Vous êtes ici

Abo

Moutier

«Nous sommes otages d’une lutte du passé»

Chef de file de MoutierPlus, mouvement antiséparatiste qui a perdu le vote du 28 mars, Steve Léchot préfère laisser les commandes de la politique prévôtoise à ses adversaires. Il s’en explique.

Steve Léchot quittera-t-il Moutier, devenue une ville jurassienne? «La question reste ouverte», répond-il. (Stéphane Gerber)

Laurent Kleisl

Conseil de ville de Moutier, le 28juin dernier. Quasi unis, 13 élus antiséparatistes annoncent leur démission et quittent la salle. Pour l’élu PLR Steve Léchot (53ans), leur chef de file, le contexte politique prévôtois ne permet pas à la minorité de s’exprimer. Une semaine après avoir ouvert ses colonnes à Pierre Coullery, coprésident du PSA, Le JdJ donne la parole au camp pro-bernois. «Non séparatiste!» précise d’emblée notre interlocuteur.

Steve Léchot, n’avez-vous pas le sentiment d’avoir trahi vos électeurs?
Cette décision, sage, responsable et mûrement réfléchie, a été prise de façon collective. Chacun avait la possibilité de continuer à siéger au Conseil de ville. Il s’agit de 13 décisions individuelles qui se sont cumulées. Le Conseil de ville de Moutier n’est pas un Conseil de ville standard.

Qu’entendez-vous par là?
C’est une machine séparatiste, au service du dogme séparatiste et non au service de la ville et des citoyens. Ce dogmatisme est à mon sens extrémiste et il en résulte de nombreux dysfonctionnements. La problématique institutionnelle biaise l’ensemble du jeu politique. Elle conduit la Commission de gestion à produire des rapports qui ne sont pas objectifs. Le rapport sur les surfacturations de l’Ecole à journée continue en est un exemple flagrant.

Si vous jugez la gestion de la Municipalité à ce point dogmatique, pourquoi abandonner plutôt que lutter?
Notre présence minoritaire au Conseil de ville ne permet pas de développer une action politique concrète. Depuis des années, le camp non séparatiste est très attentif aux problèmes des finances de la Municipalité, mais n’a aucune capacité d’influence. Se limiter à un rôle de spectateur n’a plus de sens et nous souhaitons nous désolidariser d’une politique que nous estimons toxique pour la cité et sa région.

A vous entendre, toute minorité devrait se retirer du jeu démocratique. N’est-ce pas un hymne à la dictature?
Non, pas du tout. Moutier reste un cas particulier. Quelle identification peut-on avoir au projet porté par le camp séparatiste? Nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne sommes plus les bonnes personnes. Partir, c’est aussi permettre à d’autres qui peuvent s’identifier à ce projet, qui peuvent amener une énergie positive pour le développement de la ville, de s’investir. C’est aussi permettre à une politique gauche-droite de ressurgir à la place d’une politique nord-sud.

Cette défection donne surtout l’impression que vous n’acceptez pas le résultat du vote du 28 mars!
Le résultat a été démocratiquement exprimé et validé mais reste, à mon sens, dommageable. Nous laissons la place à d’autres acteurs. Le jeu démocratique peut se poursuivre, nous n’empêchons pas le Conseil de ville de fonctionner et de se renouveler. Qu’on le veuille ou non, nous sommes otages d’une lutte du passé. Une transition doit s’effectuer. Un changement de canton n’est pas, pour nous, un projet d’avenir, il est en conséquence difficile d’y amener des éléments constructifs. Le départ de Moutier débouche sur d’importants problèmes, dont nous ne prenons pas encore pleinement conscience, et n’en résout aucun. La balle est désormais dans le camp séparatiste. Il lui appartient de démontrer, non plus par des discours identitaires et enflammés, mais par des actes responsables, que ce choix est profitable pour tous. 

Le Conseil municipal devrait se prononcer mardi sur la tenue d’une élection libre pour compléter le Conseil de ville. Si vous êtes élu, l’accepterez-vous?
Je laisse la question ouverte, mais a priori pas.

Cette possibilité ne vous poserait-elle pas un problème de conscience?
L’avenir jurassien qui attend Moutier ne me concerne plus. Il faut avoir un minimum de conviction pour y adhérer. Dans le canton de Berne, on roule dans un wagon de première classe et on nous propose, dans le canton du Jura, de rouler en troisième classe. Se battre pour essayer d’amener le wagon troisième classe à bon port, de contribuer à l’avènement de MoutierMoins, ce n’est pas très stimulant.

En tant que chef de file de MoutierPlus, estimez-vous avoir commis des erreurs durant la campagne du vote du 28 mars?
Notre erreur majeure a été de penser que la campagne aurait une quelconque utilité autre que cosmétique. Les jeux étaient faits avant le début de celle-là. Pour moi, le camp non séparatiste reste celui de la normalité, le séparatisme demeure un extrémisme. Et dans cet extrémisme il y a eu une importante mobilisation de toute la machinerie jurassienne. De notre côté, la mobilisation a été moindre et les moyens modestes. Nous visions à séduire un électorat modéré en menant une campagne sincère et positive, une campagne de projets et d’arguments. 

Et vous avez réalisé un moins bon score que lors du vote de 2017...
C’est la preuve que la campagne n’a joué aucun rôle! Nous n’avons pas lutté à armes égales. Côté séparatiste, il y avait le Mouvement autonomiste jurassien, le gouvernement, une partie du peuple jurassien et les Jurassiens de l’extérieur, des relais bien implantés dans les médias. Il faut avoir à l’esprit que Moutier représentait l’ultime trophée de la Question jurassienne. En 2013, le camp séparatiste s’est ramassé une claque monumentale lors du vote du Jura bernois, où 72% de la population avait considéré la question comme classée. Moutier représentait l’ultime possibilité de revanche. 

Et Belprahon?
Une agitation anecdotique, qui est désormais réglée. La problématique de Belprahon est totalement distincte de celle de Moutier, qui représentait un enjeu fondamental pour le Jura, une prise de guerre indispensable. Face au canton de Berne et au Jura bernois, Moutier s’est marginalisé. La question institutionnelle a lessivé la ville.

Ce qui nous fait revenir à votre défection. En quittant le Conseil de ville, vous n’aurez plus aucune influence.
Nous n’avons toujours eu que peu d’influence dans le cadre du Conseil de ville. La politique de Moutier, c’est une politique de l’audimat! On dépense parce que c’est populaire, et tout ça pour arriver dans un canton qui, financièrement, a des problèmes considérables, sans compter le coût du transfert de Moutier. Il existe d’autres moyens d’agir sur le plan politique, le référendum par exemple.

A vous écouter, pour le canton de Berne, c’est finalement une bonne chose que Moutier rejoigne le canton du Jura!
On peut se poser la question, en effet. Moutier avait un vrai rôle à jouer dans le Jura bernois, encore fallait-il vouloir le jouer. Toutes ces années, Moutier s’est soustrait à son rôle de centre, de capitale, et a disloqué les liens naturels d’avec ses partenaires. Le transfert reste une très mauvaise opération, pour le Jura bernois, pour notre région, pour notre ville et, finalement, pour nous citoyens. 

En reprenant vos propos, allez-vous rester citoyen d’une bourgade de troisième classe?
La question reste ouverte. J’ai pour l’instant une entreprise à Moutier, où j’ai à cœur de donner du travail à des gens de la région (réd: il emploie trois personnes dans une société active dans la création et la production de lampes design). Je suis attaché à cette ville, où je suis établi depuis 1996. J’aime cette ville ouvrière, sans clinquant, qui a fait sa richesse en transformant la matière, avec des entreprises industrielles qui créent. 

Si vous restez domicilié à Moutier, serez-vous candidat au Gouvernement ou au Parlement jurassien?
Non. Je suis à un carrefour avec mon entreprise en termes de stratégie de développement. Il est difficile de conduire une entreprise avec toutes ses exigences et d’avoir une activité politique consistante en parallèle. Actuellement, mon entreprise mobilise toute mon attention. Mais je dois avouer que l’expérience d’une législature et demie au Conseil de ville de Moutier et celle de la campagne, que j’ai trouvée passionnante indépendamment du résultat, m’ont beaucoup plu.

 

Un troisième German Design Award

Divorcé et père de trois jeunes mâles (19 ans, 21 ans et 24 ans), Steve Léchot prospère dans son domaine d’activité, les lampes design. Après 2019 et 2020, l’Orvinois d’origine, formé à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, a remporté, en 2021 également, le German Design Award dans la catégorie luminaires. «Depuis l’année passée, j’ai pratiquement doublé mon chiffre d’affaires», explique-t-il. Implanté dans le marché de niche de la lampe de luxe, Steve Léchot est pour ainsi dire victime de son succès. S’attelant à la tâche entre 60 et 70 heures par semaine, il est contraint de s’accommoder de problèmes d’approvisionnement. «Il faut compter six mois pour qu’une commande de vis soit honorée, 10 à 11 mois pour des transformateurs», relève-t-il. «Mes stocks deviennent insuffisants.» Adepte de l’escalade, il est copropriétaire du mur de grimpe du Rennweg, à Bienne. 

Articles correspondant: Région »