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Moutier

Sonneur de cloches, noble métier

François Bon est l'un des derniers sonneurs de cloches de la région. Il sonne celle de la chapelle de Chalière depuis maintenant huit ans.

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Catherine Bürki

Une douce mélodie retentit dans les allées du cimetière prévôtois. Dans la fraîcheur de cette journée de décembre, une petite assemblée se presse aussitôt pour gagner la chaleur de la chapelle de Chalière (du nom du ruisseau qui coule à ses pieds), humble et discrète bâtisse dissimulée derrière les hauts sapins qui peuplent l’endroit. La cloche a rempli son rôle, les fidèles ont répondu à l’appel. «Le sonneur de cloches a aussi fait son boulot», signale Hugo Maraldi. Posté à l’écart du groupe, cet agent retraité de la police municipale et actuel secrétaire-caissier du service d’inhumation observe la petite église qu’il connaît si bien. Le regard tourné en direction du clocher, il explique: «Cette chapelle a la particularité de ne contenir aucun système mécanique ou électrique dans son clocher. Elle sonne à la force des bras.»
Documents à l’appui, Hugo Maraldi se plonge alors dans l’histoire du petit monument emblématique de la cité prévôtoise, de son clocher d’époque et de cette fonction pour le moins archaïque de sonneur de cloches. «Cette chapelle est l’une des dernières de la région où il faut sonner les cloches manuellement» fait-il remarquer. «D’après les archives, elle a été érigée à la fin du 10e siècle et est donc l’une des plus vieilles églises de la région. Les Prévôtois ont eu la bonne idée de conserver son aspect originel et ses traditions», estime-t-il encore.

Sobriété de mise

Pour illustrer ses propos, Hugo Maraldi pénètre dans la chapelle. L’office est terminé, l’assemblée a déserté les lieux pour s’enfoncer dans le cimetière. «L’origine de ce lieu saint reste énigmatique. Certains disent qu’elle faisait partie du monastère de Moutier-Grandval, mais personne n’en est sûr», relate-t-il. Selon les documents d’archives, l’église aurait appartenu à la paroisse réformée française, puis à l’église allemande. «Le service d’inhumation l’a ensuite rachetée en 1932 pour 6000 francs. On y célèbre aujourd’hui uniquement des enterrements, qu’ils soient catholiques ou protestants», signale encore le secrétaire caissier. A l’intérieur de la chapelle, tout est sobre. Quelques fresques sur les murs de l’abside (voir encadré), des bancs de bois pouvant accueillir environ 80 personnes et un petit orgue. Rien de plus, si ce n’est François Bon, l’unique employé du service d’inhumation et sonneur de cloches attitré, qui s’affaire dans le fond de l’église. Concentré, il tire frénétiquement sur une corde qui, comme tombée du ciel, transperce le plafond pour venir chatouiller le sol de l’église. «Mon rôle est de tirer là-dessus pour faire retentir la cloche au début et à la fin des cérémonies, à savoir une ou deux fois par mois seulement», explique-t-il.

Surprise, la cloche sonne

Contre toute attente, la tâche qui à l’origine semble si désuète apparaît soudain, dans ce décor si pieux et dépouillé, tout à fait à sa place.
Agrippant une échelle, François Bon se hisse par une trappe percée dans le plafond qui culmine à 7 mètres de hauteur. Sous le toit, rien excepté la pénombre, la poussière et surtout la fameuse et unique cloche de la chapelle de Chalière qui, de ses 70 centimètres de hauteur, trône fièrement sur les lieux. «Elle est  fixée à la charpente» détaille François Bon. «Le dispositif est si simple qu’un jour la cloche s’est décrochée et s’est retrouvée sur les lattes du toit, quelques mètres plus bas», raconte encore Hugo Maraldi. Sans pouvoir conférer d’âge à l’objet, ce dernier assure ne pas avoir entendu une autre cloche résonner à Chalière.
Comme l’indique François Bon, quel que soit son âge, la cloche n’a jamais rien perdu de sa capacité à surprendre l’assemblée. Souriant, il se souvient alors d’un jeune garçon plus fasciné par le sonneur de cloches que par ce qui se passait à l’avant de l’église. «Les gens sont souvent surpris. Au final, je pense qu’ils apprécient ce petit quelque chose qu’on ne retrouve pas partout ailleurs», confie-t-il. A en croire Hugo Maraldi, le charme de la petite chapelle prévôtoise et de son clocher opère loin à la ronde. «Des cars remplis de touristes débarquent pour visiter l’endroit », signale-t-il. «Depuis deux ans, nous sommes même sur l’itinéraire de Saint-Jacques de Compostelle», annonce-t-il encore tout en désignant le timbre dont est recouvert le carnet des pèlerins.

Des murs intouchables

Malgré le charme et l’originalité du procédé, reste à se questionner quant à la pertinence de conserver une telle tradition au 21e siècle. Hugo Maraldi prévient alors d’emblée qu’on ne touche pas à la Chapelle de Chalière comme on le veut: « Ce lieu est une relique de l’histoire et a été jugé digne d’être préservé par le canton et la Confédération. Il est d’ailleurs classé monument historique depuis les années 1930.» De ce fait, chaque petit aménagement, qu’il concerne les fresques, les murs ou le clocher, doit préserver l’aspect original du site et nécessite l’aval des instances supérieures. «Et de toute façon, ça ne vaudrait pas la peine de mettre en place un nouveau système juste pour faire sonner les cloches une ou deux fois par mois», conclut Hugo Maraldi, dans un large sourire qui laisse deviner un attachement certain pour la chapelle et sa cloche.

Des fresques fortement malmenées

Malgré une dominante très prononcée pour la sobriété, l’abside de la chapelle de Chalière revêt de nombreuses fresques colorées représentant le Christ entouré de sa cour céleste. Bien que d’intérêt majeur, ces peintures n’ont été découvertes qu’en 1933 lors d’analyses effectuées en vue d’une rénovation totale de l’édifice. «On ignore pourquoi, mais les murs étaient jusqu’alors recouverts de gypse. La matière a passablement détérioré les fresques», explique Hugo Maraldi. Les peintures sont alors restaurées et la chapelle classée monument historique par le canton de Berne et la Confédération. Une seconde vague de travaux pour la sauvegarde des fresques est ensuite menée en 2004, suite à l’affectation de 110000 francs issus du Fonds G.E. Boner. Il s’agit cette fois-ci de parer aux dégâts causés par l’humidité. «L’édifice est construit sur un mur de pierres sèches apposé à même le sol. L’humidité s’infiltrait ainsi facilement et provoquait de gros dommages à la structure ainsi qu’aux fresques», détaille Hugo Maraldi. Des travaux d’abaissement de terrain, d’excavation et de drainage sont ainsi menés autour de la chapelle. «Les dégâts ont ainsi été limités, mais malgré tout, nous contrôlons toujours le taux d’humidité à l’intérieur du bâtiment», assure le secrétaire caissier du service d’inhumation. Et de prévenir: «Les fresques n’aiment pas les températures trop élevées. Alors si vous voulez venir visiter la chapelle, pensez à vous habiller chaudement!» 

Le village de Chalière et son cimetière des Bossus

Selon les archives du service d’inhumation de Moutier, la chapelle aurait autrefois trôné sur le village de Chalière, commune dissociée de la Prévôté jusqu’au 14e siècle. Les documents attestent ainsi de l’appartenance de l’église à une paroisse regroupant les villages de Chalière, Perrefitte et Champoz. «Le cimetière paroissial de Moutier se trouvait alors aux abords de l’église Saint-Pierre, laquelle était située sous la Collègiale Saint-Germain et qui a été démolie en 1870», révèle Hugo Maraldi. Chalière avait alors son propre cimetière qui encerclait la petite église. «On l’appelait cimetière des Bossus car les tombes étaient recouvertes de monticules de terre», indique le secrétaire-caissier du service d’inhumation. Un nom pour le moins étrange qui découlerait de la mise en terre rapide et dans des fosses peu profondes de nombreux corps suite à une grave épidémie de peste survenue après le Guerre de Trente Ans. L’étrange intitulé et les tas de terre synonymes d’un passé tragique disparaîtront avec la démolition de l’église Saint-Pierre et l’intégration du cimetière paroissial de Moutier à celui des Bossus, renommé à cette occasion cimetière de Chalière.

Mots clés: Clocher, Chalière, Moutier

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