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Moutier

Malaika, mon ange

Dans «A des seins», Aline Steiner explore le continent africain avec un éclairage subtil et une écriture brûlante de poésie.

Après avoir vécu en Tanzanie, en Autriche, à Paris, et étudié notamment à New York, Aline Steiner vit à Bruxelles depuis sept ans. Photo:Maxime Gisinger

par Adrian Vulic

Avec Aline Steiner et son tout dernier ouvrage, c’est une Afrique méconnue et complexe qui passe en coup de vent à Moutier. En dédicace à la libraire Point Virgule ce samedi de 10h à 12h, l’autrice et metteure en scène au parcours de globe-trotteuse présente un recueil de trois pièces de théâtre de son cru.
Toutes ont pour point commun, d’une part, d’avoir été rédigées sur sol africain, entre 2009 et 2018. Mais, surtout, d’attaquer des sujets de société tabous selon des angles aussi atypiques que saisissant d’acuité. «Ces textes interrogent tous la question de l’identité et parlent de l’Afrique et des femmes. De façon générale, le théâtre est un milieu très masculin, et souffre d’un manque de rôles féminins. C’est aussi pourquoi j’avais envie de créer des personnages de femmes», résume Aline Steiner.

Racines tanzaniennes
«A des seins», première pièce de ce recueil publié par la maison d’édition camerounaise «Le jeune Auteur», présente à chaque scène un personnage féminin à travers le prisme de sa poitrine. Des femmes «à la mamelle nourricière», «à la poitrine tumeurisée», «au sein guerrier»... «C’est un texte qui explore le rapport des femmes à leurs seins: en parlant de leur poitrine, on parle de toutes les contraintes qu’on leur fait subir», décode la Bruxelloise d’adoption.
Si elle vit dans la capitale belge depuis sept ans, ceci après une douzaine d’années parisiennes, c’est pourtant bien en terre africaine, mais aussi un peu à Moutier, que sont plongées ses racines. «J’ai passé quelques années de mon enfance en Tanzanie, et suis arrivée à Moutier à l’âge de huit ans. Depuis dix ans, je retourne régulièrement au Cameroun», confie Aline Steiner.
«Esclavagisme, Fragments», deuxième écrit publié dans le recueil, prend appui sur cette expérience africaine. Le racisme y est dépeint dans toute sa complexité, et sa triste banalité est retranscrite avec une profondeur que seule peut transmettre quelqu’un qui l’a observé quotidiennement et de près. «Je voulais me jouer de la notion de cliché, en faisant appel et en interrogeant les images que l’on nous donne ou que l’on projette sur les autres», continue l’autrice.
Cette exploration n’est d’ailleurs pas à sens unique, puisque la pièce questionne également les représentations que l’on prête, en Afrique, aux Occidentaux. «Je m’interroge en tant que blanche sur mes propres privilèges, et questionne l’image que l’on donne aux Africains. Mais aussi celle que l’on me prête là-bas sur la base de ma couleur de peau. Un jour, par exemple, un ami metteur en scène m’a invitée à voir une de ses pièces. Sitôt arrivée dans la salle, on est parti du principe que j’étais venue pour ‹inspecter› son travail, et non pas en collègue ou spectatrice», illustre Aline Steiner.

Place aux silences
Troisième et dernier texte du recueil, «La Neige et le Papillon» décrit, par le biais d’une narration de très grande force poétique, les viols qu’une petite fille a subi dans son enfance. La naïveté du regard de l’enfant, croisée avec la violence des scènes décrites avec rudesse, illustre brillamment tout le drame de ce crime. En fond, la chanson «Malaika», «mon ange» en swahili, symbole d’une autreenfance.
Tout au long du récit, deux entités, métaphores lourdes de sens, se disputent l’attention de la conteuse: un papillon, léger et joueur, et un dragon, pesant et mugissant dans le ventre de la jeune femme...
Une thématique difficile, qu’Aline Steiner aborde, comme pour ses autres textes, d’une plume aussi acérée que subtile. Son style, évasif, fait volontairement une large place à l’espace, au vide. La ponctuation en est d’ailleurs quasiment absente; il revient au lecteur d’imaginer le débit des voix et les intonations. Tout comme, d’ailleurs, l’aspect des personnages et des lieux. «Mon écriture fonctionne beaucoup par ellipses. Je tenais à laisser une large place à l’interprétation du metteur en scène», détaille encore l’autrice.

 

Glissement naturel vers l’écriture
Après une scolarité principalement prévôtoise et une maturité gymnasiale décrochée à Bienne, Aline Steiner s’est dirigée vers les arts de la scène. Ses études la mènent notamment à Besançon, Paris et New York, où elle suit des cours au Lee Strasberg Theatre and Film Institute. «Au départ, je voulais devenir comédienne, mais je me suis rapidement orientée vers la mise en scène. Je pense que c’est là qu’est ma place», confie Aline Steiner. C’est un dégradé logique et spontané qui la mène finalement vers l’écriture. «J’ai tout le temps écrit en marge de mon travail de metteure en scène, principalement pour faire des adaptations. Peu à peu, je me suis mise à écrire des pièces pour de bon», continue celle dont l’une des œuvres phares, «Le Barbouilleur de rêves», a bénéficié d’un succès retentissant, avec, selon l’intéressée, plus de 200 représentations.



«A des seins», disponible à la libraire Point Virgule, à Moutier, ou sur www.alinesteiner.net

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