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Vote du Jura bernois

Régional ou politique?

Une analyse de tous les bulletins de vote de 17 communes des trois anciens districts tend à le prouver: étude du ticket régional à l’appui, il sera très difficile de déloger Pierre Alain Schnegg.

Pierre Alain Schnegg devrait l’emporter à nouveau dans quatre ans. Photo: Archives / Stéphane Gerber

Par Marc-André Röthlisberger

L a ville de Moutier, avec 7532 habitants au 31 décembre 2017, est la plus grande commune du Jura bernois. Le 18 juin 2017, avec une participation record de plus de 89%, une courte majorité de 137 voix a décidé du changement de la ville du canton de Berne au canton du Jura. Neuf mois plus tard a eu lieu l’élection de renouvellement du Gouvernement bernois. Le taux de participation s’est élevé à 29,5% dans le canton, 29,1% dans le Jura bernois et 36,8% à Moutier. La majorité gouvernementale bourgeoise, constituée de deux UDC, un PLR et un PBD a été reconduite. Le camp rose-vert reste de ce fait minoritaire, avec deux PS et une Verte. Le fait est que depuis longtemps, la majorité gouvernementale bernoise se joue dans le Jura bernois. Le siège garanti à cette région, selon la Constitution cantonale, est calculé d’une manière spéciale, à savoir au moyen de la moyenne géométrique. Les voix du Jura bernois sont multipliées par celles de tout le canton (y compris le Jura bernois) et on extrait du résultat la racine carrée, afin d’obtenir un chiffre d’une taille raisonnable. Le cercle électoral du Jura bernois obtient, grâce à cette moyenne, le même poids que le canton tout entier.

Un à dix-huit
Cela a pour conséquence qu’une voix du Jura bernois francophone peut valoir au final jusqu’à 18 voix de la partie alémanique du canton. En plus de la personne qui obtient le siège garanti au Jura bernois, d’autres candidats de cette région peuvent également être élus. Si, en effet, une candidate ou un candidat du Jura bernois se classe parmi les six premiers sans avoir remporté la moyenne géométrique la plus élevée, cette personne est élue– mais pas comme représentante officielle du Jura bernois. Cette position est réservée en tout cas à la candidature avec la moyenne géométrique la plus élevée.

L’effet de levier de la moyenne géométrique est déterminant, il s’est montré de manière exemplaire lors de l’avant-dernière élection de l’année 2014. Le directeur sortant de la Santé publique et de la prévoyance sociale Philippe Perrenoud (PS) avait été réélu, bien qu’il ait obtenu presque 8500 voix de moins dans tout le canton que le candidat agrarien Manfred Bühler. Le conseiller d’Etat d’alors et détenteur du siège garanti au Jura bernois avait cependant une avance de près de 1000 voix sur Manfred Bühler dans le Jura bernois. Il a ainsi pu conserver le siège garanti aux trois anciens districts au sein du Gouvernement bernois. La majorité gouvernementale rose-verte a alors tenu jusqu’au retrait du ministre de la Santé Philippe Perrenoud. En 2016, lors du deuxième tour de l’élection complémentaire nécessaire, le siège garanti au Jura bernois est passé du PS à l’UDC. Pierre Alain Schnegg (UDC) a clairement remporté l’élection. Il était devant aussi bien dans le Jura bernois que dans tout le canton.

Moyenne supérieure
Lors du renouvellement complet du Conseil exécutif du 25 mars 2018, Maurane Riesen, du Parti socialiste autonome, Christophe Gagnebin, du PSJB, et le conseiller d’Etat sortant Pierre Alain Schnegg, de l’Union démocratique du centre, étaient tous trois candidats pour le siège garanti au Jura bernois. Le directeur sortant de la Santé publique et de la prévoyance sociale Pierre Alain Schnegg a été réélu avec une moyenne géométrique nettement supérieure à celle des deux autres candidats.

Préalablement aux élections bernoises s’est posée la question controversée de savoir selon quels critères les Jurassiens bernois voteraient en tenant compte de la règle spéciale de leur coin de pays.

Essaieront-ils, au vu de leur poids disproportionné, de maximaliser la voix régionale du Jura bernois? Ou alors, indépendamment de cela, voteront-ils selon leur opinion, qui relève tout d'abord de la politique de parti?

Une étude comparative, menée par l’auteur et chapeautée par le professeur et politologue Adrian Vatter, de l’Université de Berne, vient d’être publiée et quantifie l’effet dudit ticket régional sur le résultat final de l’élection dans le Jura bernois. Un ticket régional essaie de maximaliser la force électorale du Jura bernois en contenant sur le même bulletin de vote deux ou trois noms de candidats du Jura bernois. Tous les bulletins de 17 communes, pour la plupart d’une certaine importance, du Jura bernois ont été analysés.

17 communes sous la loupe
Les communes suivantes ont participé à l’étude: Champoz, Corgémont, Court, Courtelary, La Neuveville, Moutier, Orvin, Perrefitte, Péry-La Heutte, Reconvilier, Renan, Saint-Imier, Sonceboz-Sombeval, Sonvilier, Tavannes, Tramelan et Valbirse. Le total de 8311 bulletins de vote de ces 17 communes représente ainsi de justesse 80% du total de 10414 bulletins du Jura bernois.

Les résultats effectifs des trois candidats francophones dans ces 17 communes diffèrent de moins de 5/1000 du résultat total officiel. Au total, 1798 tickets régionaux, respectivement 21,6% des bulletins de vote, ont été comptés. Ce taux, à première vue relativement élevé, signifie que presque un bulletin sur quatre du Jura bernois était un ticket régional avec le but de maximaliser la force électorale du Jura bernois. Il est digne d’attention de constater qu’à Moutier et dans les communes avoisinantes, le taux est nettement plus bas que dans les communes géographiquement éloignées, par exemple Saint-Imier et La Neuveville. En d’autres termes, les Prévôtois, après le vote pour le canton du Jura, n’étaient plus autant intéressés que les autres Jurassiens bernois à une représentation régionale maximale dans le Gouvernement bernois. Ils ont au contraire voté plus fortement selon les critères traditionnels d’appartenance politique.

Ticket de gauche devant
Le premier graphique montre bien que le ticket de gauche PS-PSA est, avec un taux de 11.0%, le plus répandu. Moyennement présent est le ticket antiséparatiste PS-UDC. Peu nombreux restent par contre les deux tickets PSA-UDC et PS-PSA-UDC.

En exclusivité pour les lectrices et lecteurs du Journal du Jura, nous visualisons par un deuxième graphique ci-après les tickets régionaux de La Neuveville, Saint-Imier, Sonceboz-Sombeval (domicile de Maurane Riesen), Tramelan (domicile de Christophe Gagnebin), Valbirse et Moutier.

Sur la base de ce dépouillement, il est possible de reconstruire le résultat final des trois candidats, à savoir la somme des voix sur les tickets régionaux et celles des tickets avec un seul candidat. Le troisième graphique illustre cette reconstruction.

Deux conclusions
Deux conclusions peuvent être tirées de la comparaison du comportement de vote régional et de celui relevant de l’appartenance politique. Premièrement, le ticket régional a été déposé par les Jurassiens bernois tout de même une fois sur cinq, mais il influence le résultat final de manière limitée. Deuxièmement, le conseiller d’Etat sortant est, avec plus de 55% des voix, indéniablement le meilleur sur les tickets relevant de l’appartenance politique avec un seul candidat du Jura bernois en comparaison avec les tickets régionaux comprenant deux ou trois noms du Jura bernois.

Dans la considération relevant de l’appartenance politique se reflète clairement que le titulaire de la fonction a pu profiter du bonus du sortant. Des études de science politique de l’Université de Berne dans tous les cantons suisses prouvent le fait que le bonus du sortant atteint entre 15 et 20% par rapport à un candidat nouveau. La probabilité d’être réélu en tant que conseillère ou conseiller d’Etat en charge s’élève, à long terme, à 93%.

Que signifie tout cela pour l’avenir politique du canton de Berne et du Jura bernois? L’étude comparative a par ailleurs simulé un vote virtuel avec une seule ligne par bulletin au Jura bernois. Les voix obtenues sur un ticket régional sont ici partagées entre les candidats concernés en fonction de la force des partis.

Pour les 17 communes observées, le pourcentage du conseiller d’Etat sortant agrarien s’améliorerait de 6% au détriment des deux candidats de gauche. L’évidence des chiffres constatés dans les 17 communes permet ainsi de prendre acte que pour l’élection du 25 mars 2018, deux éléments ont joué un rôle important. Premièrement, au niveau de la tactique électorale, le ticket de gauche PS-PSA fut de loin le plus répandu.

Schnegg nettement
Deuxièmement, le conseiller d’Etat sortant UDC Pierre Alain Schnegg était très nettement devant sur les tickets avec un seul candidat du Jura bernois. Il en résulte que pour la gauche du canton de Berne, il restera une entreprise très difficile de déloger le conseiller d’Etat bourgeois francophone.

Surtout si, comme en 2018, la gauche est désunie et présente deux candidats. Et encore plus si les séquelles de l’affaire jurassienne continuent à jouer un rôle sensible dans un Jura bernois à grande majorité probernoise. Le conseiller d’Etat Pierre Alain Schnegg pourrait ainsi rester un certain temps encore intouchable, même et surtout si un jour ou l’autre, la ville de Moutier devait quitter définitivement le canton de Berne. La gauche bernoise devra bon gré mal gré s’habituer au fait que Pierre Alain Schnegg ne s’en ira pas si rapidement.

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