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Centrale nucléaire de Mühleberg

Un chantier hors mesure

Malgré quelques surprises, dont la présence d’amiante qui a modifié la planification d’une partie des travaux, BKW tient les délais.

Le stator de 144 tonnes a été transporté par convoi spécial de Mühleberg jusqu’à Kaiseraugst pour y être recyclé. photo ldd: Thommen AG

 

Par Philippe Oudot

Le 20 décembre 2019, la centrale nucléaire de Mühleberg (CNM) était déconnectée du réseau. Trois semaines plus tard, BKW lançait les travaux de démantèlement de cette installation. Un travail de pionnier en Suisse, puisque BKWest le premier exploitant à mettre définitivement à l’arrêt une centrale nucléaire. Pratiquement deux ans après cette étape historique, les travaux avancent à un rythme soutenu. Le JdJ fait le point avec Stefan Klute, responsable général du projet de désaffectation de la centrale.

En janvier 2020, les travaux avaient démarré dans la salle des machines qui, aujourd’hui, a été vidée en bonne partie de tous ses équipements. D’abord, on a évacué les 165blocs de protection en béton disposés autour des turbines, au cas où l’une d’elles devait éclater. Ensuite, «les deux trains de turbines, ainsi que les générateurs ont été démontés», indique Stefan Klute.

Huit centimètres par minute
Une opération des plus délicates pour les deux stators de 144 tonnes chacun qui, pendant la durée d’exploitation de la centrale, avaient assuré la production d’électricité avec les rotors. La planification des opérations a été réalisée en partenariat entre BKW, l’entreprise de recyclage Thommen AG – qui est une des principales entreprises suisses actives dans de domaine – et une société de logistique spécialisée.

La capacité de la grue dans la salle des machines étant limitée à 80tonnes, il a fallu installer un gigantesque échafaudage de levage pour lourdes charges qui, à lui seul, pesait quelque 240tonnes. Très délicatement, à raison de huit centimètres par minute, chacun des stators a été placé sur une remorque spéciale de 18 essieux!

Avant de quitter le site de la CNM, les spécialistes de BKW, sous la surveillance de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire, se sont assurés que les stators n’avaient aucune trace de radioactivité. Ils ont ensuite pu être convoyés jusqu’à Kaiseraugst, sur un des sites de l’entreprise Thommen. Afin d’éviter au maximum de perturber le trafic, les transports se sont faits de nuit. Le premier trajet s’est déroulé entre le 10 et le 11novembre 2020, et le second deux jours plus tard, entre le 12 et le 13 novembre.

Comme l’indique Marc Hochuli, responsable du domaine Assainissement chez Thommen, «nous avons commencé par procéder aux opérations de désamiantage et à l’élimination de polluants comme les PCB. Ils l’ont été conformément aux dispositions en la matière. Nous avons ensuite pu procéder au découpage des parties métalliques et à leur recyclage.»

Quant aux turbines, Stefan Klute indique qu’«elles ont été transportées en Suède dans une fonderie spécialisée, de manière à recycler un maximum de matériaux».

Pleinement opérationnelle
Conformément à la planification, la salle des machines est utilisée pour le nettoyage des matériaux pouvant contenir de la radioactivité. «Le montage de la dernière installation de traitement se terminera dans les prochains jours. Il s’agit d’une installation utilisant de l’eau à très haute pression (jusqu’à 3000 bars) pour le décapage de surface. L’eau utilisée est ensuite recyclée en circuit fermé.»

Comme l’explique Stefan Klute, les composants démontés sont tout d’abord découpés, triés en fonction de leurs propriétés et stockés de manière temporaire. «Les tuyauteries sont, par exemple, systématiquement découpées en ‹demi-lune› de manière à pouvoir accéder et traiter toutes les surfaces. Cette manière de faire permet de découpler le démontage du traitement des matériaux.» Depuis l’arrêt de la centrale, et en plus des 1200tonnes des blocs de béton anti-éclats, plus de 600 tonnes de matériaux divers ont été démontés, nettoyés et débarrassés de toute trace de radioactivité.

Freiné par de l’amiante
En 2015, lors de la phase préparatoire de planification, des inspections préliminaires avaient mis en évidence la présence possible d’amiante, ainsi que d’autres polluants comme des PCB. Les équipes chargées de la désaffectation n’ont donc pas été surprises de découvrir de l’amiante dans les parties basses de la salle des machines, où se trouvaient les condenseurs. Ala fin des années 60, il était en effet courant d’utiliser, entre autres, des matériaux isolants contenant de l’amiante.

Un cadastre détaillé répertoriant la présence de produits toxiques sur le site a été établi et est régulièrement mis à jour. «Des mesures d’échantillons sont effectuées de manière systématique. Nous sommes donc bien préparés à gérer l’inattendu. S’agissant des espaces en question, ils ont été bouclés depuis fin août», précise Stefan Klute.

Ni retard, ni surcoûts
Suite à ce diagnostic, les plans de travail ont été remaniés en conséquence et des travaux de démontage prévus ultérieurement ont pu être entrepris dans le bâtiment du réacteur. «Du point de vue des délais, le bouclage provisoire des espaces en question ne provoque pas de retard sur la feuille de route globale. En matière de planification, la flexibilité est le maître mot», rappelle notre interlocuteur. Il précise que cela ne va pas occasionner des coûts additionnels et que le cas échéant, BKW a constitué des réserves pour couvrir ce genre de situation.

Comme tous les autres matériaux démontés, ceux contenant de l’amiante passent par les mêmes mesures de libération avant de pouvoir être éliminés. En cas de présence de radioactivité, ils sont considérés comme déchet nucléaire et traités en conséquence.

Lorsque les travaux de désamiantage ne sont pas trop importants, ce sont des collaborateurs de la CNMqui s’en chargent, précise Stefan Klute: «Au début de cette année, la CNM a en effet obtenu une certification provisoire de la SUVA pour effectuer ces travaux.» Lorsque le désamiantage devient plus conséquent, la CNM procède à un appel d’offres pour octroyer les travaux à des entreprises spécialisées. Selon la planification, ces travaux devraient démarrer en janvier prochain.

 

Le découpage de la cuve du réacteur sera un gros défi

Parallèlement aux activités menées dans la salle des machines, les collaborateurs de la CNMont également bien avancé dans le bâtiment du réacteur. Après avoir retiré et décou-pé les 300 tonnes de blindage en béton situé au-dessus du réacteur, ils ont pu en extraire les 240 éléments combustibles d’uranium pour les placer dans le bassin de désactivation adjacent, où ils resteront plusieurs années. Le découpage de gros composants mobiles qui équipaient le réacteur a débuté l’année dernière. «Pour la plupart du temps, on utilise des techniques de sciage au câble», indique Stefan Klute.

Premiers transports
Ces opérations sont effectuées sous l’eau, à l’intérieur de la cuve, car l’eau permet d’absorber le rayonnement. Elles viennent toutefois d’être interrompues, début novembre. Cela va permettre de préparer les transports de combustibles usagés vers le Zwilag (Centre d’entreposage intermédiaire, à Würenlingen), au printemps 2022, relève le responsable général du projet de désaffectation de la CNM. Ils y resteront jusqu’à la mise en service du dépôt final en couches géologiques profondes.

La reprise de ces travaux sous l’eau, dans la cuve du réacteur, est prévue pour fin 2023. Cela concernera notamment le manteau du cœur du réacteur. «Pour le découpage de cet élément et d’autres pièces fixes dans la cuve, il est prévu d’engager des outils utilisant des torches à plasma», précise Stefan Klute.

En ce qui concerne les composants de petit diamètre, dont les barres de commande et d’autres parties mobiles (tubes de mesure, etc.), ils seront découpés à partir de mi-2024 à l’aide de pinces hydrauliques télécommandées. Quant aux pièces de taille intermédiaire, elles sont tronçonnées à l’aide de scies circulaires de grande taille, elles aussi télécommandées. Au cours de ces opérations, l’eau, devenue radioactive, est utilisée en circuit fermé et recyclée à l’interne. 

A sec ou sous l’eau?
Un des gros défis à venir sera le découpage de la cuve d’acier du réacteur qui devrait intervenir en 2025. Pour l’heure, «deux variantes sont actuellement à l’étude: une sous l’eau, l’autre ‹à sec›. En Allemagne, dans la plupart des réacteurs démantelés, la cuve a été démontée à sec», précise-t-il. Et d’ajouter qu’«avant un éventuel rejet et quelle que soit la provenance de l’eau dans l’installation, elle est toujours traitée et les particules radioactives sont retenues à l’intérieur de systèmes de filtrage haute performance. Le site de Mühleberg est d’ailleurs soumis à un règlement de rejet encore plus restrictif que durant l’exploitation de la centrale.»

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