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Tornos

S’adapter ou disparaître

L’an dernier, le fabricant de machines a été touché de plein fouet par le ralentissement conjoncturel et la plongée des commandes dans l’automobile. Il veut davantage miser sur le médical et l’électronique.

Comme l’ont souligné Michael Hauser (à g.), François Frôté et Bruno Edelmann, Tornos a souffert l’an dernier et 2020 sera difficile, mais pas de quoi remettre en cause la stratégie mise en œuvre depuis 2012. pho
Zurich Philippe Oudot

Tornos a connu un exercice 2019 compliqué: de 117mios au 1er semestre, le chiffre d’affaires a plongé à 88 mios au cours des six derniers mois. Sur l’ensemble de l’année, il s’élève à 205mios, contre 215en 2018, soit un léger recul de 4,4%. Au vu de la situation conjoncturelle, «le résultat n’est certes pas à la hauteur de nos attentes, mais il est néanmoins respectable», a relevé hier François Frôté, président du conseil d’administration, lors de la présentation des résultats à la Bourse de Zurich.

En conséquence, le résultat opérationnel a néanmoins subi un fort recul:6,4mios, contre 15,5 en 2018 (-58,5%). Le résultat net, lui, a plongé à 5,9mios contre 15,3 l’année précédente (-61,3%). Quant aux perspectives pour 2020, elles s’annoncent extrêmement difficiles.

L’automobile en berne
S’agissant des entrées de commandes, elles se sont littéralement effondrées, passant de 245mios en 2018, à135,5mios l’an dernier, soit un recul de 44,7%. Celui-ci est particulièrement fort dans le secteur de l’automobile, l’Allemagne étant le marché le plus touché. «Alors que celui-ci pesait 43% des entrées de commandes en 2018, il n’a plus compté que pour 8,6% l’an dernier», a constaté Bruno Edelmann, directeur financier. En revanche, durant la même période, la part du médical a bondi de 13 à 28%. Dans une moindre mesure, l’électronique a connu la même évolution, passant de 10 à 17%.

Le fabricant de machines-outils a donc décidé d’adapter son orientation sur le marché en misant davantage sur ces segments en croissance. Ils offrent en effet de meilleures perspectives commerciales, aussi bien pour ses tours monobroches que ses machines multibroches à hautes performances. Dans ce contexte, François Frôté s’est félicité du succès de la SwissNano 7, lancée au 2e semestre 2018, et «dont les ventes ont dépassé nos prévisions». Elle a notamment convaincu les clients des secteurs des techniques médicales et dentaires, ainsi que ceux actifs dans l’électronique haut de gamme pour la fabrication de connecteurs ou pour la technologie de la 5G.

L’an dernier, Tornos a aussi sorti d’autres nouveautés – une nouvelle SwissDeco et la DT26S, produite en Chine. Si la première, encore en phase de développement, satisfait déjà les premiers utilisateurs grâce à ses hautes performances, la seconde n’a pas atteint ses objectifs, a déploré le président du conseil d’administration.

Ala pointe
Et de souligner que le groupe allait poursuivre ses efforts en matière de Recherche et développement: en 2018, ses dépenses dans ce domaine ont atteint 10mios, tout comme l’an dernier. Et, cette année, malgré, ou plutôt à cause de la conjoncture difficile, le groupe prévoit des dépenses de l’ordre de 8mios, afin de rester à la pointe en matière d’innovation.

Si les entrées de commandes ont reculé partout, c’est l’Europe qui accuse la plus forte baisse. Elle reste toutefois le principal débouché (70%, contre 78%en 2018). Le solde provient à parts égales d’Asie et d’Amérique (15% chacun). Bruno Edelmann a aussi précisé que 59% du chiffre d’affaires provenait de la vente de machines produites à Moutier, contre 16% en Asie, le reste étant essentiellement issu des activités de services.

De son côté, le CEO,Michael Hauser, a insisté sur le contraste entre 2018, année record, et 2019, le deuxième semestre étant plombé par la baisse conjoncturelle. «Nous n’avons pas attendu pour prendre des mesures afin de réduire encore nos coûts, mais celles-ci ne déploient pas leurs effets du jour au lendemain.» Il a aussi souligné que, en dépit des aléas conjoncturels, le groupe prévôtois tenait le choc grâce à la stratégie mise en place en 2012 dont il a rappelé les six grands axes:internationalisation, flexibilisation, croissance grâce à l’innovation, excellence opération-nelle, qualité des services, et solutions personnalisées pour répondre aux besoins des clients. La vente de l’usine de la rue de l’Ecluse, à Moutier, et la modernisation du bâtiment administratif vont dans ce sens.

Et pour bien montrer concrètement les effets de cette stratégie, il a cité l’ouverture du centre clients à Chicago, mais aussi à Bangkok, la gestion du stock du site de Moutier, externalisée, qui permet une économie d’un million, le développement de la Tornos Academy, qui a déjà accueilli 600 participants, ou encore la nouvelle usine Tornos de Xi’an, construite et aménagée quatre mois.

Comme l’a encore relevé François Frôté, Tornos poursuit ses efforts pour réduire ses coûts et abaisser son point mort pour mieux tenir le coup, l’objectif étant de ne plus faire de pertes, même en période de crise.

 

«On constate aussi un changement structurel du marché, avec le développement de l’électromobilité»

Michael Hauser, l’épidémie de coronavirus en Chine a surtout touché la région de Wuhan. Quelle est la situation à Xi’an, où se trouve votre filiale?
Notre usine a été touchée, comme partout en Chine. Elle a été fermée durant pratiquement un mois sur ordre du gouvernement. La production a redémarré progressivement depuis la semaine dernière, avec 80% de notre personnel. En revanche, les autres gens, qui viennent souvent de régions plus éloignées comme celle de la province de Wuhan, n’ont pas encore été autorisés à reprendre le travail.

Avez-vous des collaborateurs qui ont été touchés par le Covid-19?
Non, pas à notre connaissance.

Cette situation a-t-elle conduit à des ruptures d’approvisionnement?
Oui, inévitablement. Cela dit, après une excellente année 2018 et la brutale chute des entrées de commandes au 2e semestre 2019, nous avons accumulé passablement de stocks. D’un point de vue comptable, cette situation n’est pas très bonne au niveau du bilan, mais, en l’occurrence, nous avons un stock de machines qui nous permet de livrer très vite nos clients. Par ailleurs, avant même cette épidémie de coronavirus, nous avions commencé à produire une partie des machines de notre usine de Xi’an dans celle de Taïchung, à Taïwan, car les composants de base sont semblables. De ce fait, nous avons ainsi pu continuer d’assurer une partie de la production de ces machines.

Ces dernières années, vous avez beaucoup investi dans le «lean manufacturing», mais ce mode de production vous rend aussi vulnérable…
Oui et non… Avec le lean manufacturing, nous ne recourons à des sous-traitants fiables que pour une partie des composants, nous continuons à produire le reste nous-mêmes. Dans une situation comme celle que nous vivons aujourd’hui, être moins dépendant de fournisseurs externes est peut-être un avantage, mais, de manière générale, le lean manufacturing est une méthode de production bien plus efficiente, notamment parce qu’elle nous permet d’optimiser nos processus de production internes.

En janvier, vous avez racheté la part minoritaire de 30% de votre partenaire chinois dans votre succursale de Xi’an. Pourquoi?
Cela nous permet d’être plus indépendants et plus flexibles. Par exemple, pour pouvoir assurer le transfert d’une partie de la production de Xi’an à Taïwan. Nous avons ainsi davantage de marge de manœuvre et n’avons de comptes à rendre à personne.

Mais avoir un partenaire chinois, n’est-ce pas un atout dans un pays aux mœurs si différentes?
C’était effectivement indispensable au départ, lorsque nous avons créé notre filiale en Chine continentale. Mais, aujourd’hui, nous avons gagné en indépendance et avons désormais des liens directs avec les instances gouvernementales, si bien que la présence d’un partenaire chinois n’est plus nécessaire.

Mais n’est-ce pas aussi risqué, sachant que vos machines made in China sont frappées de lourdes taxes aux Etats-Unis en raison du conflit commercial entre les deux pays?
C’est justement pour cette raison que nous avons mis en place cette stratégie de deux sites de production en Asie! D’un côté, notre usine de Taïwan produit plus particulièrement pour le marché américain et n’est pas touchée par ces taxes. De l’autre, l’usine de Xi’an est surtout orientée sur le marché chinois. De cette manière, nous pouvons éviter cet écueil des taxes.

Dans votre rapport annuel, on peut lire que, pour la première fois, le chiffre d’affaires des tours monobroches que vous fabriquez en Asie a reculé. Comment l’expliquer?
De manière générale, la marche des affaires a diminué partout dans le monde l’an dernier. Cette baisse a aussi touché la Chine et plus généralement l’Asie, notamment en raison du conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis. D’où ce recul.

La baisse des entrées de commandes de 44% est notamment due à la chute des commandes dans le secteur automobile. Voyez-vous encore un avenir dans cette industrie?
La forte baisse enregistrée dans le secteur automobile suit une année 2018 qui avait connu une très forte hausse. Le problème actuel est lié aux incertitudes et au ralentissement dans ce secteur, si bien que les sous-traitants qui travaillent dans ce domaine ont stoppé pour le moment leurs investissements et n’achètent plus de nouvelles machines. Mais je suis convaincu que le secteur automobile va repartir et que les investissements en machines vont redémarrer. Cela dit, on constate aussi un changement structurel du marché, avec le développement de l’électromobilité. Cela aura un impact sur le type de machines-outils qui seront commandées. Dans ce contexte, nous voulons développer davantage nos activités dans des secteurs comme l’électronique, et donc indirectement l’électromobilité, mais également le médical et le dentaire, qui utilisent aussi des machines multibroches.

En mars, vous avez introduit le chômage partiel à Moutier. Tous les départements sont-ils touchés?
Oui, sauf celui des services et de la vente. Et le taux de chômage est de 50%.

L’an dernier, le chiffre d’affaires du département des pièces de rechange a diminué. Comment l’expliquer?
Avec le ralentissement de l’économie, les machines ont été moins sollicitées. Qui dit moins d’opérations dit moins d’usure, donc moins de pièces à remplacer.

Vous étiez sur le point d’ouvrir un centre clients près de Milan. Qu’en est-il?
Tout est prêt, mais avec cette épidémie de coronavirus nous allons bien sûr reporter son ouverture, vu les circonstances!

Le rapport annuel précise que votre usine de Taïchung est désormais complètement autonome. Produisez-vous désormais la totalité des composants en Asie?
Non, les composants stratégiques et ceux de haute précision restent fabriqués dans notre usine de Moutier. Mais le reste est produit et assemblé sur place. L’usine est donc plus autonome et moins dépendante de composants fabriqués ailleurs, ce qui est des plus utiles par les temps qui courent…

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