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Grandval

Un cœur du quotidien

La réalisatrice et productrice indépendante Lucienne Lanaz revient sur son parcours hors norme. Avec plus de 30 documentaires à son actif.

Après 10ans, l’habitante de Grandval quitte la présidence de la Fondation du Banneret Wisard, qui œuvre pour la sauvegarde et l’animation de l’une des plus anciennes fermes de la région.

Textes Aude Zuber / photos  Stéphane Gerber

Il n’en existe pas deux comme Lucienne Lanaz. Chevelure teinte en bleu, combativité à toute épreuve, fort caractère et une grande sensibilité sous sa carapace de guerrière amazone, la réalisatrice et productrice indépendante quitte la présidence de la Fondation du Banneret Wisard. Un collectif qui œuvre pour la sauvegarde, l’entretien ainsi que l’animation de l’une des plus anciennes fermes du pays, située à Grandval (voir ci-contre). Retour sur un parcours hors norme.

Lucienne Lanaz a fait ses premiers pas, en 1972, dans le cinéma comme assistante de production. Motivée par l’amour, cette autodidacte se lance deux ans plus tard dans son premier documentaire «Le bonheur à septante ans», avec Marcel Leiser. «C’était mon maître d’apprentissage et mon ami intime», relève-t-elle.

Talent inné
Un premier film qui lui a permis de prendre conscience de son potentiel. «J’avais l’œil, bien que n’ayant jamais suivi une école de cinéma. Je savais ce que je voulais. Contrairement à Marcel Leiser, je ne souhaitais pas me spécialiser dans le genre de la fiction pour être sélectionnée à Cannes, mais mon but était de mettre en valeur la vie quotidienne en faisant passer un message.»

Elle s’est donné les moyens de ses ambitions en créant, en 1974, la société de production Jura-Films. «Cette structure allait me permettre de produire mes propres films.»

Simultanément, Lucienne Lanaz est venue s’installer dans la région à Grandval. «Adorant les sapins, je cherchais un endroit se trouvant sur la chaîne de montagnes du Jura. Ne trouvant rien, j’ai failli m’établir à Fribourg», explique-t-elle.

Le coup de foudre a été immédiat avec la maison de Bannerat Wisard, localisée à côté de la sienne. «J’ai fait la connaissance de son dernier habitant, Fritz Marti. Un lien s’est immédiatement tissé entre nous. Il est devenu mon grand-père de substitution.»

Et la réalisatrice d’ajouter: «Une demeure où l’inconfort était roi: pas d’électricité, pas d’eau, pas de toilettes intérieures. Il n’a jamais souhaité la restaurer. Ses enfants lui en voulaient pour cela. Mais grâce à lui, aujourd’hui, cette bâtisse du 16esiècle, dont 70% sont d’origine, est classée monument historique.»

Un succès
Inspirée par cet homme et le lieu, elle a recueilli son témoignage pour en faire un documentaire: «Feu, fumée, saucisse». Pour ce film, elle obtient plusieurs prix, qui l’ont encouragée à continuer à en produire d’autres.

Sa plus récente création «L’enfance retrouvée – les petites familles», où elle part à la découverte des maisons d’accueil installées dans le Jura bernois, revêt d’une dimension très personnelle. «Mes parents peinant à assumer mon éducation m’ont envoyée dans un foyer. Là-bas, une personne a pris soin de moi. Reconnaissante, j’avais envie de faire l’éloge de ce type de personnes et de structures qui accueille les enfants.» Un documentaire qui lui a permis en quelque sorte de tourner la page sur cet épisode de sa vie.

Cette expérience l’a rendue plus forte. «Cela m’a fait les griffes. Je me relève toujours, même après un coup dur. Mais j’ai aussi appris à m’adoucir.»

Bien que comptant plus de 30films à son actif, elle n’a jamais pu vivre de son art. «En tant qu’indépendante, c’est quasi impossible! Mais, c’est le statut que je voulais.» L’habitante de Grandval a donc toujours travaillé à côté de sa maison de production. De formation employée de commerce et titulaire d’un diplôme de professeur d’éducation physique, elle a effectué plusieurs jobs avant d’être engagée à temps partiel au CICR, où elle y restera jusqu’à sa retraite en 1999.

Oser dire non
Plusieurs opportunités se sont  présentées à elle. «A 24 ans, la boîte médicale dans laquelle je travaillais m’a proposé un poste aux USA dans le management. J’ai eu une deuxième occasion dans la programmation informatique. J’ai également refusé. Je me souviens encore de la tête du patron quand j’ai dit non.»

Si la cinéaste a décliné de telles offres, c’est qu’elle n’était simplement pas intéressée par une carrière commerciale.

Infatigable, à 81 ans, Lucienne Lanaz a encore deux projets en cours, dont un film sur le couple d’artistes Erica et Gian Pedretti. Elle les suit dans leurs deux ateliers et domiciles, à Celerina, en Engadine, et au bord du lac de Bienne, à La Neuveville. Une réalisatrice qui n’a donc pas encore dit son dernier mot.

Protéger le patrimoine n’a pas de prix
Lucienne Lanaz aura passé dix ans à la tête de la fondation, qui est propriétaire de la maison Banneret Wisard. Un poste de président qui désormais à repourvoir. «Cela fait déjà deux ans que je souhaitais passer le témoin, mais il n’est pas facile de trouver quelqu’un. Les jeunes semblent avoir d’autres préoccupations et les gens sont plutôt réticents à prendre des responsabilités. Nous finirons bien par trouver.» Mais elle rassure: «Je resterai dans le conseil de fondation pour aider.»

A l’heure du bilan, elle se montre satisfaite. «Quand je suis arrivée, cette maison n’avait ni l’eau ni l’électricité. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Nous avons même une cuisine et une salle équipée pour les conférences.» Et la réalisatrice d’ajouter: «Une telle entreprise n’a pas zéro coût. Nous avons dû sonner auprès de différentes fondations et institutions pour obtenir de l’argent.»

Une trentaine de bénévoles sont également très actifs en ce qui concerne l’organisation des différentes activités, comme la traditionnelle fête des tartes, la Nuit du conte ou des pièces de théâtre. «Notre objectif est de maintenir cet espace de culture alternative», conclut-elle.

Et si on faisait connaissance...
Caractéristiques «Mon mari dit souvent que j’ai la tête dure. C’est vrai que je ne lâche pas facilement le morceau. Je persévère toujours.» Et Lucienne Lanaz d’ajouter: «Et je suis aussi un peu chiante, mais avec une fibre psychologique.»
Film préféré Durant sa jeunesse, elle adorait le film «A l’est d’Eden», avec James Dean, sorti en 1955, d’après le roman de John Steinbeck. «J’aimais aussi beaucoup le cinéma où jouait Gérard Philipe. C’était mon idole!», lance-t-elle.
La politique, c’est... «un mal nécessaire.»
Dernier livre lu «Der Wendepunkt: Ein Lebensbericht», de Klaus Mann. «Dans son autobiographie, l’auteur retrace ses nombreux voyages et les enjeux d’une époque (1930-1945) particulièrement trouble en montrant l’importance de sa famille», détaille celle qui parle couramment l’allemand, l’italien et l’anglais.
Plat favori Etant gourmande, elle se délecte de plein de choses. «Je suis aussi très bonne cuisinière. J’ai quelques plats signatures, comme les tendrons de veau à l’ail, le lapin à la provençale ou le saltimbocca à la Lulu», ajoute-t-elle.
Famille «C’est très précieux quand on en a peu. Je n’ai qu’un fils.»

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