roman policier
S’il en est toutefois une pour qui Julie Ryff-Kromer a désormais moins de secrets, c’est bien pour l’historienne Franziska Rogger, dont un texte publié en fin d’année passée dans la revue «Berner Zeitschrift für Geschichte» vient d’être traduit en français. C’est ce dont se réjouit en effet le Centre de recherche et de documentation du Jura bernois Mémoires d’Ici, dont un récent post Facebook vante «De l’austérité du Jura bernois à l’expansion mondiale – Les annales de la famille de Julie Ryff-Kromer, pionnière des droits de la femme». «C’est surtout une femme à l’imposante personnalité», note la Lucernoise d’origine.

Qui s’est intéressée au parcours de celle qui est née en octobre 1831 à Bâle – et transitera notamment par Tavannes avec ses parents, Sombeval pour son mariage, Corgémont ou encore Delémont avec son mari – pour plusieurs raisons. «Pour son impulsion dans l’histoire du droit de la femme, sa tentative de s’en sortir financièrement dans le Jura bernois avec 13 enfants et parce que j’ai pisté sa trace durant 20 ans», sourit Franziska Rogger.

«Madame Rogger a vraiment eu le mérite de tirer les fils de cette histoire», souligne Sylviane Messerli. «C’est un récit passionnant de la vie de cette femme, qui se lit comme un roman policier», s’enthousiasme la directrice de Mémoire d’Ici.

David contre Goliath
Femme de caractère, Julie Ryff-Kromer survit, c’est le cas de le dire, dans le Bâle du milieu du 19e siècle, entre émeutes, pauvreté ou épidémies. Trois de ses cinq frères et sœurs ne font d’ailleurs pas de vieux os. Chose indécente à l’époque, écrit Franziska Rogger, ses parents divorcent. Elle se marie finalement dans le Vallon de Saint-Imier avec un commerçant né à Bienne, Frédéric Ryff. Entreprenant tant en affaires qu’en amour, l’homme contribue à faire passer la famille de deux à 15 membres. Il est toutefois retrouvé mort dans la Birse, par une nuit d’orage, dans les gorges de Court.

En 1879, sa femme se retrouve alors à s’occuper de ce qu’il reste de la famille, soit dix enfants, puis à batailler en justice pour que Winterthur assurances (aujourd’hui Axa) cède le montant de l’assurance-vie au préalable contractée par son mari. Pas pour elle, mais pour sa progéniture. Un véritable duel de David contre Goliath, écrit l’historienne dans son texte de 54 pages. Julie Ryff deviendra professeur de comptabilité puis l’une des pionnières de la politique féministe. Se sont finalement ses enfants qui, eux, s’établissent de par le monde.

Ravagé par les flammes en 1846
Imposant bâtiment en bois, l’Hôtel de la Couronne est une importante station-relais pour les hommes et leurs chevaux entre Bâle et Bienne. Etait-ce à cause d’un Anglais qui avait demandé qu’on lui fasse un feu ou une autre raison? Nul ne sait ce qui déclenchera l’incendie qui, dans une nuit de septembre 1846, réduira notamment ce qui deviendra l’Hôtel-de-ville en cendres. Plusieurs personnes périssent, notamment le conseiller d’Etat bernois Friedrich Immer.

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