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Bienne

Quel bilinguisme au Conseil de ville?

Au parlement, les élus sont libres de s’exprimer en français, en allemand ou en dialecte. Mais l’usage du hochdeutsch agace certains, tandis que d’autres peinent à comprendre le bärndütsch. Enquête.

Les questionnaire a été envoyé aux 16 conseillers de ville francophones – 15 y ont répondu. Infographie: JJ/ml

Par Didier Nieto

Leonhard Cadetg a, sans le savoir peut-être, lancé un pavé supplémentaire dans la mare du bilinguisme biennois. En novembre, en pleine séance du Conseil de ville, le président de l’hémicycle a soudainement prié les élus alémaniques de s’exprimer en dialecte, et non en hochdeutsch. Il visait la poignée de parlementaires habitués à prendre la parole en allemand lorsqu’ils montent à la tribune. Le Règlement du Conseil de ville est pourtant clair: les élus sont «libres» de parler en français, en allemand ou en dialecte, stipule l’article4.
«Je n’ai donné aucun ordre», se défend Leonhard Cadetg. «Je n’ai fait que relayer une requête qui m’avait été adressée.» Il rapporte qu’un élu s’est plaint de l’usage de l’allemand, une langue que lui et d’autres parlementaires ne comprennent pas avec la même facilité que le bärndütsch. Etonnamment, la demande émanait d’un Romand: Pierre Ogi (PSR).

Un «effet de mode» 
Ce dernier confirme. «Le problème, c’est que les conseillers de ville qui parlent le hochdeutsch le font mal», critique-t-il, en fustigeant un «effet de mode». «Ça me sidère ces Alémaniques qui privilégient l’allemand. En Suisse, la langue officielle, c’est le suisse allemand. C’est la langue qui est utilisée par les gens.»
Ruth Tennenbaum (Passerelle) fait partie de ces élus qui s’expriment en bon allemand. «J’ai l’impression que c’est une langue comprise par tout le monde, car c’est celle qui est apprise à l’école.   Elle me semble plus accessible aux personnes qui ne sont pas de Bienne et qui ne sont pas familiarisées au bärndütsch.» L’élue assure toutefois être prête à s’adapter à la demande. «Mon but est d’être comprise par tout le monde. Mais je ne sais pas ce que les Romands préfèrent. Il faudrait les sonder.»
C’est justement ce que Le Journal du Jura a fait. Le questionnaire envoyé aux 16 élus francophones – 15y ont répondu – montre une légère préférence pour le dialecte. Paradoxalement pourtant, un tiers des sondés avoue ne comprendre que partiellement ce qui se dit en bärndütsch – alors qu’ils ne sont que trois à reconnaître des difficultés avec le hochdeutsch. «Du coup, je ne sais plus quoi faire», s’amuse Ruth Tennenbaum, en reconnaissant que la situation est «bizarre» pour les Romands: «Ils font face à deux langues: celle que nous parlons et celle que nous écrivons.» Urs Scheuss (Les Verts), autre parlementaire coutumier de l’allemand, souligne lui aussi cette diglossie: «Les Alémaniques ont une vision différente du bilinguisme. A l’école, ils apprennent la langue dont se servent effectivement les Romands. La réciproque n’est pas vraie.»

Une spécificité à conserver
Le bilinguisme biennois tend à gommer la distinction entre hochdeutsch et bärndütsch. Le Conseil national, autre parlement où coexistent les communautés linguistiques, a neutralisé le décalage en généralisant l’usage du bon allemand. Mais la pratique fédérale ne séduit guère les conseillers de ville francophones. «Parler bärn-dütsch à la tribune est une spécificité biennoise qu’il serait dommage de perdre. Si l’on est élu à Bienne, on doit comprendre au moins un peu le dialecte et l’allemand», estime Natasha Pittet. C’est l’opinion qui ressort majoritairement de notre sondage: personne ne conteste le droit des Alémaniques de recourir au bärdnütsch. «Mais il serait peut-être judicieux de reformuler dans les deux langues les objets soumis au vote. La discussion va parfois très vite et il suffit d’un mot mal compris pour être dans le doute», relève cependant Joseline Soltz (PSR).
Le débat est loin de se limiter aux frontières linguistiques. Il revêt une dimension hautement politique. «Si nous voulons montrer que Bienne est une ville ouverte, nous devons nous donner la peine de parler dans une langue que les gens de l’extérieur comprennent. Sinon, ça veut dire qu’on se ferme à eux, qu’on veut rester entre Biennois», analyse Urs Scheuss. «A Bienne, il faut faire l’effort de comprendre le dialecte si on veut faire partie de la communauté. Il existe d’excellents cours de suisse allemand», contre Pierre Ogi. Leonhard Cadetg, lui, préfère le pragmatisme à la querelle: «Je suis ouvert à toutes les propositions. Pour moi, la langue n’est pas une affaire de principe. Elle doit simplement servir à se faire comprendre.»

Serait-il judicieux de généraliser l’usage de l’allemand au conseil de ville, comme c’est le cas au conseil national?

Olivier Wächter (UDC): «J’y suis totalement opposé. Un.e élu.e francophone de Bienne se doit de comprendre le dialecte tout comme un Alémanique se doit de comprendre le français. Si ce n est pas le cas, l’un comme l’autre n’ont pas leur place au Conseil de ville. Le cas du Conseil national est différent. Il s’agit d’élus de régions linguistiques différentes et l’usage du bon allemand est utilisé tout particulièrement pour le service de traduction.»

Myriam Roth (Les Verts): «Non, la ville de Bienne se distingue par son bilinguisme français/suisse allemand. Le Conseil de ville se rend ‹sympathique› par l’utilisation du dialect. Les gens venant de l’extérieur sont toujours étonnés de savoir que les débats se déroulent en suisse allemand.»

Maurice Paronitti (PRR): «Oui, justement parce que le niveau de dialecte d’une bonne partie des francophones est faible – l’apprentissage du dialecte ne se fait pas de manière programmée et systématique comme pour l’allemand. Mais je comprends que cela puisse déranger l’oreille des francophones bilingues (français/dialecte) d’écouter des Alémaniques parler l’allemand avec cet accent typiquement helvétique.»

Mohamed Hamdaoui (PDC): «Non. C’est la langue de nos collègues alémaniques, celle dans laquelle ils rêvent et expriment le mieux leurs émotions. Nous avons eu le même débat au Grand Conseil – y compris dans les groupes parlementaires – et j’ai toujours appuyé cette position.»

Glenda Gonzalez (PSR): «Plutôt oui. Dans un souci de cohérence avec la pratique nationale. Pour les Allémaniques, l’allemand est également un effort. Mais cela leur permet de réaliser qu’il existe deux langues distinctes avec lesquelles les francophones doivent jongler. Je sais que l’usage du dialecte au Conseil de ville est une barrière pour certains francophones qui seraient intéressés à s’engager en politique et le dialecte n’est pas une langue.»

Patrick Widmer (UDC): «Non! Nous devons impérativement parler et comprendre le dialecte: c’est une langue nationale, parlée et comprise par la grande majorité des citoyens de Bienne. Le hochdeutsch est une langue étrangère pour nous. Soyons fiers de nos racines! Les personnes voulant s’établir ici ont à faire l’effort de comprendre cette langue. Ce n’est pas aux Suisses allemands ou aux Romands de faire l’effort de l’intégration .»

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