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EPHJ

Tordre le cou à la crise

Le Salon professionnel de la haute précision horlogère, microtechnique et médicale a ouvert ses portes hier, à Genève, avec quelque 530 exposants. Jusqu’à vendredi, ils y dévoilent à un public de professionnels leurs dernières innovations et tout leur savoir-faire.

L’EPHJ est le premier grand salon organisé en Suisse depuis le début de la pandémie. Keystone

De Genève Philippe Oudot

«Nous voulions que l’EPHJsoit un marqueur fort de la relance économique en sortie de crise. Mission accomplie!», a souligné hier Alexandre Catton, directeur du salon, lors d’une conférence de presse à l’ouverture de cette 19e édition. Reporté en 2020 pour cause de Covid, ce rendez-vous est le premier de cette ampleur depuis le début de la crise sanitaire en Suisse. Et pour y accéder, tout le monde devait présenter un pass Covid, ce qui permettait ensuite de renoncer au port du masque.

«Pour nous tous, c’est un soulagement de pouvoir à nouveau rencontrer physiquement nos exposants et leurs clients, après ces 27mois», a-t-il poursuivi. «Cette édition est plus modeste qu’en 2019, avec 530exposants au lieu de 800, soit une baisse de 30%, mais dans les conditions actuelles, c’est déjà un succès.» D’autant que sur ces 530, 102 viennent pour la première fois.

Soulignant le caractère international du Salon, il a indiqué que 25%des exposants venaient de l’étranger, dont 15%de France. S’agissant des suisses, les cantons de Neuchâtel, du Jura et de Berne sont les mieux représentés, avec respectivement 94, 66 et 64 entreprises présentes.

Savoir-faire transversal
Si, à l’origine, l’EPHJattirait essentiellement des exposants actifs dans l’horlogerie, les domaines microtechnique et medtech sont désormais très représentés:«En effet, 90%déclarent une activité horlogère, 59% dans la microtechnologie et près de la moitié dans les medtech. Cela démontre la transversalité du savoir-faire de nos exposants», a relevé Alexandre Catton.

De son côté, Stephan Post, responsable de la communication de l’EPHJ, a constaté que les exposants présentaient beaucoup de nouveautés. «Cela signifie que malgré la pandémie, l’innovation n’a pas été confinée!» Pour Eric Rosset, professeur à la HES-SOet membre du jury du Grand Prix (voir ci-contre à gauche), «le nombre d’innovations présentées est supérieur aux autres années, ce qui montre qu’il y a un effet de rattrapage. Beaucoup ont un point commun, à savoir les matériaux.»

Interpellé à propos de la baisse de fréquentation, Alexandre Catton a avancé plusieurs raisons:situation toujours difficile pour certaines entreprises, inquiétude en raison de la crise sanitaire, ou encore crainte d’avoir peu de visiteurs. Ace propos, s’agissant de la fréquentation du salon, il a dit s’attendre à une baisse comparable à celle du nombre d’exposants, de l’ordre de 30%. «Mais pour nous, l’essentiel est de permettre aux exposants de rencontrer leurs clients en présentiel, car pour certains, l’EPHJleur permet de rencontrer 80% d’entre eux.»

 

Tous les exposants le soulignent: il était temps de pouvoir enfin retrouver les clients en présentiel

Le JdJ a rencontré hier quelques-uns des exposants régionaux. Globalement, tous se réjouissent de retrouver l’atmosphère d’un salon industriel, qui plus est sans devoir porter un masque. «C’est en effet le premier vrai grand salon organisé depuis le début de la crise du Covid, et il était temps de pouvoir à nouveau rencontrer nos clients», indique Géraldine Ryser-Voumard, directrice générale d’Ebauches Micromécanique Précitrame SA. L’entreprise tramelote, spécialisée dans la production de composants horlogers, présente une importante évolution: «Nous proposons en effet des produits prêts à être assemblés, avec gravage, décoration, traitement galvanique et autres», indique-t-elle. Une extension d’activités qui a poussé l’entreprise à investir dans une nouvelle usine, actuellement en construction à Tramelan.

La maison Ultra Décolletage SA, de Court, fait partie des habitués de l’EPHJ. «Ce salon correspond à notre cœur de métier», soulignent les deux patrons Benoit et Sylvain Marchand. Cette entreprise de 30 collaborateurs réalise en effet 85% de son chiffre d’affaires dans l’horlogerie. Et si ses composants équipent surtout des montres suisses, elle exporte aussi une part de sa production. Certes, les coûts de production sont élevés en Suisse, «mais notre force, c’est notre souplesse, notre réactivité, en particulier pour de petites séries». Tous deux estiment qu’il était temps de pouvoir retrouver les clients en présentiel, «car les discussions en ligne ou au téléphone, ça va pour le côté commercial. Mais quand il s’agit de technique, il est indispensable de voir le produit, de le toucher pour se rendre compte, car les images virtuelles ne suffisent pas.» S’agissant de leurs attentes de ce salon, ils font preuve d’une certaine réserve en raison de la situation sanitaire. «La crainte du virus va-t-elle retenir les visiteurs? Pour les étrangers en tout cas, c’est compliqué de venir. Mais nous espérons faire de nouveaux contacts et que clients actuels découvrent peut-être d’autres produits que ceux qu’ils commandent aujourd’hui», souligne Benoit Marchand.

Spécialiste du polissage, l’entreprise neuvevilloise Auchlin SA fréquente l’EPHJ depuis la première édition. Thierry Auchlin, directeur général et technique, se réjouit certes de retrouver ce salon professionnel mais il ne cache pas une certaine inquiétude, car «beaucoup d’habitués ne sont pas là. J’espère qu’il n’en ira pas de même pour les visiteurs.» Si l’horlogerie reste le premier domaine d’activités et génère 80% du chiffre d’affaires, l’entreprise s’est diversifiée, notamment dans le médical, l’électronique, la microtechnique et l’automobile. «Et l’arrivée de notre fils Maxime dans la société devrait renforcer cette tendance.» En tant qu’entreprise active exclusivement dans la sous-traitance, Thierry Auchlin ne cache pas que la crise du Covid a été difficile. «On peut dire merci à la Confédération qui a facilité l’accès aux RHT.» Mais il note que si les affaires vont mieux, le volume des commandes tend à se ré-duire, ce qui oblige la société à adapter l’horaire de son personnel au coup par coup, ce qui est tout sauf évident.

Chez Marcel-Aubert SA, spécialiste des appareils de mesure optique de contrôle, André Fleury, directeur technique, indique que si 2020 a été une année difficile, «on a senti une reprise dès le mois de décembre. Et depuis six mois, nous avons retrouvé un bon rythme, même si on n’a pas encore atteint le niveau de 2019.» La maison biennoise, qui compte une trentaine de collaborateurs, travaille en majorité pour le marché suisse (60%), le reste étant exporté principalement en Europe et en Asie. S’agissant de cette édition, André Fleury n’est pas mécontent de la baisse du nombre d’exposants, «le salon revient à une taille raisonnable. A 800 exposants, le visiteur est forcément frustré, car ne peut jamais en faire le tour.»

Chez Affolter Pignons SA, à Malleray, son directeur Gregory Affolter se réjouit aussi de retrouver ses clients, notamment tous les grands groupes horlogers. Parmi les nouveautés, il présente une innovation nommée «mobile chrono» un rouage complexe pour chronographe qui permet d’assurer le réglage de l’heure ou de la date. «Il se distingue par son taillage frontal, avec des dents sur le dessus et le côté du rouage. Une opération que nous pouvons réaliser sur la même machine, alors qu’il en fallait deux auparavant. Cette dernière a été développée par notre société sœur Affolter Machines.» S’agissant de ses attentes pour la présente édition, Gregory Affolter observe une évidente reprise, mais il rappelle que pendant la crise, les clients ont aussi joué avec leurs stocks. «Cette édition permettra donc d’évaluer le niveau des stocks.»

Du côté de Polydec SA, spécialiste biennois du microdécolletage, Yolanda Marcote, responsable de la communication, admet que 2020 a été une année difficile, mais «on ne s’en est pas trop mal sorti. Ces dernières années, l’horlogerie est devenue notre principal secteur d’activités, remplaçant l’automobile. Mais nous avons profité de cette crise pour obtenir la certification ISO 13 485 pour le médical, afin d’élargir notre panel d’activités.» Certes, il n’est pas facile de pénétrer ce marché, mais avec son savoir-faire dans le microdécolletage, Polydec estime être en mesure d’y faire sa place souligne Pascal Barbezat, CEO et copropriétaire. S’agissant de ses attentes, «nous verrons si, comme le disent les organisateurs, ce salon est celui de la relance. On sent en tout cas une bonne dynamique, mais on supporterait un peu plus de vent dans les voiles…»

 

«Nous avons tout pour réussir!»

Chaque année, l’EPHJ organise des tables rondes sur des sujets d’actualité. Thème d’hier: «Jusqu’où ira la reconfiguration du marché horloger?» Quatre invités en ont débattu, à savoir Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse, Philippe Bauer, président de la Convention patro-nale de l’industrie horlogère, Olivier Müller, consultant horloger et Jules Boudrand, du bureau spécialisé Deloitte et auteur de l’Etude annuelle sur l’industrie horlogère suisse. C’est Alexandre Steiner, journaliste au Temps, qui animait le débat.

Si tous ont constaté que la reprise était bien là, les acteurs du marché ne sont pas tous logés à la même enseigne: les marques très prestigieuses ont continué de performer, alors que le bas et le milieu de gamme sont à la peine, en témoignent le recul constant du nombre de montres exportées. Une situation qui touche aussi durement les sous-traitants, mis à part ceux qui travaillent dans le haut de gamme. Pour Olivier Müller, face à la concurrence des montres connectées, l’horlogerie a perdu la guerre. Un constat pas forcément partagé par Jules Boudrand. Selon un sondage international effectué auprès de 5000 jeunes à qui on proposerait la somme de 5000fr., «avoir une montre de luxe fait toujours rêver. Les marques doivent se rapprocher de ces consommateurs et communiquer sur l’authenticité de leurs produits.»

S’agissant de la baisse des volumes, Olivier Müller l’a en partie attribuée à la législation sur le Swiss made, qu’il a qualifiée de «catastrophique». Des griefs écartés par Jean-Daniel Pasche: «Les règles sont plus sévères qu’avant! Nous aurions certes souhaité des normes plus strictes, mais ce n’était pas possible en raison des règles de l’OMC. Nous avons donc dû faire avec le cadre juridique et commercial existant.»

Alexandre Steiner a questionné les participants à propos du marché chinois qui, d’ici à cinq ans, représentera la moitié du marché mondial du luxe. Et si la croissance y est très forte, c’est parce que les consommateurs ne peuvent plus voyager à l’étranger et achètent sur place. D’ailleurs, le gouvernement les y pousse, lui qui a ouvert des zones hors taxes dans le pays. En tout cas, tous ont constaté que l’Empire du Milieu offrait un énorme potentiel.

S’agissant du commerce en ligne, s’il ne représente qu’une part marginale des ventes, il s’est fortement développé pendant la pandémie et devrait continuer de croître, mais il ne remplacera pas les boutiques. Quant à savoir où en sera l’horlogerie dans 10 ans, le haut de gamme va continuer de cartonner, selon Olivier Müller. Jean-Daniel Pasche s’est aussi dit optimiste: «Nous avons tout pour réussir, les moyens technologiques, les marques, la formation, les marchés. A condition de prendre les bonnes décisions pour pouvoir continuer à vendre des produits dont on n’a pas besoin pour vivre…»

 

Grand Prix pour STS

Spécialisée dans la galvano-plastie horlogère, la société suisse STSSaulcy Traitement de Surface SA a remporté hier le Grand Prix des expo-sants EPHJ. Parmi toutes les candidatures, le jury avait retenu cinq nominés: Positive Coating, STS, Mestel, Vulkam et Panatere. C’est finalement STS qui l’a emporté grâce à son innovation qui offre, grâce au platine, une alterna-tive au rhodium, le métal le plus cher au monde, pour recouvrir les pièces du mouvement horloger.

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