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Votation cantonale

Petit pas ou coup d’épée dans l’eau?

En plus de taxer les voitures en fonction de leur poids, l’Ours veut ajouter les rejets de CO2. Un expert de l’EPFZ doute de l’efficacité.

Elle peut faire avancer la cause écologique, mais cette révision s’apparenterait plus à un pétard mouillé. Keystone

Par Dan Steiner

Tic, tac, tic, tac. Les scientifiques sont formels. De la même manière qu’une ou un docteur en physique vous dira qu’il est un peu tard d’espérer freiner à 10 m d’un ravin une voiture de tourisme lancée à 80 km/h – que la chaussée soit sèche ou mouillée –, les climatologues sont unanimes en affirmant que pour sauver le vaisseau terrestre du vide environnemental, c’est maintenant ou jamais.

C’est pourquoi Anthony Patt n’est pas convaincu que l’idée du Canton de Berne de taxer les véhicules à moteur non plus en fonction du seul poids de l’engin mais aussi de leurs rejets de CO² soit d’une efficacité décisive. Non pas que cette mesure, sur laquelle on vite dimanche, aille dans la mauvaise direction, mais plutôt qu’elle manque clairement d’ambition.

Passé par les Universités de Yale, Duke, Harvard et Boston, que ce soit en architecture, droit ou politiques publiques, l’Américain est désormais professeur au sein du Département des sciences environnementales de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Il est surtout l’un des rares experts contactés qui a accepté de se mouiller pour apprécier un sujet politique, mais sous l’angle scientifique de la chose. Et il ne s’est pas gêné.

Avant qu’on ne déroule le fil de ses arguments, rappelons simplement que, par cette révision de loi, l’Ours espère inciter les gens à passer à des véhicules moins polluants quand il sera venu le temps pour eux d’en changer. Soutenu par tous les partis au Grand Conseil, il a toutefois été chatouillé par un référendum de l’UDC. Sans risquer de s’attaquer trop aux revendications écologiques des partisans, le grand parti bernois a surtout crié à l’injustice pour le compte de celles et ceux qui n’ont pas le choix que de rouler en 4 x 4. Le côté bien vallonné du Jura bernois et du territoire de l’Ours aidant.

Avantage au diesel
«D’un point de vue économique, il est à la fois efficace et juste que les gens paient pour les coûts environnementaux liés à leur comportement. Il est donc logique de taxer les véhicules en fonction de leurs émissions prévues de CO2», estime l’académicien basé à Zurich. Ne taxer qu’en fonction du poids – de surcroît de manière dégressive et non linéaire, comme cela est le cas aujourd’hui, ce qui sera adapté si la révision passe – pénalise les engins lourds mais aux émissions faibles.

Reste que faire passer les automobilistes à la caisse en fonction du seul polluant CO2 ne résout qu’une partie du problème. «Ne pas taxer les NOx (réd: oxydes d’azote, gaz à effet de serre très nocif) donne un avantage aux véhicules diesel. Si le problème environnemental qui nous préoccupe est le changement climatique, alors c’est bon; si, par contre, on s’intéresse à la pollution atmosphérique locale, à laquelle les NOx contribuent, alors ça ne l’est pas», juge le professeur états-unien.

S’attaquer au porte-monnaie d’«homo economicus» est susceptible de le faire pencher pour un véhicule moins gourmand ou électrique. Susceptible seulement, car Anthony Patt doute que la perspective économique soit pertinente. Selon lui, ce sont les facteurs sociaux et technologiques qui jouent vraiment un rôle prépondérant dans les transitions technologiques. «Cette seconde optique n’essaie pas d’expliquer les petits changements de comportement (comme l’achat d’une voiture à essence légèrement plus petite), mais se limite plutôt aux grands changements (remplacement par une électrique ou le fait d’utiliser le vélo ou les transports publics au lieu de la voiture).»

Mieux mais surtout moins
C’est en effet là que le scientifique voit la meilleure opportunité d’agir, histoire d’éviter le simple effet de manche. «Pour parvenir à des émissions nulles, nous avons besoin de grands changements technologiques ou comportementaux. Il est essentiel que les gens cessent d’acheter des voitures thermiques pour l’électrique. Mieux: l’absence totale de voitures. Du coup, de ce point de vue, la modification proposée par Berne ne changera pratiquement rien aux agissements des gens», craint-il franchement.

Et le principe du pollueur-payeur, du coup? «Cela n’a pas vraiment d’importance. Ce qui importe, c’est que les recettes fiscales soient utilisées pour soutenir l’infrastructure des voitures électriques ou des alternatives aux voitures.» Ici, toutefois, les recettes de 40millions prévues serviront à baisser les impôts pour les personnes physiques.

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