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En pleine cible (14)

Son défi: tirer dans tous les stands du pays

Sociétaire à Diegten, dans le canton de Bâle-Campagne, Daniel Vogel s’est fixé un objectif fou qui l’amène quasi tous les samedis à participer à des concours de tir. Rencontre avec un véritable passionné, atteint par le virus tout par hasard.

Daniel Vogel est en vadrouille quasi tous les samedis, comme ici dans le canton de Saint-Gall. Photo: LDD

Michael Bassin

Parfois utilisé à tort et à travers, le mot «passionné» décrit à merveille Daniel Vogel. Durant son temps libre, ce quinquagénaire tire à 300 mètres. Pas occasionnellement, mais quasi tous les samedis. Pas uniquement dans son stand de prédilection, mais partout en Suisse. Si bien qu’il a déjà marqué des points dans 1200 stands du pays!

Pourtant, il n’est pas tombé dans la marmite tout petit. Mais à l’âge de 32 ans. Et de manière étonnante. «Avec mon épouse, nous venions d’emménager dans une nouvelle commune, à Diegten (BL), lorsqu’un voisin m’a conseillé d’intégrer une société locale pour me faire des contacts», se rappelle-t-il.

L’idée ne l’enchantait guère, lui qui ne savait ni taper dans un ballon ni faire des vocalises. «Ce voisin faisait partie de la société de tir. Il a insisté pour que j’aille voir avec lui. Ce que j’ai fait pour le laisser tranquille…» Un large sourire à peine dissimulé derrière sa moustache laisse deviner la suite. «Ça m’a plu! Avec 18 tireurs licenciés, il s’agit d’une petite société très familiale», dit-il, enthousiaste.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais c’est mal connaître Daniel Vogel. «Lorsque j’entreprends quelque chose, je me fixe des objectifs.» Trois en l’occurrence: obtenir dans chaque canton une médaille d’un Tir cantonal; décrocher une médaille d’un Tir fédéral; tirer une fois dans chaque stand du pays. «A l’époque, mon entourage m’a gentiment traité de fou», se marre-t-il.

Les deux premiers objectifs sont atteints et même dépassés. Reste le troisième, qu’il réalise petit à petit, semaine après semaine. «Je fais en sorte de participer à plusieurs concours d’une même région lors d’une même sortie», explique celui qui prend ainsi parfois part à dix compétitions par samedi. «Cela ne serait pas très raisonnable d’aller au Valais pour un seul tir», rigole celui qui habite aujourd’hui dans le canton d’Argovie, à 20 minutes de Diegten, dont il est toujours membre de la société. Tout comme son épouse et un de leurs fils d’ailleurs.

Stand improbable à Quinten
Organisé tel un pro, Daniel Vogel s’est concocté un plan précis de toutes ses sorties à venir qu’il conserve dans son portefeuille. Sur l’ensemble d’une année, il lui arrive ainsi de participer à 250 concours. Mais de ses performances, il n’en parle guère. C’est que ce spécialiste de la gâchette est aussi humble que passionné. A peine concède-t-il qu’à force de concours, son niveau s’est amélioré.

Il l’assure: aucune lassitude ne le gagne. Et à l’entendre parler de son hobby, on le croit volontiers. «J’apprécie profondément tirer. J’aime faire et refaire ces gestes pour lesquels il faut beaucoup de précision et de calme. Je décompresse. Et puis, on voit le résultat immédiatement, ce qui est à l’opposé de mon travail où j’observe les résultats longtemps après. (réd.: il est formateur de pharmaciens au sein d’une grande entreprise)» S’il a toujours le feu, c’est aussi parce que son Tour de Suisse l’amène à découvrir un nombre incalculable de régions et de gens.

Parmi les endroits l’ayant marqué, ce bourlingueur cite Quinten (SG), au bord du lac de Walenstadt. «C’est un stand que l’on peut atteindre en bateau uniquement! Et ce jour-là, les discussions avec les locaux ont duré. J’allais ne plus pouvoir prendre la dernière navette, mais les tireurs du lieu m’ont assuré qu’ils me ramèneraient avec un de leurs bateaux.»

Daniel Vogel ne sait pas exactement combien de stands il lui reste à tester. Mais il y a de quoi exercer sa passion encore durant quelques années!

 

Fort lien à Courtelary:

A force d’arpenter les stands du pays, Daniel Vogel est devenu un fin connaisseur de toutes les régions. «J’aime la mentalité des Jurassiens bernois!», s’exclame-t-il. «Ils sont toujours très ouverts, gentils et enclins à trouver des solutions.» Une expérience vécue il y a quelques années à Courtelary l’a particulièrement marqué. «Arrivé sur place le matin, le stand était fermé. J’ai alors constaté que le concours n’avait lieu que l’après-midi. Comme mon planning était serré, je pensais devoir repartir. Mais un homme présent par-là m’a demandé si j’avais dix minutes. J’ai répondu par l’affirmative, et il m’a tout organisé pour que je puisse tirer! Il n’y a que dans le Jura bernois pour voir ça, c’était extraordinaire. Depuis ce jour-là, je reviens chaque année pour tirer et revoir les amis de Courtelary.»

Selon Daniel Vogel, les sociétés du Jura bernois ont le mérite d’avoir su garder l’aspect familial du tir. «Lorsque je viens dans cette région, je suis accueilli comme une personne et non pas comme un numéro», explique-t-il. Généralement, Daniel Vogel recherche des lieux dans lesquels il n’a jamais officié. Mais pour le Tir cantonal qui se profile, c’est différent. Avec ses amis de la société de Diegten, c’est à Courtelary qu’ils se rendront!

 

En juillet 1900, Saint-Imier fait œuvre de pionnière avec succès:

C’est dans la cité imérienne qu’a été organisé, en terre jurassienne, le premier tir cantonal bernois.

Lancé en 1835 à Langnau, le Tir cantonal bernois vivra cette année sa 40e édition. Par deux fois il a déjà été organisé dans la région jurassienne: en 1909 à Delémont (ville bernoise à cette époque) et en 1900 à Saint-Imier.
Président de la société de tir imérienne, Robert Aellen dispose de quelques objets témoignant du premier passage de cette grande fête dans la région. Il possède notamment des cartes postales dégotées lors de brocantes, ainsi qu’une coupe, deux médailles et les partitions de la Marche de fête.

Pour dessécher les gosiers
Mais pour replonger dans cet événement qui a eu lieu il y a 117 ans, rien de tel qu’un détour par Mémoires d’Ici et ses riches archives. «Depuis longtemps, dans le Jura, on caressait l’espoir d’organiser enfin le Tir cantonal bernois. Mais, on hésitait devant le travail à accomplir et notre position isolée n’était pas non plus un encouragement. A la fin, Saint-Imier, avec un courage qui est bien dans ses traditions, s’est mis sur les rangs et a obtenu la fête pour cette année», lit-on dans la revue LaPatrie suisse.

La fête à Saint-Imier s’est déroulée du 22 au 29 juillet dans une localité qui comptait alors 7500 habitants (5100 en 2017). Durant les mois précédant la manifestation, le journal Le Jura bernois, imprimé à Saint-Imier, se fait régulièrement l’écho des préparatifs. Et notamment sur l’aspect des finances. «Nous avons lu avec plaisir que la Municipalité de Sonvilier a voté un don pour le tir cantonal. C’est un exemple à suivre. […] La plus petite obole sera la bienvenue, et personne n’oubliera que l’honneur de notre cher pays est engagé.»

La subsistance n’est pas oubliée. «On a adjugé à différentes maisons les vins de fête et les vins d’honneur. Comme on nous promet de très fines qualités, et comme la quantité nous paraît considérable, il faut souhaiter que du 22 au 30 juillet prochain, il fasse une chaleur assez ardente pour dessécher tous les gosiers et activer la consommation», lit-on.

Cette «belle et grande fête patriotique» alimente très régulièrement la chronique locale: invitation aux tireurs du canton et de la Suisse à se déplacer, appel à la générosité pour les prix, annonce de trains spéciaux et préparation de la ville à l’événement. Des constructions éphémères surgissent: trois arcs de triomphe sont érigés en ville, alors qu’une cantine et des cinémas itinérants s’installent sur la place de fête.

Contexte politique pas anodin
Une semaine avant la manifestation a lieu le tir d’essai. Et visiblement, «tout fonctionne bien et à la satisfaction des personnes les plus compétentes». L’acoustique de la cantine est elle aussi jugée à la hauteur puisqu’on perçoit «jusqu’aux notes les plus légères des violons».

Mais ce tir cantonal bernois de 1900 est aussi ausculté sous l’œil des relations entre la région jurassienne et le canton de Berne, dont elle fait partie depuis 1815. Le journal Le Jura bernois reproduit par exemple un texte de la Feuille d’avis de Moutier, saluant la tenue de ce tir à Saint-Imier: «Le Jura doit se ressaisir aujourd’hui et montrer à nos concitoyens bernois et à nos Confédérés suisses que malgré les divisions qui nous séparent parfois et que l’on se complaît trop à étaler, nous savons aussi oublier les mesquines rivalités et les luttes stériles de la politique.»
Plusieurs discours prononcés durant la fête abordent aussi la question. Le conseiller national Virgile Rossel s’est par exemple exprimé sur l’unité des deux parties du canton, soulignant que «l’harmonie, qui est la manifestation idéale de l’unité, ne se réalise que dans la diversité même». Il dira aussi que « cette fête aura été consacrée, en définitive, à célébrer l’unité complète entre les deux parties du canton».

Quelques jours et semaines après la clôture, le bilan est tiré. A lire les coupures de presse, ce 22e Tir cantonal fut une réussite, «laissant dans le cœur de chacun un impérissable souvenir de beauté et de complète réussite». Le sens du sacrifice et du dévouement de tout Saint-Imier est particulièrement mis en exergue.

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