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Bienne

Mystérieux trous au fond du lac

Des géologues ont découvert des dépressions circulaires au fond du lac de Bienne. Des chercheurs vont maintenant étudier leur impact et leur rôle sur les eaux lacustres.

photo ldd

Carmen Stalder, traduction Marcel Gasser

En 2012, des géologues découvraient d’immenses dépressions circulaires sur le fond du lac de Neuchâtel. Grâce à un robot sous-marin scrutant méthodiquement les sédiments, une équipe de chercheurs constituée autour de la géologue soleuroise Stefanie Wirth, professeur au Centre d’hydrogéologie et de géothermie de l’Université de Neuchâtel, a rencontré cette année le même phénomène dans les profondeurs du lac de Bienne.

En 2008, l’Ecole polytechnique fédérale et l’Office fédéral de topographie se sont mis à établir des cartes haute résolution des lacs des Préalpes et du Plateau. Réalisées au moyen d’un sonar, ces cartes bathymétriques (réd: qui mesurent la profondeur et le relief) offrent une configuration en trois dimensions et au centimètre près du fond des lacs.

Jusqu’à 160 mètres de diamètre
C’est en les observant d’un peu plus près que les chercheurs ont découvert ces cratères sous-marins, connus dans le jargon spécialisé sous le vocable anglais de pockmarks. Car il s’agit d’un phénomène bien connu en milieu marin, observé en maints endroits, notamment là où l’industrie pétrolière a prospecté les fonds, par exemple en Mer du Nord. Mais on ne pensait pas en trouver dans nos lacs, et surtout pas de cette dimension, puisqu’ils mesurent entre 80 et 160 mètres de diamètre, pour une profondeur de 30 mètres. Ce qui fait de ces cratères lacustres les plus grands du monde.

Le paradis des géologues
Si les cratères de la Mer du Nord doivent leur origine à des remontées de méthane provoquées par la fonte des glaciers à la fin de la dernière ère glaciaire, ceux de nos lacs résultent des systèmes karstiques du jurassique. L’eau de surface s’infiltre dans le sous-sol, puis sous le fond du lac où elle cherche le moyen le plus simple de remonter à la surface. Pour ce faire, elle se fraie un chemin à travers les épaisses couches de sédiments (plusieurs mètres) qui se sont accumulées au fond du lac depuis des millénaires, formant ainsi des cratères géants que l’on peut considérer comme des sources sous-marines.

«Pour nous géologues, ces nouvelles cartes sont un paradis, car on y découvre des phénomènes insoupçonnés jusqu’ici, comme des moraines d’origine glaciaire, des coulées de boue et, justement, ces cratères», déclare Stefanie Wirth, spécialiste en pockmarks. Ceux-ci se trouvent essentiellement au large de Douanne et à la hauteur de Lüscherz.

Avec leurs 20 à 30 mètres de diamètre, ils sont nettement plus petits que ceux du lac de Neuchâtel. Avec l’aide d’Energie Service Bienne (ESB), qui a financé cette étude, l’équipe universitaire a effectué en mars de cette année toutes sortes de mesures visant à vérifier si ces cratères sont encore actifs et, si oui, à déterminer leur impact éventuel sur l’eau du lac. L’intérêt d’ESB est évident: Bienne et Nidau tirent en effet du lac 80% de leur eau potable. Par rapport à l’eau du lac, l’eau de source affiche une conductivité électrique et une température plus élevées.

Des cratères inactifs?
Les résultats obtenus indiquent que les cratères biennois sont inactifs. Il n’en sort ni eau, ni gaz. Mais comme ils n’en existent pas moins, Stefanie Wirth émet l’hypothèse qu’ils ne s’activent qu’en cas de fortes pluies, lorsque le niveau de la nappe phréatique s’élève, exerçant ainsi une pression suffisante sur les pockmarks.

Autre possibilité, les pockmarks s’activeraient uniquement en cas d’activité sismique. Mais il est possible également qu’ils soient inactifs depuis la dernière ère glaciaire, c’est-à-dire depuis des millénaires. «Mais c’est peu plausible, car les contours de ces trous sont parfaitement nets aujourd’hui encore», poursuit-elle.

Quatre ans d’études à venir
ESB se dit rassurée pour l’instant par les résultats de l’étude: l’eau du lac ne semble pas impactée par la présence de ces cratères. Pour Stefanie Wirth et son équipe, la méfiance est de mise. En mai, elle a pris la tête d’un projet de recherches de quatre ans visant à déterminer la quantité d’eau de source qui sort des cratères sous-marins du lac de Neuchâtel et à établir ainsi la composition exacte de l’eau du lac. «Si je découvrais, par exemple, que 10% de l’eau du lac proviennent en fait de ces pockmarks, ce serait passionnant!» Elle aimerait bien aussi prouver que ceux de Bienne sont encore actifs et, si ne le sont plus, expliquer leur origine. Tout cela nécessite de nombreux prélèvements d’eau et de sédiments, suivis d’analyses et de mesures en laboratoire qui déboucheront peut-être sur une découverte sensationnelle.

Mots clés: lac, trou, géologie, Bienne

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