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Horlogerie

Un art revalorisé

La mécanique d’art et la mécanique horlogère doivent entrer aujourd’hui dans le patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco. Le projet offrira notamment plus de visibilité à ce savoir-faire.

Pour plusieurs directeurs d’entreprises horlogères biennoises, ce changement de statut sonne comme une reconnaissance «bien méritée», bien que leur activité ne s’en trouvera pas forcément impactée. LDD

Par Maeva Pleines

En termes culturels, l’horlogerie ne produit pas que de beaux garde-temps. Il s’agit avant tout d’un savoir-faire de précision, oscillant entre tradition et modernité. Pour offrir une reconnaissance bienvenue à cet artisanat, et pour préserver sa transmission, une cinquantaine d’acteurs de la branche se sont associés afin de faire reconnaître la mécanique horlogère et la mécanique d’art dans la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. La demande devrait être acceptée entre aujourd’hui et demain dans le cadre de la 15ème session du comité intergouvernemental.

«Nous avons réuni un groupe de travail franco-suisse dès le début 2018 pour réfléchir à un paquet de mesures de sauvegarde de cet immense patrimoine», explique Julien Vuilleumier, collaborateur scientifique à l’Office fédéral de la culture (OFC) qui a porté le dossier. «Le but est notamment de faire découvrir la richesse de ce domaine, car il existe une myriade de métiers liés à l’horlogerie. De polymécanicien à cadranier en passant par automatier, certains sont peu connus et risqueraient même d’être oubliés.»

Documentation améliorée
Ainsi, les dépositaires du projet proposent trois axes d’action: une meilleure documentation, une formation renforcée et une meilleure valorisation des savoir-faire auprès du grand public. «Concrètement, il n’y a pas d’enveloppe de subvention liée à cette entrée dans le patrimoine culturel, mais le fait de se réunir permet, non seulement de créer un phénomène d’émulation, mais aussi de regrouper des financements conjoints ainsi que des soutiens des autorités locales», analyse Julien Vuilleumier.

En ce qui concerne la documentation, il cite par exemple le Cejare (Centre jurassien d’archives et de recherches économiques), à St-Imier, qui participe au travail d’actualisation des ressources existantes. La possibilité d’un portail numérique regroupant un maximum de matériel sera également étudiée par Le Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds et le Musée du temps de Besançon.

Formation renforcée
Certains savoir-faire bien précis ne sont actuellement plus détenus que par certains spécialistes. «C’est notamment le cas pour les accordeurs de boîte à musique», note Julien Vuilleumier, en précisant que des offres de formation complémentaire ont récemment été développées. L’objectif serait de les intégrer en tant que modules dans les cursus. «Il s’agit d’un équilibre à trouver puisque les études ont un temps délimité dans lequel il faut impérativement répondre aux besoins de l’industrie. Cela comporte toutefois un risque de perdre de vue certaines spécialités de niche liées à l’artisanat, surtout dans la mécanique d’art.»

Selon le collaborateur scientifique, les développements techniques modernes ne remplaceront pas le geste. «Il n’y a pas réellement d’opposition entre les deux: la machine peut servir la créativité de l’artisan et vice versa. Ce qui est intéressant dans l’horlogerie, c’est qu’elle est en perpétuelle évolution, mais c’est aussi pour cela qu’il faut protéger ce patrimoine.»

Un pas vers le grand public
Finalement, la valorisation de ces techniques doit aussi être portée auprès du public. «Pour Bienne et le Jura bernois, cela contribuera sans doute à une dynamique positive», prédit Julien Vuilleumier. En effet, l’industrie horlogère a un lien fort avec la région. Le directeur de Glycine Daniele Andreatta se réjouit ainsi de ce changement «bien mérité» du statut de l’art horloger. «Si vous vous promenez en voiture dans les petits villages qui constituent le cœur du canton, vous pouvez facilement trouver des milliers d’entreprises que personne ne connaît et qui ont peut-être un savoir-faire de classe mondiale dans le domaine de l’horlogerie, mais qui ne sont pas encore connues du grand public. J’espère donc que la longue tradition biennoise dans l’horlogerie sera mieux mise en lumière. Car, même si le monde associe plus souvent cet art à Genève, c’est vraiment ici que tout a commencé», s’enthousiasme Daniele Andreatta.

Celui-ci insiste sur le fait que l’horlogerie a sa place dans la liste représentative de l’Unesco, par sa nature «essentiellement humaine». «En effet, il faut reconnaître que, de toute époque, les hommes ont ressenti le besoin de mesurer le temps. Cela fait partie de notre tradition et donne du travail à tant de personnes!»

Sensibiliser les non-initiés à ces traditions revient donc avant tout aux musées et aux rendez-vous évènementiels. Ainsi, le dossier de l’OFCpropose notamment de créer un agenda commun à l’échelle de l’Arc jurassien, pour une meilleure visibilité et coordination. Toutefois, selon Daniele Andreatta, Bienne manque encore de musées pour célébrer sa tradition horlogère. «Il existe bien des initiatives privées, comme le musée d’Omega, ou encore notre petit espace que nous appelons ‹Cave› et où nous célébrons notre histoire et notre patrimoine mais la région a encore du potentiel.»

Emmanuel Bitton, le directeur international de la marque biennoise Armin Strom estime quant à lui qu’il faut élargir la définition du musée: «L’exposition et la transmission peuvent être réalisées de manière physique, mais aussi digitale. Ce ne sont pas des concurrents mais un univers complémentaire. La valorisation ne doit donc pas être limitée aux musées.»

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