Vous êtes ici

Abo

Mühleberg (2)

«Nous avons fait le bon choix!»

A trois semaines de l’arrêt de la centrale, Suzanne Thoma, CEO de BKW, constate que cette décision a contribué à accélérer la diversification des activités de l’entreprise et, partant, sa stabilité financière.

Pour Suzanne Thoma, la fermeture de la CNM a accéléré la mue de BKW en société plus globale. Stéphane Gerber

Propos recueillis par Philippe Oudot

Le 20 décembre, la centrale nucléaire sera définitivement mise à l’arrêt. Une première en Suisse. Le Journal du Jura consacre une série d’articles à cet événement.

 

Suzanne Thoma, dans trois semaines, la centrale nucléaire de Mühleberg (CNM) sera définitivement débranchée. Comment vivez-vous la préparation de cet événement?
Il suscite un grand intérêt de la part des médias et de la population. C’est bien sûr une échéance importante, mais nous avons aussi d’autres dossiers sur lesquels nous travaillons en parallèle.

Personnellement, cette mise à l’arrêt ne vous fait-elle pas plus d’effet que cela? La CNM représente tout de même une part importante de la production d’électricité de BKW…
Effectivement, un quart de notre production – et même la moitié dans le canton de Berne. Après le 20 décembre, cette part y tombera à 20%. Mais je suis tout à fait sereine. La décision de débrancher la centrale a été prise il y a six ans et nous sommes bien préparés pour sa mise en œuvre. Cette étape est aussi un symbole fort de la transformation de l’entreprise.

Comment allez-vous compenser la production manquante?
Nous n’allons pas remplacer ce volume d’électricité. La production d’énergie va certes rester un secteur fort, mais son importance va diminuer, surtout en Suisse. En revanche, nous allons continuer à développer nos capacités dans les énergies renouvelables en Europe. En fait, il faut bien différencier «production» et «énergie». La production n’est qu’un élément du secteur «énergie», qui comprend aussi la commercialisation, la distribution et la vente de l’électricité. Nos activités évoluent, avec un fort développement dans les services.

Cela aura-t-il un impact sur la facture d’électricité du consommateur?
Non, en tout cas pas à court terme, car la CNMne représente que 5% du courant consommé en Suisse, et le marché de l’électricité est suffisamment ouvert. La situation pourrait toutefois changer à plus long terme, lorsque toutes les centrales nucléaires, qui produisent 40% de l’électricité en Suisse, seront débranchées. D’autant qu’avec l’électrification de notre société, la consommation de courant va continuer d’augmenter.

Mais est-ce bien raisonnable de fermer nos centrales si c’est pour importer du courant qui risque d’être produit par des centrales nucléaires ou au charbon?
C’est une question qui se pose surtout au monde politique, basée sur la décision de la population. La Suisse a choisi de sortir progressivement du nucléaire sans vraiment savoir comment remplacer les 40% de courant produit dans ces centrales. Les importations vont donc augmenter, tout comme la part de production des énergies renouvelables chez nous. Mais pour assurer notre approvisionnement électrique à long terme, la Suisse doit impérativement se doter de conditions-cadres adéquates qui encouragent les milieux économiques à investir, en particulier dans de nouvelles installations. Cela nécessite de gros moyens à long terme. C’est un thème dont on parle peu, mais qui est capital. Le pays a besoin d’investisseurs capables et disposés à injecter de gros moyens pendant des décennies.

BKW pourrait en être?
Nous ne sommes qu’un petit acteur dans ce domaine et avons des comptes à rendre à nos actionnaires. Si la Suisse offre de bonnes conditions-cadres, nous pourrions sans doute investir une certaine somme, mais aujourd’hui, ces conditions ne sont pas réunies.

Quand vous êtes entrée au service de BKW et à la direction du groupe, l’entreprise projetait de construire une nouvelle centrale pour remplacer la CNM. En février 2011, les citoyens bernois en avaient d’ailleurs accepté le principe à une courte majorité. A l’époque, étiez-vous favorable à ce projet de nouvelle centrale?
J’ai toujours eu une approche pragmatique et rationnelle: pour produire de l’électricité, le nucléaire a des avantages, mais aussi des inconvénients. Ce qui était clair à mes yeux, c’est qu’une nouvelle centrale nécessiterait des mises de fonds colossales et à l’époque, la question de la rentabilité de tels investissements se posait déjà. Le prix de l’électricité était certes plus élevé qu’aujourd’hui, mais il était déjà assez bas. Dans ce contexte, même sans Fukushima, je doute que BKW, au final, se soit lancé dans un tel investissement, et cela pour des raisons financières.

Depuis sa construction, la CNM avait toujours reçu une autorisation d’exploitation limitée dans le temps, contrairement aux quatre autres centrales suisses. En mars 2013, BKW recevait enfin l’autorisation d’exploitation illimitée réclamée depuis des décennies et sept mois plus tard, le conseil d’administration annonçait la mise à l’arrêt définitive de la centrale à fin 2019. Qu’est-ce qui a conduit à un tel revirement?
Au début de 2013, BKW n’avait pas encore décidé de la poursuite ou non de l’exploitation de la CNM à long terme. Quand nous avons reçu cette autorisation d’exploitation illimitée, la question quant au futur de Mühleberg était encore ouverte. Nous étions donc heureux d’avoir enfin cette autorisation, car cela nous donnait une plus grande marge de manœuvre.

Mais vous avez finalement décidé de tirer la prise, tout en continuant d’investir dans le rééquipement de cette centrale…
Oui, c’était nécessaire pour assurer l’exploitation de la CNM jusqu’à aujourd’hui. Une grande partie de cet investissement a été utilisé pour renforcer le barrage du lac de Wohlen, juste en amont de la CNM, afin d’en assurer la stabilité en cas de séisme. C’était une exigence de l’IFSN pour continuer d’exploiter la centrale, et ces travaux se justifiaient aussi dans le futur. Avec ces investissements dans la CNM, on peut dire que du point de vue technique, la centrale n’a jamais été aussi sûre qu’aujourd’hui!

La débrancher aujourd’hui, c’est un peu du gaspillage…
Si nous avions voulu continuer d’exploiter notre centrale à long terme, nous aurions dû investir encore beaucoup plus pour répondre aux exigences de l’IFSN. Avec l’effondrement des prix de l’électricité qui est intervenu depuis notre décision, nous avons fait le bon choix. Qui plus est, la fermeture planifiée de Mühleberg a eu un effet très positif sur la transformation de BKW.

Cette année plus que jamais, le réchauffement climatique est devenu une préoccupation majeure de la société. Sachant que le nucléaire permet de produire de l’électricité presque sans CO², la décision de fermer Mühleberg n’était-elle pas prématurée?
C’est une question de point de vue. Objectivement, dans l’optique de la société, l’argumentation n’est pas fausse, mais il faut se rappeler que depuis Fukushima, la population suisse n’est plus disposée à accepter les risques, même minimes, liés au nucléaire. D’où le choix d’une sortie progressive de cette énergie. De notre côté, la question du CO² n’était pas aussi actuelle qu’aujourd’hui, lorsque nous avons décidé de fermer la centrale pour fin 2019. Avec le recul, nous avons pris la bonne décision, compte tenu des conditions du moment et de la nécessité de transformer l’entreprise.

BKW est en effet devenue un groupe beaucoup plus global, qui a racheté de nombreuses sociétés. Cette boulimie fait un peu penser à Swissair qui rachetait de nombreuses compagnies, avec les conséquences que l’on sait…
Notre stratégie est tout à fait différente! Nous avons fait le choix de diversifier nos activités en rachetant des PME qui offrent des prestations de services dans différents domaines – technique des bâtiments, ingénierie, infrastructures, etc. Cela renforce la stabilité de notre entreprise grâce à une bonne répartition des risques. D’une part, parce que les sociétés que nous avons acquises ne sont pas des canards boiteux mais sont au contraire performantes et financièrement saines. Et d’autre part, parce que ce secteur des services est beaucoup moins risqué que celui de la production d’énergie, dont les prix fluctuent fortement, surtout à la baisse.

Si tout se déroule selon vos plans, en 2034, il n’y aura plus aucune trace de la centrale sur le site où elle se trouve. Ce terrain vous appartient. Avez-vous déjà des projets pour le futur?
C’est un terrain bien viabilisé qui se prête pour des activités industrielles. Nous devrons soumettre des propositions pour l’exploitation future d’ici à 2027. Ce n’est pas une priorité maintenant, mais certainement dans quelques années.

 

«Ces paiements additionnels sont une forme d’expropriation, ce qui est totalement inacceptable!»

Une fois la centrale mise à l’arrêt, BKW a choisi la technique du démantèlement direct au lieu de celle dite du confinement de sécurité, qui consiste à attendre quelques décennies que la radioactivité ait baissé fortement avant de démanteler la centrale. Pourquoi ce choix?
A court terme, il aurait certes été plus facile de tout fermer et d’isoler la centrale. Mais en choisissant le démantèlement direct, nous pouvons continuer d’employer nos collaborateurs, puisque ce sont eux qui vont effectuer en grande partie les travaux. De plus, l’infrastructure de la centrale est aujourd’hui en très bon état et il est ainsi plus facile de calculer les coûts du démantèlement. Enfin, la raison principale est aussi d’ordre philosophique: il est de notre devoir d’assumer nos responsabilités, pas de nous en décharger sur les générations futures.

Les travaux de désaffectation devraient coûter environ 900 mios de francs. Aujourd’hui, vous en avez déjà versé plus de la moitié dans le fonds de désaffectation géré par la Confédération. Qu’en est-il du reste?
Nous avons déjà constitué les provisions nécessaires. De plus, nous allons continuer à cotiser jusqu’en 2022 dans le fonds de la Confédération.

Le Conseil fédéral vient d’imposer des contributions supplémentaires aux exploitants de centrales nucléaires dans les fonds de désaffection et de gestion des déchets radioactifs. Pour BKW, la facture s’élève à quelque 100mios de francs. Cette décision de la Confédération aura un impact sur vos investissements…
Oui, bien sûr, car on ne peut pas dépenser ces 100 mios deux fois! Mais nous allons faire opposition, car nous sommes convaincus que ces paiements additionnels – exigés pour un scénario très improbable – ne sont pas nécessaires. C’est aussi un très mauvais signe pour les investisseurs, car cela pose un problème au niveau de la sécurité du droit. Je tiens également à rappeler que nous sommes bien préparés pour payer le démantèlement et le stockage final, c’est notre responsabilité et nous allons l’assumer. Mais nous sommes d’autant plus opposés à des paiements additionnels que ces 100mios resteront bloqués dans ces fonds, même s’ils ne sont pas utilisés! C’est une forme d’expropriation totalement inacceptable.

Articles correspondant: Région »