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Horlogerie

«Nous tablons sur une année 2015 stable»

La FH a tenu hier son assemblée générale. L’occasion d’évoquer avec son président Jean-Daniel Pasche la santé de la branche dans un contexte d’incertitudes. Après l’assemblée, la FH avait invité comme orateur Thomas Jordan, président de la BNS

Malgré un contexte économique difficile, Jean-Daniel Pasche estime que les exportations devraient atteindre le niveau record de 2014. Keystone

Lausanne Philippe Oudot

En marge de l’assemblée générale de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), qui s’est tenue hier à Lausanne (voir «Survol de l’année écoulée»), Le JdJ s’est entretenu avec son président Jean-Daniel Pasche.

Le ralentissement observé depuis l’an dernier semble se confirmer: en mai, les exportations horlogères sont en net repli. Cela vous inquiète-t-il?
Non, car cette année, le mois de mai comptait deux jours ouvrables de moins. De plus, on ne se focalise pas sur un seul mois, mais sur la durée, et là, l’évolution pour les cinq premiers mois de l’année est conforme à nos prévisions, à savoir une stabilité par rapport à 2014. L’évolution est certes contrastée au sein de la branche, mais globalement, cette stabilité correspond à une consolidation à un haut niveau.

En mai, les horlogers suisses ont exporté un tiers de montres en moins à Hong Kong, le marché N° 1. C’est le 4e mois de recul consécutif. Comment l’expliquer?
C’est vrai que ce recul est préoccupant. On constate que Hong Kong, qui vit beaucoup du tourisme, a accueilli moins de visiteurs et d’acheteurs, chinois notamment, car la croissance en Chine n’est plus ce qu’elle était, même si elle reste importante. Il y a aussi l’effet «taux de change», car le dollar de Hong Kong s’est apprécié. Les consommateurs de la région y sont sensibles et ont tendance à acheter ailleurs lorsqu’ils voyagent, au Japon ou en Corée du Sud par exemple.

Les exportations en Corée du Sud ont certes augmenté, mais cela ne compense de loin pas la baisse à Hong Kong ou en Chine, en recul de 9%…
Attention, cette baisse de 9% ne concerne que le mois de mai! Depuis le début de l’année, on constate une légère reprise, et on espère qu’elle va se confirmer. En réalité, la baisse enregistrée à Hong Kong semble être compensée en partie en Chine même, mais surtout sur les autres marchés. Beaucoup de Chinois achètent en effet des montres quand ils voyagent à l’étranger, notamment en raison de cette fameuse taxe qui, dans leur pays, touche les montres à partir d’un certain prix depuis 2006.

On ne peut donc pas dire que l’intérêt des Chinois pour les montres suisses est en train de s’étioler…
Absolument pas! Leur intérêt reste important pour nos produits.

Certains disent pourtant que la situation est bien plus délicate que ne le disent les chiffres des exportations, en raison des stocks qui s’accumulent chez les détaillants. Qu’en est-il?
On ne connaît pas vraiment l’ampleur des stocks. Cela varie selon les marques et les endroits – il y en a sans doute à Hong Kong, par exemple. Mais sur la durée, les chiffres des exportations constituent un bon baromètre, car si les stocks ne s’évacuent pas, ils ont forcément un effet sur les exportations. Cela dit, il peut y avoir un certain décalage entre les chiffres d’exportations et ceux de ventes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que des stocks sont nécessaires, car le consommateur veut sa montre tout de suite, et pas dans six mois comme c’est le cas dans le marché de l’automobile!

Mais cette situation ne risque-t-elle pas de conduire à un gigantesque marché gris, sachant que de gros acteurs rachètent les stocks d’invendus pour les écouler sur des circuits parallèles?
C’est un risque, mais c’est aux marques de gérer cette situation. Pour essayer d’anticiper cette problématique, beaucoup procèdent à des adaptations de prix, à la hausse sur certains marchés, ou à la baisse sur d’autres.

Pour 2015, vous tablez sur une stabilité des exportations. Vous êtes bien plus optimiste que l’institut conjoncturel KOF, ou l’Union patronale suisse qui parle du risque de perte de 30000 emplois d’ici à la fin de l’année. L’horlogerie vivrait-elle sur un petit nuage?
Bien sûr que non! Elle est aussi touchée par la force du franc. Si la FH parle globalement de stabilité, la situation est très contrastée au sein de la branche, avec des entreprises qui ont de grandes difficultés – il y a eu des licenciements, du chômage partiel. La baisse des marges a aussi des conséquences sur les investissements, et donc sur l’emploi. L’horlogerie souffre donc comme les autres de la force du franc. Mais compte tenu des circonstances, nous misons sur une année 2015 stable, ce qui serait un bon résultat compte tenu du fait que 2014 était une bonne année.

Dans le domaine des smartwatches, les géants comme Apple et Samsung donnent le «la». L’horlogerie suisse a-t-elle raté le contour de la montre connectée, alors qu’elle maîtrise ces technologies?  
Non, car les smartwatches sont des produits complémentaires, pas de substitution. Aujourd’hui, on achète une montre plus pour son côté émotionnel que sa fonction de donner l’heure, qu’on trouve partout. Il faut savoir que notre industrie produit environ 30 millions de montres sur le milliard qui se fabrique par année. Nous ne sommes donc pas les premiers touchés! Il faut certes suivre le phénomène et pas le snober, mais il n’y a pas lieu de paniquer. D’ailleurs, l’horlogerie suisse s’intéresse aussi aux produits connectés – certaines marques en ont déjà sur le marché, d’autres vont suivre. L’important, c’est de continuer à faire de vraies montres en y ajoutant des fonctions connectées, pas de faire ce que les géants de l’électronique offrent. Apple va vendre sans doute ses montres, mais je ne crois pas que cela se fera au détriment de l’horlogerie suisse.

Mais dans un monde où les gens sont toujours plus connectés, n’est-ce pas une menace majeure pour les montres d’entrée de gamme?
Non, car ce sont également de vraies montres – pas comme les smartphones –, qui ont elles aussi un caractère émotionnel. D’ailleurs, quand on entend dire que l’entrée de gamme est la plus menacée, c’est intéressant de constater que depuis le début de l’année, c’est ce segment qui marche le mieux!

«Attendre aurait eu des effets encore plus graves»

Crise permanente  Président de la direction générale de la Banque nationale suisse (BNS), Thomas Jordan s’est exprimé en marge de l’assemblée générale d’hier. Dans son exposé «L’économie suisse dans un monde fragilisé», le patron de la BNS a constaté que depuis la crise des subprimes de 2007, l’économie mondiale vivait un état de crise quasi permanente, ce qui contribuait à un renforcement du franc, valeur refuge par excellence.

«La crise des subprimes a conduit à une série de réactions en chaîne», a-t-il rappelé: tensions sur le marché interbancaire, puis faillite de Lehman Brothers suivie d’une crise financière à l’échelle de la planète qui a entraîné une crise économique globale – la plus grave depuis celle des années 30. Les Etats ont alors augmenté leurs dépenses pour mettre en œuvre des mesures anticycliques et ont dû faire face à une baisse de recettes fiscales, ce qui a conduit à une crise de la dette, en particulier en Europe. Et si, aujourd’hui, l’économie mondiale semble en voie d’amélioration grâce à la croissance américaine, «elle reste très fragile, et l’endettement public limite la reprise. Tout cela crée une grande incertitude qui freine les investissements.»
Cette absence de perspectives a renforcé la pression sur le franc. La situation devenant particulièrement préoccupante en 2011, la BNS a introduit ce fameux taux plancher le 6 septembre, «afin de contrer la grave crise qui menaçait l’économie suisse. Depuis, celle-ci a eu du temps pour s’adapter; elle se trouve en meilleure situation qu’en 2011 et se porte bien mieux que la plupart des économies européennes.»

Thomas Jordan a justifié l’abandon du taux plancher, malgré son lourd impact. Keystone

Plus supportable  Pour soutenir ce taux plancher, la BNS a dû acheter d’énormes quantités de devises. Mais en agissant de la sorte, elle s’est énormément exposée du point de vue de la politique monétaire. Dans ce contexte, et face à la pression toujours plus forte sur le franc, le maintien du taux plancher n’était plus défendable. «Nous étions bien conscients des conséquences de cet abandon pour l’économie, mais retarder encore cette échéance aurait conduit à un risque de perte totale de contrôle de la situation et à des effets encore plus graves pour l’économie.» Il s’est dit convaincu que la décision, certes douloureuse, a été prise au bon moment.
Si la fin du taux plancher a été un choc pour l’économie suisse, il a rappelé que par le passé, celle-ci avait déjà été confrontée à d’aussi brusques changements, et qu’elle avait toujours su s’adapter. A cet égard, il a salué la faculté d’adaptation de l’industrie horlogère qui, comme le phénix qui renaît de ses cendres, a su remonter la pente après la crise des années 70-80 et devenir la troisième branche exportatrice, derrière la pharma et l’industrie des machines.

Et de rappeler qu’en 1988, l’horlogerie représentait 7% des exportations, contre 11% aujourd’hui. A l’inverse, la part des machines a fondu de moitié, passant de 32 à 16%, alors que la pharma a bondi de 10 à 34%. Un succès horloger qui tient en partie au fait que la branche a su diversifier ses marchés et réduire sa dépendance de la zone euro.

S’agissant de la situation actuelle, il a indiqué que la BNSrestait prête à intervenir ponctuellement sur le marché des changes et que l’introduction des taux négatifs devrait permettre de relâcher la pression sur le franc en pénalisant les investisseurs qui utilisent le franc comme valeur refuge.

Survol de l’année écoulée

C’est en terre vaudoise, à Lausanne, que la FHa tenu hier son assemblée générale, en présence de quelque 130 personnes. Une assemblée qui s’est déroulée sans anicroche, tous les points à l’ordre du jour ayant été adoptés sans opposition. Dans son rapport présidentiel, Jean-Daniel Pasche, réélu pour un nouveau mandat, a évoqué les temps forts des activités de la FHl’an dernier. Il a ainsi fait le point sur le dossier Swissness, adopté par les Chambres en juin 2013, et qui entraîne la révision de la loi sur les marques, qui sert de base à l’ordonnance Swiss made horlogère, en cours de révision.

«Maintenant que la base légale existe, le Conseil fédéral doit adopter les ordonnances d’application», a-t-il indiqué. Celles-ci doivent notamment définir le calcul du taux de 60% reposant sur le coût de revient. «Peuvent y être imputés les coûts de R&D, ainsi que ceux liés à l’assurance qualité et à la certification.» Alors que les Chambres fédérales n’avaient pas prévu de période transitoire, la FHa obtenu un délai, avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017, «suivi d’un délai de grâce au 31 décembre 2018 pour écouler les produits respectant le droit actuel. Ce délai concerne en particulier le taux de 60% qui figure dans la loi sur les marques», a-t-il poursuivi.

S’agissant de l’ordonnance Swiss made, que la FHattend depuis 2007, le projet a dû être remanié en raison du projet Swissness. Le principal changement porte sur l’abandon du taux de 80% pour la montre mécanique, et l’adjonction de nouveaux critères, soit l’exigence d’effectuer en Suisse le développement technique de la montre.

Parmi les autres temps forts, Jean-Daniel Pasche a cité les 150 ans d’amitié Suisse-Japon, événement auquel la FH a été étroitement associée. Dans le domaine de la lutte anticontrefaçon, la FHa poursuivi son travail de sensibilisation et de formation à travers le monde. «L’offre de formation est un des meilleurs moyens d’obtenir l’adhésion des autorités aux opérations de saisies et de destruction de copies. L’an dernier, un million de fausses montres suisses ont ainsi été détruites!»

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