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Bienne

Livraisons du coeur

De nombreux foyers n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Les Cartons du Cœur leur offrent une aide ponctuelle bienvenue. Reportage dans le sillon d’une livraison dans la région biennoise.

Les denrées sont désormais conditionnées dans des box transparents. NH

Les cartons sont prêts. Ils ont été confectionnés par deux bénévoles parmi la septantaine qui font tourner l’antenne biennoise des Cartons du Cœur. Chaque lot de «cartons», en fait des boîtes en plastique transparentes, a été rempli en fonction de la composition du foyer auquel il est destiné. En présence d’enfants, des douceurs ou des peluches ont été judicieusement ajoutées. Le tout est complété avec des produits laitiers, conditionnés dans des sacs réfrigérants, et des cabas composés de fruits et de légumes frais.

Yvonne et Mascia qui, par humilité, ont tenu à conserver l’anonymat, chargent toute la marchandise dans la voiture d’Yvonne, et c’est parti pour la tournée du jour.
Premier arrêt, sur les hauteurs de Bienne. Yvonne trouve aisément une place de stationnement proche du lieu de livraison. C’est que les cartons sont lourds à transporter, même pour Yvonne, retraitée qui ne fait pas son âge, et Mascia, jeune quinquagénaire. «Chacun pèse entre 10 et 13 kilos, voire davantage», jauge Mascia.
Nous ne verrons pas le premier bénéficiaire de cette tournée des Cartons du Cœur. Un monsieur à la retraite que ses deux anges du jour présument assez isolé.
Précarité et solitude vont souvent de pair, observent les deux livreuses bénévoles. «Un cas m’a remué pendant des semaines», reconnaît Mascia, qui s’exprime plus facilement en français qu’Yvonne. «C’était une dame âgée qui ne voyait sans doute pas grand monde. Quand nous nous sommes rendues chez elle pour lui livrer des victuailles, elle était tellement contente de nous voir. Elle nous parlait, elle nous tenait la main. Je me suis dit que nous étions sans doute les seules personnes qu’elle côtoyait depuis des jours.»

Après cette première livraison, on reprend vite la route. Bien qu’elles ne résident pas à Bienne, Yvonne et Mascia s’orientent sans encombre dans la ville. A force de réaliser des livraisons pour les Cartons du Cœur, elles ont appris à la connaître, et certains quartiers plus que d’autres. «On va souvent à la Bielstrasse», observe Mascia. «Oui, il y a des secteurs  où les besoins sont plus importants qu’ailleurs.»

Deuxième arrêt. Les «cartons» sont empilés sur un diable.  Deux jeunes enfants et leur maman nous attendent au pied d’un immeuble à l’entretien négligé. Tous tiennent absolument à nous prêter main-forte pour porter la marchandise jusque chez eux, au sixième étage. Evidemment, il n’y a pas d’ascenseur....

Lors de chaque livraison, c’est le même rituel. Les box de marchansise acheminés, on s’empresse de les vider afin de pouvoir les reprendre. Avant de prendre congé, Mascia et Yvonne sont très souvent vivement remerciées. «Cela me gêne. Les gens veulent aussi me préciser pourquoi ils ont dû recourir aux Cartons du Cœur. Je leur réponds qu’ils ont déjà dû expliquer leur situation une première fois lorsqu’ils ont appelé notre centrale, cela suffit, pas besoin de se justifier. A mon avis, quand tu dois téléphoner pour avouer que tu n’as plus d’argent pour t’acheter de quoi manger, c’est déjà assez dur.»

Pas besoin d’un coup du sort pour avoir besoin des Cartons du Cœur. La paupérisation touche des étudiants, des personnes ne disposant que d’une toute petite rente AVS, des migrants, des familles monoparentales, des travailleurs à temps plein, mais dont le salaire ne permet pas une vie décente.  Une dépense inattendue, aussi minime soit-elle,  peut déséquilibrer un fragile budget pour celles et ceux qui se trouvent à la  limite de la précarité.
Active un peu partout en Suisse, l’association caritative apporte une aide très ponctuelle sous forme de nourriture et de produits d’hygiène. Pas de quoi colmater les brèches durablement, selon Mascia. «La nourriture que nous livrons sera consommée en quelques jours à peine. Comment font les gens ensuite? A mon avis, ils n’auront pas plus d’argent le mois suivant. Cela me travaille...»

Troisième arrêt. Encore un immeuble délabré. Dans la cage d’escalier, les boîtes aux lettres, pour la plupart défoncées, n’affichent que des noms aux consonances étrangères. La livraison est à effectuer au dernier étage. Toujours pas d’ascenseur. Yvonne et Mascia vont pouvoir entretenir leur forme.
Dernière livraison du jour. Pour ne pas se casser le dos en portant les «cartons», Yvonne se résout à garer son véhicule sur le trottoir. Avec une pancarte «Cartons du cœur» mise en évidence sur le tableau de bord, elle ne craint plus les contraventions (lire notre édition de samedi). Le cadre de ce dernier arrêt ne ressemble en rien aux précédents. Difficile d’imaginer que derrière les murs de cet immeuble plutôt cossu de la rue Dufour, une famille peine à nouer les deux bouts. Et pourtant... Comme le dit le dicton, il ne faut pas se fier aux apparences.

Avant de regagner le local des Cartons du Cœur, Mascia revient sur son engagement: «Dans notre société où tout le monde ne gagne pas suffisamment d’argent pour bien vivre, on peut encore agir. En faisant du bien aux autres, on se fait du bien à soi-même.»

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